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Centenaire Grand Liban : lecture historique

La Constitution de 1926 et le pacte de 1943

La Constitution de 1926 et le pacte de 1943

Une correspondance du général Gouraud, datée du 5 septembre 1921, informant le département français des Affaires étrangères de la non-participation des musulmans à la première célébration de la proclamation du Grand Liban.

La principale difficulté à laquelle se heurta le jeune État du Grand Liban proclamé le 1er septembre 1920 fut le refus de la majorité des sunnites d’y être intégrés. Cette majorité s’évertuait à entraîner dans son sillage les décideurs des autres communautés musulmanes. Elle n’y réussit que partiellement.

Malgré le boycottage des premières années du Grand Liban, les sunnites finirent par accepter, avec beaucoup de réticence, leur incorporation à cette entité. En 1925-1926, leurs représentants participèrent activement aux travaux de la commission du statut organique issue du Conseil représentatif. Il est vrai que leurs associations et groupements refusèrent, en janvier 1926, de répondre collectivement au questionnaire qui leur fut adressé à propos de ce statut. Mais un grand nombre de leurs dirigeants s’était déjà exprimé, par écrit, sur le sujet en 1925, lorsque le général Sarrail lança les consultations individuelles.

En janvier 1926, la révolte druze qui se voulait indépendantiste, nationaliste et unioniste était encore active. Les notables sunnites craignaient de donner l’impression de trahir les idéaux de cette révolte en acquiesçant au projet du Grand Liban et en participant à l’élaboration de la Constitution de cet État. Cela n’empêcha pas leurs délégués de s’activer lors de la discussion des articles de la Constitution en mai 1926, et de voter à l’unanimité, avec leurs collègues des autres communautés, le texte de cette Constitution. Il est vrai qu’ils avaient, au préalable, contesté les articles relatifs à l’indépendance, au drapeau et à l’inviolabilité des frontières (art. 1 à 5).

Le vote à l’unanimité de la Constitution consolida l’entité libanaise. Le premier président de la République, Charles Debbas, se montra très ferme sur les questions de l’indépendance et des frontières. Le 13 juin, il prononça un discours à l’Université Saint-Joseph ; pour désamorcer certaines rumeurs qui circulaient à propos des frontières du Liban, il affirma que ces rumeurs étaient injustifiées et il ajouta : « La Constitution a consacré l’inaliénabilité de toute parcelle du territoire libanais, je déclare que les frontières de la République libanaise sont intangibles. »

Quelques jours plus tard, il accorda une interview sur le même sujet au journal La Syrie de Beyrouth et il fit des déclarations semblables.

Le tournant sunnite

Les partisans du Grand Liban se considéraient donc solidement armés : la Constitution votée à l’unanimité par le Conseil représentatif, devenu Chambre des députés, a consacré dans les articles 1 et 2 leurs revendications relatives aux frontières. Y revenir paraissait quasi impossible. Pourtant, les unionistes syro-libanais poursuivirent leurs pressions et continuèrent à organiser des rencontres, à lancer des pétitions et à rédiger des articles à ce sujet.

En 1936, les nationalistes syriens optèrent pour la signature d’un traité avec la France qui devait conduire à l’indépendance. Mais pour ce faire, il fallait renoncer à l’idée de la Grande Syrie et reconnaître les frontières du Liban. Cela sema le trouble dans l’esprit des musulmans libanais. Leurs notables se réunirent en congrès, en mars 1936, à Beyrouth. Des divergences apparurent entre les partisans de l’unité inconditionnelle avec la Syrie et un nouveau courant qui donnait la priorité à la question de la souveraineté et de l’indépendance, quitte à laisser à plus tard celle de l’unité. Les défenseurs de ce courant, Kazim Solh, Adel Osseirane et Chafic Lutfi, furent empêchés de présenter leurs arguments. Ils eurent recours à la presse pour le faire. Solh fit alors paraître un long article intitulé « Le problème de l’union et de la séparation au Liban ». Cet article fut réimprimé sous forme de brochure. Il y expliqua que si on exigeait le retour du Liban à ses frontières de 1918, il se jetterait dans le giron de la France, alors que la priorité était de mettre fin au mandat, puis il écrivit :

« … Nous ne voulons pas forcer une grande partie des habitants du littoral à se joindre malgré eux à l’unité syrienne (…).

