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Économie - Consommation

Pas de miracle de Noël pour les commerces libanais

Les traiteurs et cavistes tirent toutefois timidement leur épingle du jeu.

Pas de miracle de Noël pour les commerces libanais

Le caviste Vinotèque à Achrafieh a dû rogner ses marges. Photo M.A.

La magie de Noël n’a pas sauvé les commerçants libanais. Habitués à réaliser « le tiers de leurs chiffres d’affaire » en moyenne pendant la période des fêtes de fin d’année, selon le président de l’Association des commerçants de Beyrouth (ACB), Nicolas Chammas, les acteurs du secteur devront cette fois-ci se contenter de payer les pots cassés du fait de la crise sans précédent dans laquelle le pays s’engouffre depuis un an et demi, sous le regard d’une classe politique toujours plus défaillante.

« Les temps sont durs », concède encore Nicolas Chammas en s’appuyant sur le dernier indice trimestriel publié en début de mois par Fransabank et l’ACB, établi à 5,52 points, un score misérable comparé à la base de 100 points enregistrée au quatrième trimestre de 2011, retenue au moment de son lancement. Une contre-performance cohérente tant le pouvoir d’achat des Libanais a fondu ces derniers mois parallèlement à la dépréciation de la livre (qui a perdu 80 % de sa valeur), les restrictions bancaires (illégales) sur les retraits en devises, la crise sanitaire de la Covid-19, ou encore l’inflation galopante (+133,47 % en novembre, en glissement annuel selon les derniers chiffres officiels). Sans parler du chômage qui avait déjà atteint 30 % à fin juin selon le groupe InfoPro, société spécialisée dans l’édition de titres de presse économique. La difficulté de la situation pousse de plus les ménages à consacrer leurs maigres revenus à l'achat de médicaments et de produits de première nécessité, souligne encore Nicolas Chammas.

Malgré l’effervescence apparente, trahie par les importants bouchons sur les routes du pays, les signes de cette crise sont multiples : à l'entrée d’un magasin de jouets de Beyrouth, un père agenouillé devant la poussette de sa fille pour lui expliquer qu’elle ne pourra demander qu’un seul cadeau au père Noël tandis que le nombre de mineurs qui mendient entre les files de voitures semble avoir explosé.

Presque rien vendu

Dans les boutiques, les commerçants récemment interrogés ont triste mine, surtout dans la capitale qui a été déastée par la tragique double explosion du 4 août, dont les causes n’ont toujours pas été révélées ni par les autorités, ni par les différentes organisations (dont le FBI américain) venues inspecter les lieux.

Une propriétaire d’un commerce de vêtements pour enfants a indiqué n'avoir presque rien vendu en décembre, période durant laquelle les clients se bousculaient d’habitude à son portillon. Même son de cloche chez un vendeur de chaussures, qui fait état d’une baisse « du plus du quart de ses ventes en volume comparé à l’année passée ». Ce même chiffre est avancé par Mona, vendeuse à Kamishibaï, une boutique de prêts à porter à Achrafieh. « Je n’ose même pas comparer ce chiffre avec celui de 2018 », soupire-t-elle, alors que les prix de l’habillement ont augmenté en novembre de 461,83 % en glissement annuel. Elle confie que les seuls clients qui viennent encore dépenser leur argent chez elle sont des « personnes fatiguées de la situation » qui cherchent à décompresser en faisant des emplettes.

Une tendance constatée dans d’autres filières, confirme le joaillier Patrick Saab qui a remarqué que la majorité des rares achats qu’il enregistre encore sont effectués par des gens qui cherchent à se faire plaisir, sans occasion particulière, ou à investir leurs économies dans une valeur refuge comme l’or. Selon lui, les fêtes passent au dernier plan dans les motivations d’achat pour la majorité de ses désormais rares clients, alors que ses ventes ont diminué de 90 % comparé à l’année précédente. Il ajoute que la hausse globale des cours de l’or (près de 1 900 dollars l’once actuellement) ne lui permet plus d’offrir les réparations ou les remplacement de certaines pièces comme il le faisait avant. « Vu le cours de l’or et le taux de change dollar/livre, cela devient intenable et plusieurs clients s'offusquent du prix à payer uniquement pour l’achat de la pièce de rechange » , regrette-t-il, affirmant ne pas pouvoir faire autrement.

Le Joailler Patrick Saab a connu en cette période de fête une baisse des ventes de 90 % en glissement annuel. Photo M.A.

