Critiques littéraires

Ici et maintenant

Si le qualificatif de roman libanais faisait sens, Les Beaux Jours de Kayan qui jette l’ancre de sa raison d’être dans le temps et le lieu de son écriture l’illustrerait parfaitement.

Ici et maintenant

D.R.

Les Beaux Jours de Kayan de Michèle Gharios, éditions Onze, mars 2021, 166 p.

«Dans un quartier sans vie » sont les cinq premiers mots de l’incipit dont les lettres i sont supprimées. Comme un clin d’œil à la Disparition de Georges Perec entièrement rédigé sans la lettre e. Tout commence en effet par des manques : « Plus d’eau, plus d’électricité, plus de ligne téléphonique », « Les étagères de l’épicier du coin sont vidées ». Véra, le personnage principal du roman, grandit sans son père parti travailler ailleurs durant les incessantes hostilités qui déchirent son pays. Tout est manque, faisant écho aux très sombres jours que les Libanais vivent en ce moment.

La famille fuit les combats et vit dans un chalet au bord de la mer, au nord de la capitale. C’est un été tragique durant lequel Véra perd sa sœur qui ne savait pas nager. Disparition aussi absurde que douloureuse. Elle fait la lecture de L’Étranger de Camus à un jeune homme qui lui plaît et qu’elle finit par épouser en catimini, sans le consentement des siens. Il portait « les traces de la guerre sur son corps » et « traînait son passé de franc-tireur comme une malédiction ». Manquements. Plus tard, elle lui lira également Un profil perdu de Françoise Sagan. Perte. Elle n’aura pas d’enfant parce que son mariage ne sera jamais consommé. Décidemment, ce « i » qui manquait au mot « v e », dès les commencements, pesait déjà comme la terrible prémonition d’une destinée implacable !

Notre héroïne est néanmoins pleine d’amour, se donnant à son homme sans rien attendre en retour tout en se consumant de l’intérieur, rongée par le doute ! Manquait-elle de féminité ? Le récit dépeint une femme « torturée en secret », pourtant exemplaire, forte, acharnée au travail, dévouée à son mari jusqu’au sacrifice de soi.

La construction linéaire du roman déroule les événements selon leur chronologie historique, la fin des conflits armés qui n’amènent pas la paix civile, les espoirs déçus de la reconstruction du pays, le raz de marée humaine en colère quand ce pilier de l’après-guerre est assassiné et qui force le départ du frère occupant ! Puis la guerre qui éclate chez lui, déversant au Liban des milliers de déplacés fuyant les atrocités !

Ainsi, Sett Véra accueille chez elle un enfant refugié qui lui procurera les émotions maternelles qui lui manquaient. Kayan – paradoxe de l’éponyme – n’a pas d’identité ou du moins son destin identitaire est incertain : fils de Syriens que ses parents dans leur hâte de fuir vers le paradis européen abandonnent dans le pays d’accueil ! Que deviendra cet enfant déraciné ?

Des pelles mécaniques et monstrueuses envahissent maintenant le périmètre de la maison de Véra qui avance en âge ! L’avenir sous la forme d’un chantier au bord d’une falaise est menaçant ! Il marche vers le précipice !

Où allons-nous ?

Les Beaux Jours de Kayan de Michèle Gharios, éditions Onze, mars 2021, 166 p.«Dans un quartier sans vie » sont les cinq premiers mots de l’incipit dont les lettres i sont supprimées. Comme un clin d’œil à la Disparition de Georges Perec entièrement rédigé sans la lettre e. Tout commence en effet par des manques : « Plus d’eau, plus d’électricité, plus de ligne...

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