L’année vient de commencer, mais personne ne se fait d’illusions : 2021 ne sera probablement pas le prélude d’un grand changement sur le plan politique. Pour l’establishment, c’est au cours de l’année 2022 que tout se jouera avec l’avènement de deux échéances majeures qui pourraient redessiner une partie du paysage politique : les législatives qui devront avoir lieu en mai, à moins que la classe politique ne soit tentée une fois de plus de proroger le mandat actuel de la Chambre ; puis, en fonction notamment de cette première échéance et de son bon déroulement, la présidentielle en octobre.
Les partis politiques préparent d’ores et déjà le terrain. Pour certains, il s’agit de préserver les acquis. Pour d’autres, et c’est le cas de la majorité des protagonistes, d’améliorer leur score et leur présence en espérant récupérer une partie de leur base que la révolution a séduite.
Beaucoup de choses se sont produites depuis les dernières législatives de mai 2018. L’humeur de la rue a foncièrement changé sous la pression de la triple crise économique, politique et sanitaire, un changement qui s’est notamment manifesté par le déclenchement d’une révolte populaire inédite, en octobre 2019, contre la classe politique. L’effondrement économique et les secousses cumulées ont érodé les alliances entre les forces politiques et plusieurs partenariats ont été mis à rude épreuve. Les cartes sont rebattues et les partenariats sont de nouveau en gestation. Pour l’ensemble des formations politiques, 2021 sera l’année des tests en laboratoire avant l’avènement des grandes échéances.
« Ce sera une année d’observation et de transition, où les uns et les autres vont continuer à se regarder en chiens de faïence et affûter leurs armes, au sens figuré au moins, pour préparer les grandes échéances à venir », commente Karim Émile Bitar, directeur de l’Institut des sciences politiques à l’USJ. Les enjeux sont d’autant plus complexes que les différentes formations politiques sont aujourd’hui radicalement divisées aussi bien concernant le calendrier des législatives que sur la loi à adopter pour ces élections.
Les Forces libanaises et les Kataëb, qui pourraient sortir renforcés en cas d’élections anticipées, les réclament depuis un certain temps, en raison de l’effondrement du système en place. Ayant rejoint assez tôt, notamment en ce qui concerne les Kataëb, les rangs de l’opposition, les deux formations, qui n’ont pas été huées autant que les autres dans la rue, peuvent encore tabler sur leurs bases populaires respectives pour s’attirer des voix et récupérer une partie des déçus du aounisme.
Le Courant patriotique libre, justement, arrivé en tête en 2018, est sûrement la formation qui risquerait de perdre le plus de sièges en cas d’élections anticipées. C’est au président et à son parti qu’une large part de l’opinion publique fait assumer une grande partie de la responsabilité de la faillite du pays et de l’effondrement.
« Les autres partis ne veulent pas entendre parler d’élections législatives anticipées. La majorité d’entre eux ne veut même pas que les législatives aient lieu en 2022 et souhaite donc proroger le mandat actuel », confie un cadre des FL. Une situation qui pourrait arranger le CPL qui aurait avantage à ce que le successeur de Michel Aoun soit élu par la Chambre actuelle, dans laquelle les partis du 8 Mars ont la majorité.
La popularité de Saad Hariri
Officiellement, personne ne souhaite repousser les élections. Mais déjà les partis remettent sur la table l’épineuse question de la loi électorale, une façon plus ou moins subtile de repousser l’échéance du scrutin.
