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Lifestyle - Un peu plus

L’(a)normalité libanaise

L’(a)normalité libanaise

La double explosion de Beyrouth réduite à un timbre-poste de très mauvais goût.

Je n’ai plus envie ni de parler ni d’écrire. Je n’ai plus envie d’entendre, de dire ou de lire les mots : tristesse, peur, angoisse, déprime, dollar, lollar, serraf, inflation, banque, kahraba, moteur, poubelles, gouvernement, corruption, clientélisme, sulta, thaoura, élections, jabha, exil, exode, départs, Zoom, corona, masque, sanitizer, distanciation sociale, Pfizer, Spoutnik. Je n’ai plus envie d’entendre parler de Hassan Nasrallah, Nabih Berry, Riad Salamé, Samir Geagea, Walid Joumblatt, Samy Gemayel; de Michel Aoun, Saad Hariri, Hassane Diab, Hamad Hassan, Raoul Nehmé, Ghada Aoun, Gebran Bassil, Sleiman Frangié. De ceux qui surfent sur la vague de la révolution d’octobre, de ceux qui insultent la révolution, de ceux qui donnent leur avis et des leçons à tout va. Je n’ai plus envie d’entendre les pseudo-intellectuels qui croient tout savoir, de ces wannabe analystes politiques.

Je n’y arrive plus et je n’en peux plus de cette (a)normalité libanaise. Je n’arrive plus à voir la souffrance des uns et le déni des autres. Je n’en peux plus que l’on dise de nous que nous sommes résilients, patients ou responsables de notre sort. Je n’en peux vraiment plus. Nos vies sont devenues cauchemardesques. Et on tourne en rond, comme un hamster dans sa roue. Et j’en ai ras le bol de tourner. Tout comme j’en ai marre de voir qu’ailleurs, dans ces villes et pays que l’on connaît, la vie est différente et malgré la pandémie, elle est normale. Et quand on a eu depuis le début de la crise la possibilité de sortir du pays, le constat est encore plus douloureux. Il fait mal parce que lorsque l’on est embourbé dans la merde, on en oublie parfois son odeur. Et on finit par s’habituer à cette vie misérable et sans dignité qu’ils ont fini par nous imposer au fil des ans. On oublie trop souvent qu’on devrait avoir l’électricité 24 heures sur 24, de l’eau propre et potable, un système de santé équitable, un système judiciaire juste, des écoles et universités publiques dignes de ce nom. On oublie trop souvent qu’on devrait pouvoir faire des formalités sans pots-de-vin, payer des taxes avec quelque chose en retour et on s’est résignés à voir notre argent confisqué de façon illégale par des banques sans scrupules. Nous nous sommes obligés à nous habituer à cette vie de merde où nos droits les plus basiques ont été bafoués. Et où la double explosion de Beyrouth a été réduite à un timbre-poste de très mauvais goût. Et ailleurs, dans d’autres pays, la vie poursuit son cours…

Ces dernières années, nous avons vécu une immense mascarade, une illusion de normalité, de prospérité et de bien-être. Nos œillères ont empêché un grand nombre d’entre nous de voir la réalité, la triste réalité de ce que nous allions devenir dans le futur. De plages en plages, de clubs en clubs, de restos en restos, nous avions cette impression que tout allait bien. Mais il y avait déjà quelque chose de pourri au royaume du Liban… Au royaume de qui d’ailleurs ? Pas le nôtre, ça, c’est sûr. Et puis soudain, le château de cartes s’est effondré au lieu que leur système tentaculaire ne prenne fin. Et aujourd’hui, la Dolce Vita (libanaise) de Federico Fellini a laissé place aux Misérables de Victor Hugo.

Je ne veux pas (re)lire Les Misérables. Je ne veux plus les voir, les écrire, les lire ou les entendre. J’aimerais parler d’amour, de projets, des petits travers de notre société, des couchers de soleil, de la mer et de l’été qui arrive. J’aimerais parler de fêtes, de mariages. Entendre des bonnes nouvelles et ne plus dire au revoir.

