C’est un nouvel espoir que la rencontre entre le chef de l’État et le Premier ministre désigné a insufflé hier, alors que personne ne s’attendait à un dégel aussi rapide dans les relations entre les deux hommes. Si rien n’est encore acquis à ce stade, à part une promesse de se rencontrer à nouveau lundi prochain – ce qui en soi est un léger pas en avant – on peut du moins en conclure qu’une percée a été effectuée sur le plan de la reprise de la communication. Elle serait en grande partie le fruit de nouvelles pressions internationales exercées notamment par Paris, qui aurait brandi avec ses partenaires européens le spectre des sanctions.
Selon les premières informations distillées de part et d’autre, l’entretien qui a duré une heure s’est déroulé dans le calme, mais n’a pas abouti pour autant à des résultats concrets. Les deux hommes sont toutefois convenus de poursuivre les échanges lundi prochain pour parvenir à la formation d’un cabinet le plus tôt possible.
« J’ai évoqué avec le président ma vision pour la formation d’un gouvernement composé de 18 ministres experts et j’ai écouté les remarques du chef de l’État », a annoncé Saad Hariri à sa sortie du palais présidentiel. « Le but essentiel du gouvernement est de mettre un terme à l’effondrement, a souligné le Premier ministre désigné. Il faut regagner la confiance de la communauté internationale », a-t-il dit.
Quant à la présidence de la République, elle s’est contentée de citer brièvement dans un tweet le Premier ministre désigné. « Nous nous sommes mis d’accord pour nous réunir à nouveau lundi et il y aura des réponses quant à la possibilité de former un gouvernement le plus tôt possible », a écrit Baabda en citant Saad Hariri. Selon des sources du palais citées par notre correspondante Hoda Chedid, « aucune mouture complète n’a été proposée », une tâche qui sera probablement à l’ordre du jour lundi prochain.
Des informations que confirment à L’Orient-Le Jour des sources du camp aouniste qui soutiennent que les questions de la « distribution des portefeuilles, de la taille du cabinet et des noms » seront évoquées lors de la prochaine rencontre.
Selon une source proche du courant du Futur, cette visite était principalement destinée à « ne pas pousser les Libanais encore plus au désespoir ». « Saad Hariri a axé son approche du problème sur le facteur humain principalement, réitérant devant le chef de l’État les raisons qui le poussent à s’attacher à cette formule de cabinet », poursuit-on de même source.
En amont de l’entretien Aoun-Hariri, le directeur de la Sûreté générale, le général Abbas Ibrahim, qui mène une médiation pour tenter de rapprocher les vues des protagonistes, s’était rendu quelques heures plus tôt au palais de Baabda, avant de se réunir avec le président du Parlement Nabih Berry, à Aïn el-Tiné. Une double réunion qui devait paver la voie, non pas tant à une solution imminente, mais au bon déroulement du tête-à-tête Aoun-Hariri et à calmer le jeu entre les différents protagonistes, devait-on apprendre de source informée.
Menaces réciproques
Depuis des mois, Michel Aoun et Saad Hariri ne se parlaient plus que par médias interposés, se lançant critiques et accusations mutuelles. Après l’échange d’une extrême hostilité qui a eu lieu mercredi soir entre les deux hommes, le mur du silence s’est tout d’un coup brisé. En dépit des menaces proférées de part et d’autre, et d’une mise en scène laissant croire à un nouveau round d’inimitié, c’est le contraire qui s’est produit.
Le chef de l’État avait haussé le ton mercredi soir en demandant au Premier ministre de céder la place à une autre personne capable de mener à bien cette mission ou de se rendre au palais de Baabda afin de former « immédiatement un gouvernement » en accord avec la présidence. Une menace que Saad Hariri ne s’est pas privé de réinvestir à son compte, invitant le président de prévoir à son tour l’opportunité d’organiser une élection présidentielle anticipée s’il n’était pas disposé à signer le décret de formation d’un cabinet de technocrates non partisans « tel que cela est requis », comprendre : sur la base de la feuille de route française.
Saad Hariri, qui s’est déjà entretenu avec le chef de l’État à seize reprises, estime avoir rempli déjà son devoir constitutionnel en soumettant au président une formule de 18 ministres technocrates qu’il refuse de modifier, même si par ailleurs il se dit prêt à faire preuve de flexibilité autour de certains noms de ministrables.
Baabda rechigne toujours à avaliser cette mouture à laquelle le chef de l’État considère n’avoir pas assez contribué. Il souhaiterait ainsi choisir des ministres qui lui sont proches et élargir le gouvernement pour y inclure 20 membres.
« Il faut reconnaître que l’expérience avec le gouvernement de Hassane Diab n’a pas été concluante. Des ministres comme Nassif Hitti, Marie-Claude Najm et Raymond Ghajar, théoriquement comptés dans notre camp, ont fait preuve d’une indépendance totale », confie un cadre issu du camp aouniste. On en déduit que le président et donc le courant aouniste souhaitent être rassurés quant à la loyauté des « experts » qui les représenteront au sein de l’exécutif. Un point de vue que le chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil a expliqué mercredi à l’ambassadeur de Russie Alexandre Rodakov, avec lequel il s’est entretenu pendant plus de deux heures. Le gouvernement mais également les dossiers de la région étaient au menu de l’échange, indique une source proche du CPL.
commentaires (14)
Le mur a été consolidé, et la brèche d'espérance vite obturée par le parrain du régime.
Esber
22 h 02, le 19 mars 2021