Le moins que l’on puisse dire, c’est que le Hezbollah et ses alliés ont commémoré avec faste le premier anniversaire de l’assassinat, par une frappe de drones américains, du général iranien Kassem Soleimani et d’Abou Mahdi al-Mouhandis, numéro deux du Hachd al-Chaabi (paramilitaires chiites intégrés à l’État irakien), à Bagdad. Les portraits de l’ancien chef de la force al-Qods au sein des gardiens de la révolution en Iran jalonnent la route de l’aéroport, dans la banlieue sud.
Cet étalage de portraits a suscité des réactions de colère. Ainsi, à Nahr el-Kalb (Kesrouan), des habitants en colère ont brûlé, lundi soir, des portraits de Soleimani, tout en brandissant des portraits du président assassiné Bachir Gemayel et du Premier ministre assassiné Rafic Hariri. D’autres portraits de Soleimani ont été également brûlés sur la route de Brital (fief d’opposants au Hezbollah dans la Békaa).
Dans ce contexte tendu, l’armée s’est déployée, selon l’agence al-Markaziya, entre les quartiers de Aïn el-Remmaneh (réputé proche des Forces libanaises) et de Chiyah (fief du Hezbollah), dans la banlieue sud. Des rassemblements ont également eu lieu sous le pont de Moucharrafieh, au cours desquels des portraits de Bachir Gemayel auraient été brûlés, rapporte l’agence qui, dans un éditorial, se demande si le Hezbollah est conscient de la dangereuse portée de ses actes.
Au milieu de toute cette agitation, l’inauguration hier d’un imposant buste de Soleimani en plein quartier de Ghobeyri, dans la banlieue sud, a encore attisé les braises, sur les réseaux sociaux cette fois, où les invectives contre « l’occupation iranienne » et « l’envahisseur » dont on salue la mémoire se sont heurtées à des réponses acerbes glorifiant la « fidélité » à un personnage érigé au rang de héros régional. « C’est de la pure provocation », écrit une internaute, commentant la photo de l’inauguration du buste, à l’initiative de la municipalité de Ghobeyri. Sur les réseaux sociaux, la violence verbale est élevée et des hashtags du genre #Beyrouth-est-libre-l’Iran-dehors ont le vent en poupe, tandis que certains internautes expriment clairement leurs craintes que le Hezbollah ne tente d’altérer la culture de la scène libanaise en lui imposant de nouvelles figures emblématiques.
Provocation ou pas ?
Cette polémique reflète non seulement les divisions au sein de l’opinion publique, mais aussi de la classe politique, comme l’attestent les prises de position des uns et des autres. « Je me demande pourquoi ils sont si nombreux à être surpris par l’attitude du Hezbollah, lance d’emblée à L’Orient-Le Jour Serge Dagher, secrétaire général du parti Kataëb. Ce parti appelle son action ‘‘résistance islamique’’, il est clairement affilié aux gardiens de la révolution, d’où son problème avec l’appartenance libanaise. Il se considère d’ailleurs comme un État en soi. » À cet égard, M. Dagher se demande si l’État libanais a, de quelque manière que ce soit, été sollicité dans cette affaire, si des autorisations ont été délivrées pour la mise en place des portraits ou de la statue.
« Était-ce le moment d’ériger une telle statue, sachant quel serait son impact sur l’opinion publique ? se demande-t-il. Alors que le pays est noyé dans les dettes, que la population souffre. C’est en tout cas un joli pied de nez, de la part d’un parti qui s’inscrit clairement dans un axe régional, aux appels à la neutralité du patriarche maronite Béchara Raï. »
Si le secrétaire général du parti Kataëb n’est pas surpris par la polémique suscitée par cette affaire, tel n’est pas le cas du Hezbollah. Anwar Jomaa, un député du parti chiite, se désole dans un entretien avec L’OLJ « de la violence des propos autour de cette statue », appelant « à mieux se tolérer mutuellement dans le pays ». « L’installation de ce buste n’est nullement une provocation et si le Hezbollah pensait que ce le serait, il ne l’aurait pas fait, souligne-t-il. Mais pourquoi la figure de Soleimani représente-t-elle une provocation? Est-ce que l'Argentin Che Guevara est si controversé, lui qui est admiré autant par les communistes que par tous ceux qui luttent contre l’oppression ? » Le député renchérit : « Nous ne rendons pas hommage à Soleimani parce qu’il est iranien. Cet homme s’est impliqué là où il y avait une lutte contre les Israéliens et se trouvait à Beyrouth durant la guerre de 2006. Et puis pourquoi devrait-on tolérer que des rues portent le nom de figures du mandat français et refuserait-on ce privilège à ceux qui nous ont aidés inconditionnellement ? » Il appelle enfin « à ne pas donner à cette affaire une dimension qui la dépasse ».
« Nous aurions dû bâtir un État »
Interrogé sur ce phénomène, le militant politique Antoine Nasrallah estime pour sa part que « ce qui a probablement enflammé les réseaux sociaux, c’est le fait que l’installation de ce buste ait été organisée par la municipalité de Ghobeyri, ce qui lui confère un caractère plus officiel ». « Malheureusement, le contexte général est propice à la polémique creuse, poursuit-il. L’État libanais est en complète faillite, la gestion de la crise du coronavirus est désastreuse, l’émigration bat son plein, les bruits de bottes sont de plus en plus assourdissants… et face à tous ces soucis qui taraudent les Libanais, cette statue semble leur crier que les préoccupations de leurs responsables politiques sont ailleurs. »
Le militant note toutefois que ce type de controverse n’est pas nouveau au Liban. « Dans les années cinquante et soixante, de tels débats passionnés accompagnaient souvent l’installation de statues ou monuments à la gloire du président égyptien Jamal Abdel Nasser, rappelle-t-il. Mais après une guerre sanglante, il aurait fallu bâtir un État, ce que nous n’avons pas fait. »
commentaires (16)
Il ne sert a rien de se disputer pour une statue placée dans une zone de non droit qui échappe au contrôle de l’état. Patience, elle sera déboulonnée bientôt par ceux la même qui l'y ont placée.
Pierre Hadjigeorgiou
10 h 07, le 08 janvier 2021