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Moyen-Orient - Éclairage

La Libye face au défi de la réconciliation nationale

En obtenant la confiance du Parlement il y a près de deux semaines, le nouveau gouvernement de transition semble avoir franchi un pas important dans la poursuite du processus d’unification politique. De nombreux défis restent toutefois à relever.

La Libye face au défi de la réconciliation nationale

Le Premier ministre libyen Abdel Hamid Dbeibah se tient devant le Parlement à Syrte, en Libye, le 9 mars 2021. Mahmud Turkia/AFP.

Mardi dernier, le président français a annoncé la réouverture, à compter du 29 mars, de l’ambassade de France à Tripoli, fermée depuis 2014 pour cause d’instabilité politique. Accueilli par Emmanuel Macron à l’Élysée, le président du Conseil présidentiel transitoire libyen Mohammad Younes el-Menfi s’est vu promettre un « soutien complet » aux nouvelles autorités libyennes. Avec cette annonce, la Libye retrouve un semblant de normalisation alors qu’un gouvernement unifié vient de prendre ses fonctions. La victoire de la liste conduite par Abdel Hamid Dbeibah (Premier ministre), élu le 5 février dernier par les soixante-quinze membres du Forum libyen réunis en Suisse, couronnait un processus initié en novembre à Tunis sous l’égide de l’ONU. L’objectif : unifier les autorités rivales de Tobrouk, à l’Est, et de Tripoli, à l’Ouest, opposées lors d’un conflit de plus de six ans, sous un gouvernement d’union nationale chargé de diriger le pays jusqu’à la tenue des élections présidentielle et législatives en décembre prochain. Le 10 mars, signe de l’avancée du processus d’unification politique, le gouvernement de transition a obtenu à Syrte, située à mi-chemin entre les régions de l’Est et l’Ouest, la confiance du Parlement avant de prêter serment cinq jours plus tard. « Le processus de Genève le 5 février avait lui-même surpris beaucoup de monde. La grande nouvelle de ces derniers jours est le vote de confiance du 10 mars où 132 parlementaires se sont réunis pour la première fois depuis plusieurs années et ont voté en faveur du fait d’accorder la confiance à ce nouveau cabinet », observe Jalel Harchaoui, spécialiste de la Libye au sein de l’unité de recherche des conflits au Clingendael Institute, à La Haye.

Le pari n’était pourtant pas gagné alors que plusieurs observateurs mettaient en avant le risque de frustrations à l’Est liées à un déséquilibre des forces au sein de la liste récemment élue. Né à Misrata, dans le nord-est du pays, le nouveau président du Conseil est cependant plus proche des élites tripolitaines et avait notamment condamné l’offensive menée par le maréchal Haftar sur la capitale libyenne. Pour remporter le vote de confiance du Parlement, le chef du nouveau gouvernement de transition a dû faire preuve de flexibilité et ignorer ses alliances traditionnelles. « Dbeibah est allé voir Saleh (président de la Chambre des représentants à Tobrouk), figure de l’Est libyen, en lui disant que si ce dernier n’aimait pas un ministre, il n’y avait aucun problème pour le remplacer », note Jalel Harchaoui. « Il y a eu une grande volonté de la part du Premier ministre de donner des postes importants au sein du gouvernement à des personnes qui ne sont pas issues de la coalition qui s’est battue pour défaire le maréchal Haftar, à l’instar de plusieurs factions de l’Est, des kadhafistes mais aussi des factions du Sud », poursuit ce dernier.

