Rechercher
Rechercher

Culture - Portrait

Rasha Slim, l’Antigone libanaise ?

Les mots et les paroles de cette autrice injustement méconnue avant l’assassinat de son frère Lokman Slim sont toujours d’une brûlante actualité. Mais qui est cette digne et courageuse femme ?

Rasha Slim, l’Antigone libanaise ?

Rasha Slim, alias Rasha al-Ameer, digne et stoïque dans sa douleur. Photo Mohammad Yassine

Dans l’égarement et le choc de sa douleur et de son malheur, Rasha Slim, plus connue sous son nom de plume Rasha al-Ameer, a trouvé la force et la lucidité nécessaires pour affronter la houle de haine qui a emporté son frère Lokman Slim ce 4 février, assassiné à l’aide d’un revolver muni d’un silencieux. Sans cesser de demander justice pour un crime qui ne doit pas rester impuni, en Antigone inébranlable et courageuse, le poing levé, elle est restée droite dans ses bottes face aux forces de l’ombre, avec son verbe chargé d’humanisme et de générosité.

D’une mère syro-égyptienne protestante et d’un père chiite qui fut longtemps député (il a toujours rêvé d’un Liban sans carcan), Rasha Slim est née à Beyrouth, y a fait ses études secondaires puis a continué sa formation universitaire à Paris où elle s’était exilée aux premières canonnades de la guerre au Liban.

Lire aussi

Le meurtre de Lokman Slim ne doit pas être dépolitisé

Son premier roman, Yawm al din (Dar al-Jadeed, 2002 – Le jour dernier, Actes Sud, 2009), est un vrai coup de maître – parfaitement et délibérément à contre-courant des ouvrages de cette époque écrits en toute facilité à la hâte –, une narration à la stylistique ciselée, dans une langue arabe altière et précieuse. Un livre puissant à la force tranquille, paru il y a presque deux décennies, dans ces années où l’on pressentait la ravageuse et fiévreuse montée du fondamentalisme musulman. Roman émouvant qui donne à réfléchir sur les valeurs de l’éducation ainsi que sur les interdits et les tabous qui bâillonnent et formatent les sociétés.

Rasha Slim, alias Rasha al-Ameer, digne et stoïque dans sa douleur. Photo Mohammad Yassine

Menacé de mort, un imam d’une quarantaine d’années se confesse à une femme passionnément aimée. Se profile alors une nouvelle vision du monde, de l’homme et de Dieu. Bien sûr, les références religieuses et politiques sont innombrables dans ces pages où bouillonne la sève de l’émancipation, de la libération, le refus de tout totalitarisme ou dictature, même pour des prétextes religieux. Rasha al-Ameer y lance un vibrant appel à l’humanisation, à l’inaliénable et inendigable souffle de la liberté, elle y ausculte le rôle de la religion face à la modernité, et la présence tutélaire de la femme, cœur battant de l’homme.

Journaliste mais aussi cofondatrice avec son frère Lokman de la remarquable maison d’édition Dar al-Jadeed, Rasha al-Ameer y a toujours occupé une place non seulement prépondérante mais particulière de par ses choix pointus et son flair infaillible des titres et des auteurs retenus par cette maison au statut éminemment intellectuel. Une maison qui cherche une écriture nouvelle et une large ouverture d’idées. Et qui, ni financièrement ni par l’étendue des lecteurs, n’a finalement trouvé un écho favorable, que ce soit au Liban ou dans le monde arabe.

Lire aussi

Umam, la mémoire libanaise de Lokman Slim

Et pourtant, sur la liste de ses auteurs, tous des esprits libres et affranchis des idées étroites, figurent des romanciers, des poètes et des essayistes ou encore des théologiens (parfois en version bilingue), tels Ahmad Beydoun, Hassan Daoud, Abbas Beydoun. Et par un paradoxal et ironique coup de pied de la sombre histoire qui plane sur la région et la situation « iranisée » à outrance au Liban, Dar al-Jadeed a été la première maison d’édition arabe à publier Mohammad Khatami, qui n’était pas encore président de la République islamique d’Iran…

Avec un remarquable dynamisme et par-delà son voile de deuil et de souffrance, Rasha al-Ameer a fait face à toutes les caméras des télévisions locales qui voulaient fouiller son cœur et ses paroles.

