Rechercher
Rechercher

Culture - Photo

Bourj Hammoud en noir et blanc, cousu de fil d’or

« Les fils de Bourj Hammoud » est une série photographique que Brigitte Manoukian a réalisée entre 2016 et 2020. D’un cliché à l’autre, c’est tout l’enchevêtrement identitaire d’un quartier qui se déploie.

Bourj Hammoud en noir et blanc, cousu de fil d’or

Photo de Brigitte Manoukian représentant une fresque de l'artiste Hawarian se trouvant à côté du cinéma royal à Bourj Hammoud. On y voit un ancien cinéma de la place des Martyrs.

Géographe de formation, enseignante et responsable de la galerie Fontaine obscure à Aix-en-Provence, Brigitte Manoukian est également photographe. « Je suis sensible aux questions qui touchent au territoire et à la mémoire ; et le Liban, d’une certaine manière, fait partie de mon histoire. Lorsque mes grands-parents paternels, qui étaient d’origine arménienne, ont quitté leur village, situé aujourd’hui dans le Kurdistan turc, juste après le génocide, ils sont passés par Alep, puis par Beyrouth, avant d’arriver à Marseille. Ma mère étant d’origine espagnole, je retrouve dans les liens que j’ai tissés avec le Liban cette notion d’identité plurielle, qui marque profondément le pays », précise la responsable du festival Phot’aix, qui, en 2019, a choisi de mettre le focus sur le Liban. « J’ai voulu mettre en valeur cette génération de photographes émergents, nés pendant la guerre civile, ou juste après, ainsi que la richesse de leur réflexion et de leur expérimentation. Regards croisés, Liban-Provence a mis en regard leurs œuvres, avec celles de photographes français : les onze artistes auraient dû exposer leurs travaux au Liban en 2020, mais la crise sanitaire ne l’a pas permis. Nous sommes en train d’organiser une résidence pour les artistes du projet ; elle est prévue pour avril 2021, dans la ville de Baalbeck, qui est jumelée avec Aix-en-Provence. L’idée est de publier un livret, qui pourrait servir la communication de l’ancienne Héliopolis, tout en proposant sur elle un regard artistique, qui va au-delà de son site millénaire, avec Chaza Charafeddine, Carmen Yahchouchi, Mazen Jannoun, Jean Larive, Arto Pazat, Clara Abi Nader et bien d’autres », ajoute la galeriste.

La photographe installée en France souhaiterait que son œuvre soit exposée au Liban.


Entre façades décaties et enseignes délavées, les fils de l’existence

À travers le regard artistique de Brigitte Manoukian, le quartier bouillonnant de Bourj Hammoud se drape d’une certaine sobriété dans ses contours, et dans ses contrastes. Façades de pierre, fenêtres à barreaux, barbelés emmêlés ou enseignes lumineuses répondent à une chaise en osier sur un trottoir pavé, un fleuve malingre ou des graffitis politiques entrecoupés d’images de saint Charbel. « Depuis mon premier voyage au Liban, en 2016, je me promène beaucoup dans ce quartier que l’on dit arménien, même s’il l’est de moins en moins. Si les Arméniens construisent beaucoup de mythes, en lien avec leur passé et leur mémoire, aussi bien personnelle que collective, cette réalité a évolué. Bourj Hammoud connaît une paupérisation réelle, que j’ai pu constater lors de mon dernier voyage, en octobre 2020, et une transformation culturelle et sociologique flagrante. J’ai commencé à arpenter le quartier avec un Leica, boîtier classique de la street photography. Mais j’ai rapidement constaté que le résultat ne correspondait pas à ce que je voyais et à ce que je ressentais », raconte la photographe, qui a fini par utiliser un petit appareil photo japonais, avec très peu d’applications. « Je devais jouer avec la lumière, parce qu’il ne proposait aucun réglage de ce type, et ce qui est ressorti a coïncidé avec mon ressenti : du noir et blanc, très contrasté, où tout le superflu des photographies couleur haute résolution avait disparu. Je ne retenais que ce qui était essentiel, c’est-à-dire la violence de ce quartier, et sa poésie », poursuit l’auteure de la série Les fils de Bourj Hammoud, qui compte trente-neuf clichés, en format 15x20 et 20x30.