Je n’en peux plus, moi comme probablement tous les Libanais. Je suis lasse des mots, des paroles, des phrases, des conversations, des communiqués, des déclarations, des débats. Lasse de parler sempiternellement des mêmes choses, d’aborder les mêmes sujets et, surtout, lasse de ne plus pouvoir sortir de ce quotidien insupportable qui nous pèse à tous. Je ne veux plus parler, je veux avoir la possibilité d’agir. Parce que agir, c’est notre seule délivrance face à cette damnation.

Chroniqueuse, Médéa Azouri anime depuis bientôt un an avec Mouin Jaber « Sarde After Dinner », un podcast où ils discutent librement et sans censure d’un large éventail de sujets, avec des invités de tous horizons. Tous les dimanches à 20h00, heure de Beyrouth. Épisode de la semaine : Ali Jaber

https://youtu.be/CeNyHydKpj4

Je n’ai plus envie ni de parler ni d’écrire. Je n’ai plus envie d’entendre, de dire ou de lire les mots : tristesse, peur, angoisse, déprime, dollar, lollar, serraf, inflation, banque, kahraba, moteur, poubelles, gouvernement, corruption, clientélisme, sulta, thaoura, élections, jabha, exil, exode, départs, Zoom, corona, masque, sanitizer, distanciation sociale, Pfizer,...

commentaires (7)

Il se peut que c'est une révolution tranquille comme celle du Québec dans les années 50s. Une changement de mindset qui prends beaucoup d'effort et de travail pour bâtir un Liban moderne post guerres des années 80s avec des institutions gouvernementales efficaces et responsables. Plus de clientelisme et corruption.

Ramzi Jabbour

03 h 16, le 25 mai 2021

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Commentaires (7)

  • Il se peut que c'est une révolution tranquille comme celle du Québec dans les années 50s. Une changement de mindset qui prends beaucoup d'effort et de travail pour bâtir un Liban moderne post guerres des années 80s avec des institutions gouvernementales efficaces et responsables. Plus de clientelisme et corruption.

    Ramzi Jabbour

    03 h 16, le 25 mai 2021

  • la Saoura omniprésente dans vos articles devient obsessionnelle . Vous y croyez vraiment ? Où est-elle cette Saoura lorsque le dollar a franchi l'infranchissable ? Les révoltés ,qui n'ont plus rien à mettre sous la dent ,ont disparu du décor . Rupture de stock des pneus à brûler oh que non!!! Je crois ferme que les instigateurs-sponsors de ce mouvement contestataire ont cessé de payer les pauvres hères en dollar sonnant et trébuchant.

    Hitti arlette

    20 h 27, le 17 avril 2021

  • Triste! Triste a lire mais c'est la realite!

    IMB a SPO

    15 h 32, le 16 avril 2021

  • Rien à ajouter.

    Sissi zayyat

    11 h 41, le 16 avril 2021

  • Si vers la fin des années 60 le peuple était descendu dans la rue puisque l'eau potable ne montait plus jusqu'au premier étage dans certains villages on en serait pas là aujourd'hui. Les mafias ont essayé dans un pays africains de pratiquer les coupures d'électricité dans une ville africaine, il y a quelques années, pour promouvoir les générateurs, mais le peuple est descendu dans la rue au lieu d'acheter des générateurs et l'électricité est rétabli à 100%.

    Shou fi

    09 h 25, le 16 avril 2021

  • Ta souffrance et ta révolte sont les nôtres.

    Jocelyne Hayeck

    08 h 21, le 16 avril 2021

  • C'est très juste je suis écœurée de toute cette classe politique. Comment s'en débarrassé ?

    Hind Faddoul FAUCON

    05 h 34, le 16 avril 2021

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