Critiques littéraires

Napoléon Bonaparte, fin de partie

De toute la masse des parutions de ces dernières semaines à l’occasion du bicentenaire de la mort de Napoléon, s'il ne fallait en retenir qu’une, ce serait l’excellente synthèse de Pierre Branda : Napoléon à Sainte-Hélène, période moins connue de sa vie.

Napoléon Bonaparte, fin de partie

D.R.

Napoléon à Sainte-Hélène de Pierre Branda, Perrin, 2021, 480 p.

Cette synthèse fait un point précis et passionnant de ce que l'on sait désormais sur les cinq dernières années de l'Empereur, exilé avec quelques fidèles, dans une île perdue entre le Brésil et l'Afrique. Quand on sait le nombre de livres parus à ce propos, dont certains font encore autorité (voir Paul Ganière, Gilbert Martineau etc.), le pari de Pierre Branda était osé. Force est d'admettre qu'il est parfaitement réussi.

Si les sources inédites ou ignorées sont finalement assez rares dans ce nouvel opus, c'est par sa façon d'aborder le sujet qu'il retient l'attention. Plutôt, en effet, que de choisir le biais strictement chronologique, l'auteur a préféré le récit thématique, ce qui permet une approche dynamique, où les différentes périodes du séjour à Sainte-Hélène s'éclairent mutuellement, pour nous donner, au bout du compte, une idée assez exacte de la captivité.

Par ailleurs, le livre s'écarte enfin de la vision romantique héritée du Mémorial, où, comme le dit Branda, « Las Cases fit du crépuscule de Napoléon une sorte d'apothéose, donnant à son épopée une conclusion littéraire qui lui manquait ». Jusqu'en 1818, l'Empereur croit pouvoir revenir de son exil. Rien n'est écrit à ses yeux, sa volonté est intacte, il n'y a pas de fatalité. Les livres, les lettres qu'il ne cesse d'écrire parviennent en Europe par des voies secrètes (que l'on découvrira dans le livre), souvent grâce à des Britanniques, achetés ou convaincus de l'injustice faite au grand homme. À partir de 1818, malade, Napoléon s'affaiblit, et l'on assiste, navré, à sa lente marche vers la mort. Sa fin dans sa 52e année est effectivement tragique, d'autant qu'elle intervient dans un environnement délétère, où la mesquinerie de ses compagnons accompagne celle, jamais en défaut, de Hudson Lowe, gouverneur et geôlier, craintif féal du Premier ministre Liverpool dont l'obsession était l'évasion toujours possible du général Buonaparte (sic). Même emprisonné au milieu de l'océan, gardé par une escadre et des régiments stationnés, l'ex Empereur faisait encore peur. La diplomatie anglaise vis-à-vis des alliés vainqueurs, que nous expose en détail l'auteur, est très éloquente à propos de la terreur que Napoléon exerçait encore sur les conservateurs anglais.

On se représente assez bien Napoléon au temps de sa splendeur, le législateur, le guerrier, moins l'homme privé. Celui-ci n'apparaît qu'à la fin de sa vie, quand les écrasantes charges ne sont plus là pour le durcir. Or, il était affable et sensible. On le découvre ainsi plein d'attentions pour l'esclave Toby, généreux avec les domestiques, mais toujours soucieux, vis-à-vis des personnages importants, de conserver son rang d'empereur, n'admettant jamais qu'on l'appelle « général », quitte à se priver d'avantages que les Anglais étaient prêts à lui consentir.

Mais surtout, c'est l'intelligence de l'homme qui frappe. Enfermé, il lit sans arrêt. Lors des dîners dans la petite salle à manger, avec ses compagnons (et les épouses pour deux d'entre eux), il parle littérature, donne son opinion sur les livres qui paraissent. Cette activité lui permettra de tenir longtemps contre la dépression. « (...) Son incroyable résilience, écrit Branda, s'explique aussi par sa passion dévorante pour les livres. Au-delà du plaisir, ce lecteur compulsif en retirait inspiration et force. »

Il avait écrit dans sa jeunesse des nouvelles. Emprisonné, il retrouvait cette vocation contrariée, trop tard cependant. Simple conquérant, la postérité l'eût sans doute un peu oublié, mais le destin voulut que cet homme si épris de littérature devienne à son tour un personnage de roman, qui fascina Stendhal, Balzac et tant d'autres, peut-être, du moins en partie, à cause de cette part de lui-même révélée pleinement à Sainte-Hélène, et que Branda, dans un style impeccable, nous fait revivre.

En ce bicentenaire, il est temps de se pencher, avec ce beau livre, sur l'homme Napoléon, avec ses grandeurs et ses petitesses qui ne font que le rendre plus touchant.

Napoléon à Sainte-Hélène de Pierre Branda, Perrin, 2021, 480 p.Cette synthèse fait un point précis et passionnant de ce que l'on sait désormais sur les cinq dernières années de l'Empereur, exilé avec quelques fidèles, dans une île perdue entre le Brésil et l'Afrique. Quand on sait le nombre de livres parus à ce propos, dont certains font encore autorité (voir Paul Ganière, Gilbert...

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