C’est un cri d’alarme que lancent l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et le Programme alimentaire mondial (PAM), mettant en garde contre la famine qui va s’accroître dans vingt pays au cours des prochains mois, au nombre desquels le Liban. Dans un rapport intitulé Foyers de famine, les premiers avertissements de la FAO et du PAM sur l’insécurité alimentaire aiguë, rendu public mardi, les deux agences onusiennes soulignent que « le Yémen, le Soudan et le nord du Nigeria sont en tête de liste » de ces pays à grands risques et font désormais face à « des niveaux catastrophiques de famine ». Selon le document, « bien que la majorité des pays touchés par la famine se trouvent en Afrique », celle-ci va augmenter dans plusieurs régions du monde. Du côté du Moyen-Orient, le Liban et la Syrie sont concernés.
« La capacité du Liban à gérer et inverser les effets des crises économiques et politiques qui se succèdent depuis fin 2019 s’est affaiblie », peut-on lire dans le document. « L’exacerbation de la pauvreté et du chômage, l’inflation galopante, le Covid-19 et les mesures prises pour contenir sa propagation ont contribué à la détérioration de la sécurité alimentaire pour une proportion grandissante des Libanais et des réfugiés », ajoute-t-on.
Le rapport se penche également sur la suspension fort possible, au cours des prochains mois, des subventions par la Banque centrale sur le blé, les médicaments essentiels et les carburants. Une mesure qui se traduira par « un renchérissement du prix des produits de base ». « Le manque de croissance économique et d’opportunités de travail affecteront considérablement les moyens de subsistance des ménages libanais pauvres et des réfugiés », déplorent la FAO et le PAM. Ce qui fait craindre « une recrudescence des troubles civils et des affrontements violents », poursuivent-ils.
Mesures de prévention
En raison de la crise financière qui a frappé le pays à l’automne 2019, la livre libanaise a perdu plus de 80 % de sa valeur, entraînant une inflation de 146 %, avec une augmentation de 402 % du prix des produits alimentaires, constatent les agences internationales. « À la fin de 2020, 19 % des Libanais et 21 % des réfugiés syriens avaient signalé la perte de leur principale source de revenus », indique-t-on dans le document. En cause, la crise financière et les restrictions prises pour lutter contre le Covid-19. Ce qui s’est traduit, vers la fin de l’année écoulée, par une augmentation du taux des réfugiés syriens vivant dans la pauvreté : 89 % contre 55 %, un an plus tôt. Au moins 49 % d’entre eux souffraient d’insécurité alimentaire, selon l’approche consolidée CARI (Consolidated Food Security Indicator Approach) du PAM pour appréhender la sécurité alimentaire. Un taux qui tend à s’élever sans l’aide reçue.
Les programmes de protection sociale dont bénéficient les Libanais les plus vulnérables, qui devraient compenser l’impact des réductions de subventions, risquent d’être remis en cause en raison du manque de réserves en devises étrangères et de l’absence de stabilité politique nécessaire à leur mise en application, insistent encore la FAO et le PAM. « Ce qui affectera particulièrement les ménages libanais pauvres, qui comptent sur les services de protection sociale comme source de revenus, d’autant plus que les opportunités d’emploi restent rares », concluent-ils.