Pour mémoire

Le S.O.S. des photographes libanais à Aix-en-Provence

Le titre permet plusieurs niveaux de lecture. « Les fils correspondent à la réalité du terrain : ils sont partout, parfois, ils frôlent les têtes ; ils symbolisent le lien, et sont présents sur toutes les photos. Ils font référence aussi à un élément fort de l’identité du quartier, connu pour son travail de l’or, de l’argent et du textile. On retrouve également la filiation et l’héritage de la culture arménienne », enchaîne l’artiste, qui a inséré quelques textes entre les visuels. « Pourquoi tu photographies ça ? Il n’y a rien à photographier ici. Comment ça, c’est la vie ? Va là-bas. Là-bas, c’est mieux », suggère par exemple un habitant du quartier à Brigitte Manoukian. « Ce sont des bribes de mots, ou quelques paroles, qui permettent d’orienter le regard sur la personnalité de ce quartier, afin qu’on ne le considère pas uniquement comme un quartier arménien, mais comme un espace qui évolue, tout en étant pétri de nostalgie. Les paroles mettent un peu en relief mon approche du lieu, qui est aussi sur la lenteur et sur le temps », ajoute l’auteure, qui a souhaité retravailler certaines images par le biais de la broderie. La surimpression du fil fait basculer la perspective de lecture d’une dizaine de photos, qui sont investies par de nouvelles lignes, et qui métamorphosent l’ensemble.

Les fils de Bourj Hammoud, par Brigitte Manoukian.

« J’ai eu besoin de retravailler ces images, et d’y mettre une charge personnelle forte. Dans ma culture familiale, la tradition de la couture est très présente, et j’ai souhaité me procurer du fil d’or et d’argent, pour broder sur certaines photos. Mes tirages ont été réalisés sur du papier japonais (Awagarni Khozo White), sur lequel on peut broder assez facilement, même si c’est très périlleux. Peut-être était-ce un moyen de renouer avec le passé artisanal de ce quartier, de lui proposer une forme de réparation, ou de renaissance ? Par exemple, j’ai fait en grand format le socle d’une croix, que j’ai brodé au point de croix, il représente à lui seul près de 50 heures de travail », confie la géographe, dont une douzaine de photos vont paraître le 18 décembre dans le numéro 15 de la revue Niepcebook. La parution d’un livre est prévue au printemps prochain, chez un éditeur arlésien. « J’aimerais que cette série soit exposée à Beyrouth, avant de l’être en France », conclut Brigitte Manoukian, qui est revenue de son dernier voyage au Liban en colère et attristée par la destruction de la ville, mais plus déterminée que jamais à lui rendre hommage, avec une série qui est loin d’être cousue de fil blanc !

Géographe de formation, enseignante et responsable de la galerie Fontaine obscure à Aix-en-Provence, Brigitte Manoukian est également photographe. « Je suis sensible aux questions qui touchent au territoire et à la mémoire ; et le Liban, d’une certaine manière, fait partie de mon histoire. Lorsque mes grands-parents paternels, qui étaient d’origine arménienne, ont quitté leur...

commentaires (4)

Comme aussi a Beyrouth et Tripoli, Bourj Hamoud particulierement me donnait l'impression d'un grand bouchon total, grand nombre de voitures. En fait ce que j'aurais du faire c'est visiter a pied Bourj Hamoud. Je regrettes ne pas avoir visite a pied ce quartier, car ca me semble mieux pour decouvrir.

Stes David

13 h 30, le 10 janvier 2021

Tous les commentaires

Commentaires (4)

  • Comme aussi a Beyrouth et Tripoli, Bourj Hamoud particulierement me donnait l'impression d'un grand bouchon total, grand nombre de voitures. En fait ce que j'aurais du faire c'est visiter a pied Bourj Hamoud. Je regrettes ne pas avoir visite a pied ce quartier, car ca me semble mieux pour decouvrir.

    Stes David

    13 h 30, le 10 janvier 2021

  • Notre quête d'un avenir meilleur passe indéniablement par la préservation de notre histoire. La photographie est le moyen le plus objectif de la conter, dans un pays où la remémoration de l'histoire est encore de nos jours évitée. Merci Brigitte Manoukian.

    Carlos El KHOURY

    13 h 20, le 10 janvier 2021

  • Bonjour Marc, Je suppose que vous évoquez la dernière photo ? merci pour cette précision. Ce bâtiment est aujourd'hui en reconstruction, seules les formes de la façade sont sauvegardées. Il est à la limite entre Beyrouth et Burj Hamud, de l'autre côté du fleuve, et marque dans le paysage, les représentations, les usages du quartier une appartenance à Burj Hamud... à prendre en compte dans mon approche, plus que la limite administrative. La fracture que représente le fleuve et la voie Gemayel est plus signifiante pour moi.

    manoukian brigitte

    12 h 17, le 09 janvier 2021

  • Bonjour. Au risque de vous décevoir cette photo n’est pas de Bourj Hammond mais du centre ville de Beyrouth.

    MarcC

    08 h 13, le 09 janvier 2021

Retour en haut