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Nos Lecteurs ont la Parole

Ce soir-là je ne pouvais que pleurer

Lokman Slim est retrouvé assassiné. Mes larmes coulent et ne s’arrêtent plus. Comment expliquer à ce collègue qui me dévisage au bureau pourquoi j’avais mal ? Comment lui dire que mes larmes coulaient pour une personne que je n’ai jamais vue? Comment lui justifier, à lui Français, que l’amour d’un pays pouvait faire autant de mal et que face à l’oppression, du haut de mes 26 ans, ce soir-là je ne pouvais que pleurer.

Je le regardais en me disant qu’entre lui et moi, le fossé n’avait jamais été aussi grand, mais que coûte que coûte, ce soir-là je choisirais les bons mots pour le sensibiliser au drame qu’était l’assassinat de Lokman Slim. Pour lui raconter le poids de la perte de cet homme, de son esprit libre, engagé, son élan culturel inlassable, sa vision d’un Liban laïc, gracieux, avenant. Mais aussi pour lui décrire l’élégance surhumaine de ses proches qui m’avait prise de court. Leur dignité que j’enviais, leur confiance absolue en cette trajectoire libre qu’avait choisie Lokman, et puis leur disposition admirable à parler de l’acte barbare, à explorer toutes ses dimensions, et surtout, à s’indigner devant l’incapacité des meurtriers et de leurs instigateurs à comprendre et dialoguer avec l’autre.

« Stéphane, je lui dis, cet homme était en train de documenter notre mémoire collective, il avait la conviction que promouvoir une culture de “mémoire” pouvait impacter le conflit politique actuel. » « Stéphane, je lui dis, on a tué un homme qui avait des convictions intellectuelles… »

Je le regardais en l’implorant de croire qu’au milieu de tous ses maux, mon pays portait toujours de grands hommes et de grandes femmes, des hommes et des femmes dont l’esprit et les propos s’étendaient bien au-delà d’un quotidien où l’oppression existe et où le meurtre est solution. Je le regardais mais ne le voyais plus, je me demandais ce que Lokman Slim aurait pu dire ou faire demain, s’il était toujours en vie. Je me demandais si j’aurai la force d’assumer mon discours la prochaine fois que ce même collègue parisien voudra savoir comment allait le Liban. J’étais fatiguée, mes larmes ne coulaient plus.


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Lokman Slim est retrouvé assassiné. Mes larmes coulent et ne s’arrêtent plus. Comment expliquer à ce collègue qui me dévisage au bureau pourquoi j’avais mal ? Comment lui dire que mes larmes coulaient pour une personne que je n’ai jamais vue? Comment lui justifier, à lui Français, que l’amour d’un pays pouvait faire autant de mal et que face à l’oppression, du haut de mes 26...

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