« Le pain, ligne rouge »
« La raison pour laquelle le Liban a été inclus dans le rapport est liée au fait que le risque de réduire les subventions sur les aliments, les médicaments, l’essence et surtout le pain, qui est l’aliment des pauvres, devient de plus en plus réel », explique à L’Orient-Le Jour, Maurice Saadé, représentant de la FAO au Liban. « Cela aura un effet dévastateur sur la sécurité alimentaire du pays, poursuit-il. Aujourd’hui (hier), le prix du paquet de pain a été augmenté de 500 livres passant de 2 500 à 3 000 livres. En arrêtant la subvention sur cette denrée, son prix pourrait atteindre les 10 000 livres libanaises et sera, par conséquent, inaccessible aux classes vulnérables. Ce qui se traduira par des répercussions sur la nutrition et sur la croissance des enfants. Le pain doit être une ligne rouge, d’autant que les pauvres en dépendent le plus. »
Pour la FAO et le PAM, il est important de savoir « si les mesures pour venir en aide aux familles pauvres, comme le projet des cartes alimentaires ou l’aide financière au profit de 147 000 familles dans le cadre du programme financé par la Banque mondiale, seront mises en application de manière efficace ». « La situation devient de plus en plus sérieuse pour le Liban », insiste encore M. Saadé, qui rappelle que « la crise économique et financière affecte non seulement la pauvreté et la faim, mais toute l’économie du pays ». « Le Liban importe près de 80 % de ses aliments, dont le prix augmente avec chaque hausse du taux de change, observe-t-il. À cela s’ajoutent les problèmes du chômage et de la pauvreté qui ont un impact sur le pouvoir d’achat des classes moyennes et pauvres. »
Pour le représentant de la FAO, « si le gouvernement compte réduire les subventions, il devrait introduire d’autres solutions, comme les cartes alimentaires ou l’aide en espèces comme le prévoit le Programme de la réduction de pauvreté de la Banque mondiale ».
De la nécessité des réformes
La levée des subventions affectera aussi les réfugiés syriens, qui se retrouveront dans une situation « pire » que celle des Libanais. « Les dernières statistiques montrent que 90 % des réfugiés syriens sont sous le seuil de pauvreté et 50 % d’entre eux souffrent d’insécurité alimentaire, constate M. Saadé. Ces réfugiés dépendent entièrement de l’assistance humanitaire, d’autant que leurs chances de trouver un emploi se sont amenuisées en raison de la crise économique. L’assistance internationale pour les réfugiés syriens devient donc de plus en plus essentielle. Nous espérons que les bailleurs de fonds réagiront à cette situation, sachant qu’ils ont été bien trop sollicités depuis dix ans que dure la crise en Syrie. »
La cinquième conférence de Bruxelles sur l’aide à apporter pour l’avenir de la Syrie et des pays de la région se tiendra dans les prochains jours. « Nous espérons que les bailleurs de fonds vont maintenir et peut-être augmenter leur niveau d’aide au Liban, pour le bénéfice des réfugiés syriens mais aussi des Libanais, d’autant que le niveau de pauvreté du pays est passé de 22 % à 50 %. »
Le tableau que brossent la FAO et le PAM est d’autant plus pessimiste qu’au niveau local, « les agriculteurs libanais n’arrivent pas à augmenter leur production, parce qu’ils n’ont pas accès aux produits dont ils ont besoin, qui sont tous importés ». « En 2020, la production agricole a chuté de 20 à 40 %, alors qu’on espérait qu’avec la dévaluation de la livre, le secteur agricole serait plus compétitif pour remplacer les importations et même augmenter l’exportation, déplore le représentant de la FAO. Cela devrait se réaliser au cours des prochaines années, mais entre-temps, les agriculteurs doivent survivre, surtout les petits producteurs, au risque de les voir rejoindre la cohorte des chômeurs dans les villes. Il faut donc trouver le moyen de les soutenir. »
Dans l’immédiat, la solution principale consiste à « former le gouvernement, sinon rien ne peut être fait », insiste M. Saadé. Et de conclure : « Des réformes doivent être introduites avant d’entamer les négociations avec le Fonds monétaire international (FMI). L’aide de fonds est nécessaire pour trouver des solutions sur le long terme. Elle pourrait aussi ouvrir la porte à d’autres assistances de pays donateurs qui, pour le moment, continueront à se limiter à l’aide humanitaire. Ils ne sont pas prêts à aider le gouvernement en l’absence des réformes nécessaires. »
commentaires (8)
Bassita, tant que les pourris ont assez de caviar pour subsister jusqu'à la saison nouvelle....
Politiquement incorrect(e)
19 h 40, le 27 mars 2021