« Je ne considère pas comme une grande catastrophe que le Liban conserve sa configuration actuelle aussi longtemps qu’il le désire (…) à condition qu’il adopte dès aujourd’hui l’idéologie et le nationalisme arabes. Sa séparation d’avec la Grande Syrie arabe est pour moi semblable à la séparation de la Syrie arabe de l’Irak arabe… »

La position de Solh constituait un grand tournant dans l’attitude de la communauté sunnite à l’égard du Liban. La brèche ouverte allait s’élargir. Cette tendance était corroborée par la nouvelle orientation de la politique de Damas et par une prise de position claire affichée par les minorités chrétiennes de Syrie. Déjà en 1933, celles-ci se déclarèrent prêtes, en cas de retrait de la France, à collaborer avec les nationalistes. Elles exigeaient cependant que le gouvernement syrien élaborât une législation destinée à donner effet, en ce qui les concernait, « aux garanties permanentes de droit public inscrites dans la Constitution (…) ». « Quel que soit l’édifice juridique qui doit être élaboré, soulignèrent-elles, la pierre angulaire de cet édifice ne peut être que l’existence du Liban en tant qu’État indépendant, destiné à constituer pour les minorités d’Orient un foyer, un centre de rayonnement et éventuellement un refuge. »

Le pacte de 1943

Par ailleurs, dans le traité franco-syrien signé à Paris le 8 septembre 1936, Damas obtenait l’annexion des États des alaouites et du Djebel druze qui, lors de la création de l’État de Syrie le 1er janvier 1925, avaient refusé d’intégrer l’unité.

Mais le traité franco-syrien ne fit aucune allusion à la zone côtière, ni à la Békaa, ce qui fut interprété comme un renoncement définitif de Damas à ces territoires. De son côté, le Liban signa avec la France, le 13 novembre 1936, un traité qui préservait l’intégrité de son territoire.

La France ne ratifia pas ces deux traités. La cession à la Turquie, en juin 1939, du sandjak d’Alexandrette acheva de la discréditer aux yeux des Syriens. La défaite militaire qu’elle subit en 1940 ne contribua pas à hausser son prestige aux yeux des peuples qu’elle gouvernait. Malgré la promesse d’indépendance proclamée par Catroux, au nom du général de Gaulle en juin 1941, la majorité des populations du Liban et de la Syrie était convaincue que le rôle de la France au Proche-Orient était terminé et qu’il valait mieux organiser l’avenir sans elle.

Toutes ces données ont convaincu les décideurs sunnites libanais de modifier leur stratégie et d’accepter l’intégration de leur communauté dans l’État libanais. Mais ils imposèrent leurs conditions dont la principale était le rejet du mandat français. Anglais et Américains, ayant des rapports tendus avec le chef de la France libre, le général de Gaulle, les encouragèrent à suivre cette voie. C’est dans cette atmosphère régionale et internationale qu’est né le pacte islamo-chrétien de 1943, dit pacte national, parrainé par Béchara el-Khoury, du côté chrétien, et par Riad Solh, du côté musulman. Voici comment el-Khoury définit la formule dont il était l’un des promoteurs :

« Le pacte, écrivit-il, n’est autre chose qu’une entente entre les deux éléments dont se compose la population de la patrie libanaise, en vue de fondre leurs différentes tendances dans une idéologie commune : indépendance complète et achevée du Liban sans recourir à la protection de l’Occident ni à l’union ou à la fédération avec les pays d’Orient. »

Ce pacte consolida l’entité libanaise et lui conféra, grâce au ralliement de l’élément musulman, une légitimité interne totale et facilita le dénouement de la crise avec la France qui, devant la rencontre des deux volontés chrétienne et musulmane, a dû s’incliner et

reconnaître l’indépendance du Liban. Les structures de l’État durent subir une mutation profonde pour pouvoir conférer à l’élément musulman la quote-part qui lui

revenait dans la direction de la res publica.

Avec le pacte de 1943, les communautés musulmanes libanaises menaient, avec les communautés chrétiennes, une expérience unique en son genre, dans tous les pays du Proche-Orient. Cette expérience, au moment où elle fut tentée, jouissait d’un appui arabe et international incontestable.

Le pacte ne fut pas uniquement un accord intercommunautaire libanais, il avait d’autres dimensions : il était également un pacte islamo-chrétien moyen-oriental, conclu sous le parrainage des puissances

alliées. Les garanties qu’il offrait aux minorités chrétiennes de la région, en attribuant à leurs coreligionnaires libanais la majorité des sièges de la Chambre (5 députés musulmans pour 6 députés chrétiens), ainsi que la présidence de la République, avec ses larges attributions,

relevaient d’un consensus arabe régional, d’un consensus

international et d’un consensus de ces minorités elles-mêmes. C’est ainsi que l’entité libanaise fut consolidée, mais malheureusement, ce ne fut que pour un temps.

La principale difficulté à laquelle se heurta le jeune État du Grand Liban proclamé le 1er septembre 1920 fut le refus de la majorité des sunnites d’y être intégrés. Cette majorité s’évertuait à entraîner dans son sillage les décideurs des autres communautés musulmanes. Elle n’y réussit que partiellement.Malgré le boycottage des premières années du Grand Liban, les...