Il n’est un secret pour personne que la classe dirigeante politique traîne les pieds lorsqu’il s’agit de concrétiser les réformes que le Liban doit lancer ou qu’il s’est déjà engagé à mettre en œuvre, surtout en matière de transparence.
Cela n’a heureusement pas empêché l’élaboration, voire l’adoption, de certains textes-clés qui se sont frayé un chemin jusqu’au Parlement, à l’instar de la loi sur l’enrichissement illicite, adoptée en octobre dernier, ou encore de la proposition de loi sur la récupération des fonds et actifs qui proviennent des crimes de corruption – la cruciale « récupération des fonds pillés », qui figure notamment en tête de liste des revendication de la « thaoura » du 17 octobre 2019.
Ce texte, les parlementaires doivent en principe en débattre et le voter aujourd’hui. Faisant partie de l’arsenal juridique dont le Liban doit se doter pour honorer son adhésion, à la fin des années 2000, à la Convention des Nations unies pour la lutte contre la corruption, cette proposition de loi a été approuvée la semaine dernière par les commissions parlementaires après avoir dormi plusieurs mois dans les tiroirs des députés. « Il y avait plusieurs propositions sur le sujet, dont celles déposées par le Courant patriotique libre et Samy Gemayel (le chef des Kataëb, NDLR), mais aucun de ces textes n’était complet ou pratique », explique l’ancien député Ghassan Moukheiber, qui a été coordinateur du groupe parlementaire de lutte contre la corruption et cofondateur de la Lebanese Transparency Association (LTA). « L’impulsion donnée par la thaoura a permis de relancer le processus d’élaboration du texte, qui était prêt depuis mai 2020 », ajoute l’avocat fiscaliste Karim Daher.
Fin d’un ajournement
Les deux hommes ont participé à une sous-commission parlementaire, présidée par le député Ibrahim Kanaan, dédiée à la rédaction de la nouvelle mouture – le second au nom de l’ordre des avocats –, aux côtés des représentants des ministres de la Justice et du Développement administratif ainsi que du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). Si la double explosion qui a détruit Beyrouth le 4 août dernier a naturellement joué un rôle dans l’ajournement du vote du texte, le déblocage semble répondre à des considérations politiques, dans le sillage du bras de fer qui bloque la formation du gouvernement depuis huit mois. « La lutte contre la corruption est un des chevaux de bataille du CPL et le député Ibrahim Kanaan a dû, en tant que président de la sous-commission chargée du développement de ce texte de loi, être appelé par sa formation politique à presser le pas », analyse une source proche du dossier.
Le texte, soumis au débat parlementaire, doit permettre de réaliser deux objectifs principaux.
Premièrement, fluidifier toutes les procédures liées à la récupération des fonds pillés en mettant en place une administration spécialisée, relevant de l’Instance nationale contre la corruption, dont le rôle sera de mener les démarches et de coordonner les efforts, avec les autorités compétentes libanaises et étrangères, visant à récupérer les actifs détournés suite à des faits de corruption et qui auraient été transférés à l’étranger. Cette administration dédiée élaborera la stratégie permettant de récupérer les actifs en question, proposera aux autorités compétentes des mécanismes de transactions pour accélérer les processus de restitution – souvent très longs lorsqu’ils font suite à une procédure judiciaire. Elle rendra compte de ses activités à la société civile via la tenue de réunions trimestrielles et la publication de rapports annuels. Autre innovation phare, qui est le deuxième objectif, la création d’une caisse autonome où seront déposés les fonds récupérés qui serviront à financer plusieurs catégories de projets, notamment dans le cadre de lutte contre la corruption ou encore la pauvreté.
Le fait que le texte se limite aux actes de corruption ne sera pas un handicap, dans la mesure où la définition de ces actes est très large en droit libanais, notamment par la loi n°175 de mai 2020 sur la lutte contre la corruption dans les institutions publiques.
Point notoirement faible de la proposition de texte soumise au Parlement : le fait qu’elle intègre l’administration de coordination spécialisée à la Commission nationale pour la lutte contre la corruption, non encore constituée, dont les six membres (deux juges, un avocat, un expert-comptable et deux experts du secteur bancaire et des finances publiques) doivent être désignés pour six ans par un décret pris par un gouvernement de plein pouvoir. « Les députés, craignant la politisation de cette administration spécialisée, en ont renvoyé la création aux calendes grecques ; bien que ce choix reste opportun dans l’absolu, car il garantirait à l’avenir l’indépendance et le bon fonctionnement de l’administration de coordination », relève Ghassan Moukheiber.
Reste à savoir si les parlementaires ne modifieront pas la proposition de loi en cours de séance de façon à la rendre inopérante, comme cela avait été le cas avec la loi sur la levée du secret bancaire votée en mai dernier. Celle-ci avait été rendue virtuellement inopérante après que le président du Parlement, Nabih Berry, eut fait retirer la mention permettant à la justice d’utiliser ce levier dans le cadre d’une enquête.
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Jack Gardner
11 h 57, le 29 mars 2021