Risque d’affrontements

Mais malgré la réunification entre la Tripolitaine (Ouest) et la Cyrénaïque (Est), symbolisée par le vote de confiance du 10 mars, l’unité politique est loin d’être garantie en Libye. « La formation d’un gouvernement d’union par le biais d’un processus dirigé par l’ONU est une chose, s’assurer que le nouveau gouvernement est capable de gouverner et que le processus de transition est durable est une tâche entièrement différente », estime Mohammad Eljarh, expert libyen et cofondateur du centre de recherche Libya Outlook for Research and Consulting, pour qui la manière dont le processus politique dirigé par l’ONU a été conçu et mis en œuvre a créé des gagnants et des perdants. « Les conséquences des résultats des élections commencent à se faire sentir par les différents acteurs tant nationaux qu’étrangers. Les perdants sont susceptibles de tout gâcher, et les gagnants de s’accrocher au pouvoir et d’exclure des adversaires potentiels au lieu de leur tendre la main et de les inclure », poursuit le chercheur. S’il demeure l’homme fort de l’Est et de certaines parties du sud de la Libye, le maréchal Haftar pourrait faire partie de ces perdants alors qu’il n’a semble-t-il pas réussi à placer ses hommes à des postes stratégiques au sein du gouvernement. Le chef de l’autoproclamée Armée nationale libyenne (ANL) n’a pas participé officiellement aux pourparlers politiques, mais se serait battu en coulisses pour obtenir le poste de ministre de la Défense, finalement assuré par le Premier ministre lui-même. Khalifa Haftar a également vu l’un de ses candidats au poste de vice-Premier ministre, Saqr Bujwari, perdre au profit d’un proche d’Aguila Saleh, son rival de l’Est opposé au maréchal pour obtenir l’exclusivité de la représentation régionale. Parmi les perdants, figurent également les Frères musulmans, alliés de l’ancien Gouvernement d’union nationale (GNA) de Fayez al-Sarraj, qui a remis le pouvoir au gouvernement Dbeibah et au Conseil présidentiel le 16 mars. « À force de faire des concessions au camp anti-Frères musulmans et antirévolutionnaires durs, Dbeibah pourrait attiser la colère des islamistes et risquer une reprise des affrontements au sein même de Tripoli », observe Jalel Harchaoui.

Si le risque d’affrontements n’est pas à exclure, la Libye fait également face à des défis colossaux pour espérer parvenir à la réconciliation nationale. « La vraie question est de savoir si ce nouveau gouvernement sera en mesure de gouverner », estime Mohammad Eljarh, pour qui les défis à relever sont extrêmement nombreux, parmi lesquels l’unification du système bancaire en érosion et des institutions militaires et sécuritaires, la résolution du problème des milices et des forces étrangères, le lancement d’un processus de réconciliation et la préparation du terrain pour les élections générales du 24 décembre 2021. Alors que Moscou avait renforcé sa présence sur le sol libyen en envoyant en renfort près de 1 000 combattants de la compagnie de sécurité Wagner pour assister le maréchal Haftar lors de son attaque sur Tripoli, les Turcs sont de leur côté intervenus à la fin de l’année 2019 afin de soutenir le camp opposé du GNA, permettant à ce dernier de contenir l’offensive. Si l’accord de cessez-le-feu signé le 23 octobre 2020 stipule le départ des mercenaires et combattants étrangers dans les trois mois, force est de constater qu’il en faudra davantage pour que les puissances qui les ont engagés quittent le sol libyen. « Alors que le personnage de Dbeibah incarne le désir de faire du business dans la logique de reconstruction du pays qui succède à la guerre, ces puissances étrangères y voient l’opportunité d’empocher une forme de récompense si ce business a lieu. La Russie et la Turquie savent que la Libye est un pays très riche qui a des réserves de devises étrangères importantes, et vont alors tout faire pour faire partie des grands chantiers et obtenir des concessions importantes », explique Jalel Harchaoui. Au-delà de ces préoccupations, le gouvernement transitoire devra prendre en compte les revendications de sa population pour garantir la réconciliation nationale. « La réconciliation est un processus qu’il faut observer au niveau des citoyens et non des élites. Elle ne sera effective que si une forme de justice transitionnelle, adaptée au fait que l’on sorte d’un conflit qui a fait souffrir de nombreux innocents, reconnaît cette réalité et répare le sentiment d’impunité », poursuit ce dernier.

Mardi dernier, le président français a annoncé la réouverture, à compter du 29 mars, de l’ambassade de France à Tripoli, fermée depuis 2014 pour cause d’instabilité politique. Accueilli par Emmanuel Macron à l’Élysée, le président du Conseil présidentiel transitoire libyen Mohammad Younes el-Menfi s’est vu promettre un « soutien complet » aux nouvelles autorités...

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