Dans leur ensemble, les partis chrétiens, que la loi de 2017 a largement favorisés, sont foncièrement opposés à toute nouvelle loi qui leur retirerait leurs acquis, à savoir une large frange de députés élus par leur communauté. Au total, près de 55 députés sur 64 ont été élus par des voix chrétiennes. Pour les FL notamment, la loi de 2017 est une ligne rouge qu’il ne faut pas franchir. Or, et c’est précisément là où le bât blesse, aussi bien le courant du Futur que le mouvement Amal affirment à l’unisson vouloir en finir avec ce qu’ils dénoncent comme une culture de la « ghettoïsation confessionnelle » générée par la loi en vigueur. « Réduire l’élection des députés de la nation à un vote confessionnel va sans aucun doute à l’encontre de l’unité du pays », commente Moustapha Allouche, membre du bureau politique du courant du Futur dont les assises ont entamé des discussions et débats en vue de présenter une nouvelle loi électorale. Celle-ci est souhaitée comme un rectificatif aux déviations occasionnées par la loi en vigueur et « non pas parce qu’elle a été défavorable au Futur », assure M. Allouche. Sa formation avait perdu une douzaine de députés lors des législatives de 2018. Cet ancien député réfute toutefois que les pertes du groupe haririen soient dues aux écueils de la loi et admet qu’il faut plutôt les mettre sur le compte d’un « recul de la popularité de Saad Hariri à l’époque ».
Les chances de voir une nouvelle loi adoptée sont toutefois d’autant plus minimes qu’il a fallu un marchandage corsé et des mois de tiraillements et de calculs d’épicier pour s’entendre sur la loi de juin 2017. « On voit mal comment ils pourraient s’entendre aujourd’hui. Tout au plus, il pourrait y avoir des amendements à introduire au texte en vigueur », note Karim Émile Bitar.
Quid de la présidentielle ?
Autant de variables qui rendent l’horizon de la présidentielle, un enjeu qui dépend étroitement de la prochaine majorité parlementaire et du rapport de forces internationales et régionales, encore plus imprévisible. « Il est encore trop tôt pour prédire les tendances de la présidentielle, ou encore le profil des candidats en lice », notent en chœur plusieurs responsables politiques. De tout temps, l’élection du président de la République a été le fruit d’un croisement entre la volonté intérieure et celle des puissances étrangères. D’ici à 2022, elle le sera encore plus tant les enjeux sont complexes et aléatoires. « Ce à quoi l’on assiste actuellement ne préfigure pas forcément de la campagne présidentielle », analyse Karim Bitar en allusion aux velléités attribuées à Gebran Bassil de vouloir briguer la première magistrature. « Il se passe tellement de choses dans le monde que les cartes vont être chamboulées plusieurs fois avant cette échéance », ajoute le politologue.
Un avis que partage Moustapha Allouche, qui laisse entendre que plusieurs autres personnalités peuvent émerger d’ici là. Outre les candidatures « naturelles » d’acteurs comme le chef des FL Samir Geagea, celui des Marada Sleiman Frangié, le commandant de l’armée Joseph Aoun, mais aussi celle du chef du CPL Gebran Bassil qui a vu ses chances se réduire comme peau de chagrin après les sanctions américaines à son encontre, de nouvelles figures pourraient apparaître. On évoque ainsi le nom de Michel Moawad qui entretient d’excellentes relations avec l’administration américaine, ou encore de personnalités moins voyantes issues de la société civile. « L’ère des présidents forts est révolue. La communauté internationale tend désormais à leur préférer des profils d’experts, comme ceux de Moustapha Adib, ancien candidat à la présidence du Conseil, et de Hassane Diab, le Premier ministre démissionnaire », commente un analyste proche du 14 Mars.
Bien que le Hezbollah soit un facteur déterminant dans la bataille présidentielle, Moustapha Allouche est convaincu que ce dernier ne restera pas nécessairement attaché à soutenir coûte que coûte Gebran Bassil. « Le Hezbollah a maintenu son alliance avec Michel Aoun par nécessité et non par conviction », dit-il.
commentaires (7)
En 2022..il ne restera, mais alors vraiment rien de ce pauvre pays, au rythme ou on va. De l’insouciance et de l’égoïsme des dirigeants, à la lâcheté et l’apathie du peuple, très peu de gens ont mis vraiment le doigt dans la plaie et ont compris d’où vient le VRAI problème dont tout les autres découlent et comment le changer EN PROFONDEUR mais bon n’est pas HAKIM qui veut.
Liban Libre
13 h 08, le 18 janvier 2021