« Deux grands projets de mon frère lui tenaient à cœur. Il était bibliomane avisé et bibliophile averti, a-t-elle déclaré. C’était un érudit, un chercheur, un amoureux fou des livres qui fréquentait assidûment toutes les librairies et bibliothèques, lui le philologue polyglotte qui maniait plusieurs langues (latin, grec ancien, français, anglais, allemand, sans oublier un arabe des plus purs). Héritier des Bassatina, il avait le sens – et il nous l’a transmis – du détail, de la précision, de la patience, du labeur. Ses projets, ceux chers à son cœur, étaient dans l’esprit même de la Nahda et de la liberté intellectuelle. Et je parle des deux collections “Tabq el-Assl” et “Bi Chahadat el-Assl”, ainsi que de la série des cahiers “Hayya Bina”, avec les écrits et textes, publiés dans leur intégralité, de Taha Hussein, Abdallah al-Aalayli, Mohammad Chameseddine, Habib Zayyat, Hussein Murdan, Ismaïl Mouzher… Et pour ces ouvrages édités à Dar al-Jadeed, cela allait de la poésie jahilya à la croix dans l’islam, en passant par l’érotisme des poèmes nus, la femme en temps de démocratie… Des livres à frontières et ciel ouverts qui parlent sans fard de la vie et des civilisations anciennes, dénonçant l’arbitraire du fascisme et toute omerta maffieuse. » « Il est difficile de résumer, de cantonner et d’emprisonner Lokman dans un espace ou des vocables. Ou encore dans une seule image réductrice.

Je n’ai pas une phrase pour l’évoquer, mais un flot de paroles. Il va nous manquer cruellement. Nous vivions à son ombre. Nous vivions à sa lumière, de sa lumière. C’était le mouallem, le maître », conclut l’Antigone libanaise, qui ne cessera pas un instant d’honorer son frère, sa mémoire et son œuvre.

Dans l’égarement et le choc de sa douleur et de son malheur, Rasha Slim, plus connue sous son nom de plume Rasha al-Ameer, a trouvé la force et la lucidité nécessaires pour affronter la houle de haine qui a emporté son frère Lokman Slim ce 4 février, assassiné à l’aide d’un revolver muni d’un silencieux. Sans cesser de demander justice pour un crime qui ne doit pas rester impuni,...

commentaires (4)

« Yawm ed dine » est un livre magistral, monumental que je recommande à tous ceux qui ont envie de lire un vrai chef d’œuvre qui, au-delà de la beauté d’une langue arabe que Rasha al Ameer maitrise à la perfection, déconstruit méticuleusement, avec brio et une grande rigueur l’hypocrisie religieuse. Courage Rasha. Loqman est une grande perte pour le Liban. Que Dieu ait son âme.

Abichaker Toufic

23 h 41, le 15 février 2021

Tous les commentaires

Commentaires (4)

  • « Yawm ed dine » est un livre magistral, monumental que je recommande à tous ceux qui ont envie de lire un vrai chef d’œuvre qui, au-delà de la beauté d’une langue arabe que Rasha al Ameer maitrise à la perfection, déconstruit méticuleusement, avec brio et une grande rigueur l’hypocrisie religieuse. Courage Rasha. Loqman est une grande perte pour le Liban. Que Dieu ait son âme.

    Abichaker Toufic

    23 h 41, le 15 février 2021

  • La renaissance du Liban est résumée magistralement dans la rencontre de deux géants : le père Slim, musulman, et de la mère Slim, chrétienne, pour nous donner Lokman et Rasha, qui représentent la renaissance de l'humanisme, de la civilité et du progrès que le Liban a toujours clamé l'être!! Je me donne un devoir de lire leurs pensées dans leurs publications!

    Wlek Sanferlou

    14 h 40, le 15 février 2021

  • """Rasha Slim, l’Antigone libanaise ?""" (((?))) L’heure est au recueillement, bien sûr. Les points sont bannis des titres, mais pourquoi celui d’interrogation au lecteur ? Même Françoise Giroud le déconseillait. Le seul hommage à lui rendre est de relire l’ouvrage de Rasha, quand certains hommages, dans ce journal comme dans "Le Monde" relèvent de la bonne conscience, de l’incantation pour flatter son ego. Au Liban, LE pays-message, des gens de lettres laissent leurs vies pour leurs idées, ou des reporters pour des "photos compromettantes" et laissés proies faciles pour leurs tueurs. Lokman rejoindra la longue liste des morts pour leurs convictions, et sans doute sera oublié comme Joe Bejjani abattu chez lui, dans sa localité, à la veille du dernier Noël, en direct (la vidéo a fait le tour du monde) . Nul ne peut soigner la douleur de Rasha, sa maman, et la famille d’amis de Lokman cœur de Cèdre. Lokman cœur de Cèdre.

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    13 h 07, le 15 février 2021

  • On se demande pourquoi des émissions du genre « Apostrophe » ou encore « Bouillon de culture » où la « grande librairie » n’ont jamais vu le jour sur nos multiples chaînes télévisées où on relate cette culture riche pour éclairer les libanais au lieu de les lobotomiser avec les séries turques qui propagent la haine et l’esprit de vengeance archaïque d’un autre siècle et dont les libanais raffolent. la culture ça s’acquiert alors pourquoi la contenir au lieu de la propager. On entend toujours parler des hommes de lettres une fois que leurs œuvres sont traduites et lues par les occidentaux même Gebran Khalil Gebran est plus connu et vénéré dans le monde plutôt que dans son propre pays, le Liban, et pourtant ce ne sont pas les médias qui manquent dans notre pays.

    Sissi zayyat

    11 h 20, le 15 février 2021

Retour en haut