Alors que le Liban en crise est sans gouvernement depuis la démission du Premier ministre Hassane Diab le 10 août dans la foulée de l'explosion meurtrière au port de Beyrouth, le président de la République Michel Aoun, qu'un bras de fer oppose au Premier ministre désigné Saad Hariri, s'est défendu vendredi de bloquer le processus. Trois mois après sa désignation, M. Hariri n'a toujours pas réussi à mettre sur pied son équipe, et l'impasse politique semble partie pour durer, face aux divergences profondes entre le Premier ministre désigné et le chef de l'Etat.
"Récemment, de nombreuses analyses et articles de presse ont évoqué la position du président de la République au sujet de la formation du gouvernement, et avaient pour but de déformer (la réalité) et faire croire que le président Aoun est celui qui bloque le processus face au Premier ministre désigné", a indiqué la présidence libanaise dans un communiqué. "Pour démentir tous ces propos et les prises de position de certaines personnes concernées par le processus de formation du gouvernement, la présidence indique que le chef de l'Etat n'a pas demandé à obtenir le tiers de blocage au sein du prochain gouvernement", souligne Baabda. Le tiers de blocage signifie que si l'une des formations au pouvoir détient le tiers du nombre total de ministres au sein du cabinet, elle peut menacer de le faire chuter en cas de démissions de ces ministres. Certains observateurs et responsables accusent le Courant patriotique libre dirigé par Gebran Bassil et fondé par le président Aoun de vouloir détenir ce tiers de blocage.
"Bassil ne se mêle absolument pas de cela"
"Les propos qui accusent le député Gebran Bassil de bloquer le processus de formation du cabinet se multiplient, alors qu'en réalité, il ne se mêle absolument pas de cela. Le groupe parlementaire (du CPL) a ses positions politiques qu'il exprime", s'est encore justifié la présidence, toujours sans nommer les parties qu'elle accuse.
"Certains prétendent que le Hezbollah fait pression sur le chef de l'Etat au sujet de la formation du gouvernement. Cela est absolument faux, car le Hezbollah ne se mêle d'aucune décision du chef de l'Etat, notamment la formation du gouvernement. Le parti a ses positions politiques qu'il exprime", ajoute Baabda. "Quant aux choix des ministres, leur nomination et la répartition des portefeuilles ministériels, cette question n'est pas le monopole du Premier ministre, comme le prouve l'alinéa 4 de l'article 53 et l'alinéa 2 de l'article 64 de la Constitution, ce qui prouve que le président Aoun a le droit, de par la Constitution, d'approuver l'intégralité de la composition du gouvernement avant d'apposer sa signature", affirme encore la présidence.
Le chef de l'Etat reproche, entre autres, à Saad Hariri d’interdire au camp présidentiel de nommer les ministres chrétiens ou un autre ministre sunnite, alors qu’il se permet de nommer un ministre chrétien. Le patriarche maronite, Béchara Raï, et le Premier ministre sortant, Hassane Diab, tentent chacun de leur côté de rapprocher les points de vue entre MM. Aoun et Hariri, qui ne se sont plus vus depuis plus d'un mois. Mais ces médiations sont jusque-là restées sans succès, alors que le président du Parlement, Nabih Berry, connu pour ses médiations politiques, fait plutôt profil bas. Des observateurs s'attendent à une médiation du directeur de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim, lui aussi connu pour ses talents de négociateur.
"Circonstances très pressantes"
"Ce n'est pas au président de la République de renouveler son invitation au Premier ministre désigné pour se rendre au palais de Baabda. Le palais attend toujours que le Premier ministre désigné s'y rende avec une proposition de gouvernement qui respecte les critères de représentativité équitable et dans le respect de la Constitution, alors que les circonstances sont très pressantes, à plusieurs niveaux, et nécessitent la formation d'un cabinet", souligne la présidence. "Le bureau de presse de la présidence met ces informations à disposition de l'opinion publique, en espérant qu'elles mettent un terme aux analyses et prises de positions qui contredisent cela", conclut Baabda.
Les motifs du blocage restent les mêmes et portent sur une divergence de vues profonde entre Saad Hariri et Michel Aoun sur la façon d’aborder la question de la composition de la nouvelle équipe ministérielle. À cela est venue s’ajouter comme on le sait un nouvel élément de complication, celui de la vidéo ayant récemment fuité de Baabda lors d’un entretien Aoun-Diab et dans laquelle on entend le président traiter Saad Hariri de "menteur".
Dans ce contexte, une source proche de la Maison du Centre, résidence de M. Hariri, a démenti vendredi un article du quotidien Al-Joumhouria, selon lequel le Premier ministre désigné a envoyé un message écrit au président Aoun dans lequel il lui affirme avoir "dépassé la (polémique) concernant la vidéo fuitée qui comporte une insulte à sa personne". Cette source anonyme citée par notre correspondante Hoda Chedid a estimé que "la partie qui a affirmé cela à Al-Joumhouria voulait transmettre le message suivant : +le président Aoun ne prendra pas l'initiative de contacter Saad Hariri pour l'inviter au palais de Baabda+ (...)". "Cela prouve que la présidence insiste à adopter les critères fixés par Gebran Bassil pour la formation du gouvernement, malgré tous les démentis à ce sujet", estime cette source. "Le message de Saad Hariri est clair : un gouvernement en fonction du critère constitutionnel, de l'intérêt national, et des règles fixées par l'initiative française", a conclu cette source, en référence à la feuille de route annoncée le 1er septembre à Beyrouth par le président français, Emmanuel Macron. Cette feuille de route, dont l'intégralité n'a jamais été rendue publique, prévoit un gouvernement "de mission" composés d''experts".
commentaires (15)
Qu’attend Hariri pour envoyer sa mouture refusée par Aoun à tous les médias pour qu’enfin les libanais puissent faire leur propre opinion sur les deux protagonistes à savoir lequel ment et lequel veut sauver le pays? C’est louche cette discrétion soudaine et ces mystérieux conflits qui commencent à sentir mauvais pour les deux concernes et leurs acolytes. Le gros mensonge du siècle que Aoun veut valider est celui de la non ingérence de son Gendron alors que tout le monde sait qui détruit le pays depuis son accession au pouvoir. Lorsqu’on n’est pas à la hauteur de la tâche on ne délègue pas on démissionne. Bande d’incapables.
Sissi zayyat
13 h 22, le 23 janvier 2021