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Moyen-Orient - Commentaire

À Cheikh Jarrah, le droit au service du pire

À Cheikh Jarrah, le droit au service du pire

Des agents de la police montée israélienne dispersent des manifestants palestiniens qui protestaient contre l’expulsion de familles palestiniennes dans le quartier de Cheikh Jarrah, à Jérusalem-Est, le 8 mai 2021. Menahem Kahana/AFP

Les images de Jérusalem, celles de Cheikh Jarrah ou de la Vieille Ville, envahissent nos écrans depuis une dizaine de jours. Le monde semble découvrir avec effroi ce qui fait pourtant le quotidien des Palestiniens de Jérusalem depuis plusieurs décennies : expulsions, manifestations, violences policières, arrestations, démonstrations de force, incursions sur des sites religieux… Sur les réseaux sociaux, une vidéo incarne particulièrement le spectacle de cette injustice. De jeunes colons juifs, habits religieux et yeux injectés, encerclent une femme voilée. Ici, pas d’affrontements physiques, tout est dans la symbolique des images : la violence d’un système, le dépouillement d’une communauté, le bon-droit d’une autre. Le droit, justement, semble être absent. Il aurait cédé la place au règne de la force.

C’est pourtant tout le contraire qui se passe actuellement. Le droit n’est pas absent, il occupe le rôle principal dans cette séquence. Celui de supplétif, quand le rapport de force s’institutionnalise. Rien de nouveau là encore. Suite à la reconquête de Jérusalem par les troupes israéliennes en 1967, les tribunaux locaux puis la Cour suprême israélienne sont saisis de dizaines de dossiers visant à faire expulser des familles sur la base d’un conflit juridique. Le quartier de Cheikh Jarrah, à l’est de Jérusalem, entre le mont Scopius et la Vieille Ville, devient alors le symbole de cette conquête qui se poursuit sur le terrain juridique. Depuis 2008, près d’une centaine de familles palestiniennes en ont été expulsées ou sont menacées de l’être. La loi israélienne – qui reconnaît aux Juifs un droit de propriété s’ils prouvent que leur famille vivait à Jérusalem-Est avant la guerre – s’oppose à un autre droit, celui d’un accord entre le royaume hachémite et l’Unrwa qui avait permis en 1956 d’attribuer un logement à 28 familles palestiniennes réfugiées.

Le monde s’offusque – à raison – du spectacle des violences de Jérusalem. Tout en passant parfois à côté de la principale leçon à en tirer : hier comme aujourd’hui, le droit est utilisé par Israël comme un instrument, juridique ou administratif, au service de sa domination politique et militaire. L’histoire palestinienne en est une lente démonstration : au cours du siècle et demi passé, le déplacement de la population a eu lieu selon deux modalités. La première est le récit classique des conquêtes à travers l’histoire : la confrontation violente, suivie d’une occupation, et de l’expulsion ou de la soumission de la population. Il s’agit souvent d’événements-clés, de guerres (celle de 1948 ou de 1967), de massacres (celui de Deir Yassine en 1948 ou de Khan Younès en 1956) ou de conquêtes (Sinaï, Gaza, Golan, Jérusalem, Cisjordanie) qui marquent la grande histoire et les esprits.

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La seconde méthode, plus silencieuse, est aussi plus difficile à repérer. Elle est faite de changements à petite échelle et de microtransactions qui s’étalent sur plusieurs décennies et préfèrent au fracas des armes des moyens plus subtils, comme l’outil juridique ou économique. À partir de la seconde moitié du XIXe siècle, c’est par exemple la stratégie d’achats de terres en Palestine par des organisations juives, comme le Fonds national juif ou l’Association de colonisation juive de Palestine. C’est, suite à la création de l’État hébreu, les lois qui rendent « illégaux » des dizaines de villages dans le désert du Néguev, conduisant à la marginalisation, parfois au déplacement forcé, des communautés bédouines. C’est surtout l’ensemble de l’arsenal juridique mis en place afin de rendre légal ce qui a été acquis par la force des armes : l’exemple le plus célèbre est la loi des absents de 1950 qui attribue à l’État israélien les droits de propriété des « absents », définis comme ceux ayant quitté le territoire après novembre 1947.

Impossible également de comprendre les violences actuelles sans prendre en considération qu’elles sont le produit des politiques mises en place ces dernières années. L’idéologie d’État, d’abord, évolue. En s’éloignant du sionisme égalitaire des pères fondateurs, elle consacre de plus en plus la domination d’une communauté sur une autre, à l’instar de la très controversée loi « État-nation du peuple juif » de juillet 2018 qui confirme la suprématie du judaïsme. Certes, de petites victoires ponctuelles nourrissent l’espoir d’une justice indépendante : en novembre 2009, la Cour suprême ordonne par exemple le déplacement du mur de séparation en faveur des habitants du village palestinien de Bilin, en Cisjordanie. Mais le train est en marche. Encouragée par une politique coloniale agressive faisant passer de 3 200 à près de 450 000 le nombre de colons installés en Cisjordanie entre 1976 et 2019, la communauté ultra-orthodoxe en pleine croissance a toutes les raisons de penser que l’armée, le système judiciaire et l’État la protégeront, même si elle est à l’origine du pire. Doucement, le pays glisse. Le droit et la force deviennent les deux faces d’une même pièce.

De ce point de vue, Cheikh Jarrah n’est que le dernier épisode d’une série qui se joue sur le temps long. La Cour suprême israélienne devait rendre aujourd’hui sa décision visant à autoriser la procédure en appel ou à ordonner l’expulsion de quatre familles palestiniennes originaires du quartier. Face aux risques d’escalade, l’audience a été reportée. Les Palestiniens l’ont compris, le combat pour Cheikh Jarrah dépasse les cas individuels d’expulsion. Il s’agit bien plus de la lutte contre l’effacement méthodique d’une communauté, d’un peuple et d’une mémoire.

Les images de Jérusalem, celles de Cheikh Jarrah ou de la Vieille Ville, envahissent nos écrans depuis une dizaine de jours. Le monde semble découvrir avec effroi ce qui fait pourtant le quotidien des Palestiniens de Jérusalem depuis plusieurs décennies : expulsions, manifestations, violences policières, arrestations, démonstrations de force, incursions sur des sites religieux… Sur...

commentaires (1)

Le sionisme est plus en forme que jamais et les sionistes sont plus près que jamais de leur objectif final qui est de déposséder les palestiniens de leur terre. Les soi-disant victoires de la Résistance de l'Axe dans la région ne sont-elles pas qu'une "effroyable imposture" ?

Citoyen libanais

07 h 45, le 10 mai 2021

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Commentaires (1)

  • Le sionisme est plus en forme que jamais et les sionistes sont plus près que jamais de leur objectif final qui est de déposséder les palestiniens de leur terre. Les soi-disant victoires de la Résistance de l'Axe dans la région ne sont-elles pas qu'une "effroyable imposture" ?

    Citoyen libanais

    07 h 45, le 10 mai 2021

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