Il y a quelques jours (3 janvier), une délégation envoyée par Moqtada Sadr a rendu visite au patriarche de Babylone des chaldéens, le cardinal Louis Raphaël Sako, pour lui annoncer que les biens immobiliers soustraits abusivement aux chrétiens d’Irak, après l’invasion américaine de 2003 et l’exode massif des chrétiens de Bagdad, Kirkouk et d’autres villes irakiennes, leur seront restitués et qu’un comité a été créé pour rétablir la justice en mettant fin aux violations des droits de propriété des chrétiens, même lorsqu’elles ont été commises par le même mouvement sadriste.
Le patriarche Sako, souligne l’agence Fidès qui rapporte l’information, a remercié l’homme politique irakien de cette initiative, soulignant « l’importance de faire prévaloir la protection du bien commun de la nation » et de le placer au dessus de tout intérêt privé ou sectaire.
Cette bonne nouvelle a succédé au vote unanime, par le Parlement irakien, d’un projet de loi instituant la fête de Noël comme jour férié. La décision a été confirmée le 17 décembre à quelques jours du 25 décembre, selon l’agence de presse catholique citée. Là aussi, le cardinal Sako a remercié le président du pays et les parlementaires dans un message « pour le vote exprimé pour le bien de leurs compatriotes chrétiens ».
La décision du Parlement et celle de Moqtada Sadr interviennent à quelques mois de la visite que le pape François doit effectuer en Irak, du 5 au 8 mars, et pointent dans cette direction.
Or la décision de restituer les propriétés confisquées a fait l’objet d’un tweet de l’ancien député Farès Souhaïd qui, après avoir dans un précédent message sur les réseaux sociaux rappelé que le mouvement de Moqtada Sadr a participé à des actes de spoliation, ce dont le leader chiite irakien ne se cache pas, a fait un rapprochement entre cette décision et la récente affirmation du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, affirmant aux Libanais : « Nos missiles vous protègent. » « Nous ne voulons ni de la faveur des Irakiens ni de protection au Liban, nous sommes chrétiens et citoyens », a conclu, ombrageux, l’ancien député.
Ces propos appellent commentaire. Ils sont typiques de notre société politique, qui refuse d’accepter quoi que ce soit autrement que comme un droit. Ce qu’il faut surtout souligner, c’est que l’ancien député libanais estime qu’on n’a pas à remercier Moqtada Sadr et son mouvement pour la formation de ce comité, alors même que le patriarche des chaldéens l’a fait. En toute simplicité.
Laquelle de ces deux conduites doit-elle être considérée comme appropriée? Laquelle est la plus chrétienne? Pour répondre à cette question, il est indispensable de se rappeler que la décision du leader chiite, de toute évidence, a pour but de réparer un tort. Avec la formation du comité de restitution des biens immobiliers confisqués, on est donc dans une étape d’un processus de justice qui exige restitution. On ne peut s’empêcher de noter combien cette démarche s’apparente au processus nécessaire de réparation qui accompagne, pour un chrétien, toute demande de pardon. Mais, en refusant que cette réparation, la rentrée dans un droit, vienne d’une autre source que de l’État, on oublie que nous devons à notre compatriote qui cherche à réparer une injustice dont il a été responsable l’existence même de cet État dont nous nous réclamons. Sans l’adhésion à ce projet, sans la volonté de vivre en commun, l’État médiateur n’existerait pas, comme l’ont bien montré nombre de politologues et de philosophes. Paul Ricœur situe même la volonté de vivre en commun à la source du pouvoir politique, avec le risque qu’il devienne domination.
Ce qui nous conduit au Liban, où le « péché originel » politique des chrétiens, c’est justement d’avoir, depuis la création du Grand Liban, et à quelques rares intervalles près, exercé la politique non comme pouvoir, mais comme domination. L’espace manque pour aller dans le détail, mais on peut dire sans se tromper que les Libanais, communautés musulmanes en tête, n’ont pas encore vu la lumière de l’Évangile éclairer la vie nationale. Ainsi, fallait-il vraiment 150 000 morts pour que la clause du document constitutionnel de 1976, prévoyant la parité islamo-chrétienne au Parlement, devienne réalité (Taëf, 1989) ?
Et comment pouvait-on voir l’amour du Christ dans la guerre atroce que les chrétiens ont livrée aux forces palestiniennes et islamo-progressistes – certes, d’abord au nom de la légitime défense –, et celle, non moins impitoyable, qu’ils se sont livrée par la suite, entre eux, pour la suprématie militaire interne?
Bien entendu, il n’est pas question, en accablant les chrétiens, d’exonérer les autres groupes des violences qu’ils ont exercées, mais de mettre en évidence un processus dont le cours n’est toujours pas inversé, du moins sur le plan politique. Et de souligner que le jugement de Dieu mis en évidence dans l’Évangile selon saint Luc – « À qui l’on a beaucoup donné, on demandera beaucoup » – vaut aussi comme critère de responsabilité morale pour notre vie présente.
C’est de ce principe que découle la démarche actuelle du patriarche maronite. Béchara Raï, qui tente d’amener le président de la République et le Premier ministre désigné à situer leurs rapports personnels non pas au niveau des rapports politiques de domination, mais à leur véritable profondeur humaine, morale et civile, en leur rappelant que leurs fonctions politiques doivent être mises au service du bien commun et du vivre-ensemble, sachant que tout ce qui fragilise ce vivre-ensemble, comme la rupture de toute communication verbale, fragilise aussi l’État, dont il est la source. Se parler n’est pas une option, c’est un devoir, au vu des enjeux politiques qui y sont rattachés, en l’occurrence la formation d’un gouvernement, a rappelé le patriarche. Faut-il croire que les développements de ces derniers jours ont irréversiblement compromis cette échéance ?
commentaires (2)
Oui, il faut être humain avant tout, ce qui manque à beaucoup de dirigeants.
Esber
14 h 35, le 13 janvier 2021