L’ambiance n’est pas plus joyeuse chez les revendeurs de matériel électronique. « Nous attendons les clients, qui ne viennent pas », soupirent Tarek et Monette, propriétaires de Viatek, contraints de fermer leur magasin trois heures plus tôt que l’année passée, non pas en raison actuellement des restrictions mises en place par les autorités face au Covid-19, mais plutôt en raison d’une demande presque inexistante. Les vendeurs de jouets sont, eux, catégoriques : les gens achètent moins de cadeaux que l'année passée, et le prix est devenu le critère principal pour choisir un cadeau.

Wael Senno, PDG de JouéClub, avoue avoir dû s'adapter à ce contexte qui a fait reculer ses ventes de 40 % en volume et 60 % en valeur par rapport à l’année passée. « Nous avons baissé les prix en important d’autres jouets, mais sans toutefois rogner sur leur qualité. Nous avons aussi baissé nos marges de 20 % », explique-t-il. Avec cette stratégie, il espère rester sur le marché et ne pas perdre sa clientèle.

Résistance

Dans ce marasme, certains commerçants semblent s’en sortir un peu mieux que leurs confrères. C’est par exemple le cas d’une librairie de quartier qui a pu compter sur la hausse de la fréquentation de ses clients les plus fidèles pour atténuer la baisse globale de son activité. Elle constate que les livres occupent encore une place de choix dans les cadeaux achetés par les familles, même s’il semble avoir été écarté de la liste des présents que les amis et collègues de travail peuvent se faire entre eux. Un phénomène assez compréhensible lorsqu’on relève que le prix des biens liés à la culture a augmenté de 220,67 % en novembre en glissement annuel.

Également mieux lotis, les traiteurs et vendeurs de vins interrogés ont fait état d'une baisse des ventes, mais dans des proportions plus faibles que celles de leurs confrères commerçants, malgré des paniers moyens là aussi en baisse. Un chocolatier de quartier a par exemple remarqué que les gens préfèrent désormais les petites boîtes de 150 ou 200 grammes aux gros assortiments et souligne la disparition quasi-totale des commandes réalisées par les entreprises, les banques ont encore les établissements d’enseignement, qui étaient habituellement légion à cette période de l’année.

La pâtisserie et boulangerie Ghattas à Sursock, qui a également remarqué le phénomène, explique la résistance relative des traiteurs par le fait que les prix qu’ils pratiquent sont globalement moins chers que ceux pratiqués par les grandes surface pour des produits équivalents, une compétitivité encore maintenue par les mécanismes de subventions sur certaines importations mises en place par la Banque du Liban au fil de la crise.

Les traiteurs bénéficient sans doute aussi de la réduction de l’offre de confiseries importées dans les grandes surfaces, un phénomène relevé par le président du syndicat des supermarchés, Nabil Fahed.

Le caviste Vinothèque basé à Achrafieh a lui aussi remarqué la disparition des entreprises au profit des ménages dans sa clientèle. Il souligne toutefois que sa filière a en partie bénéficié des restrictions imposées au bar et au restaurants - plus sévères que pour les autres secteurs et confirme le phénomène de substitution des vins étrangers par des vins locaux, moins chers. Ces facteurs favorables ne l’ont toutefois pas dispensé de devoir baisser ses marges pour continuer d’attirer des clients « Ce n'est pas le moment de faire des profits » avoue le gérant de Vinothèque. Un autre caviste de la capitale s’est pour sa part réjouit d’avoir pu maintenir « un important roulement de son stock » qui a en partie compensé la baisse de ses ventes en valeur. Pour rappel, les prix du tabac et des boissons alcoolisées ont augmenté de 405,29 % par rapport à novembre 2019.

Contre toute attente, certains professionnels ont pu même garder le sourire cette année. C’est par exemple le cas d’un opticien de quartier qui a constaté une hausse de ses ventes par rapport à l’année passée. Une surprise qu’il explique par le fait qu’il pratique encore un taux de change dollar/livre inférieur à celui du marché (3 900 livres imposé aux banques pour les retraits de « dollar libanais » au lieu de près de 8 000 livres chez les agents de change). « Mais c'est une situation temporaire qui changera après les fêtes », analyse-t-il.

Enfin, l'ambiance n’est pas non plus au beau fixe dans les grandes surfaces où certaines spécialités consommées à Noël, comme le jambon de Parme ou le foie gras connaissent des baisses de vente de 90 % par rapport à l'année passée, regrette Nabil Fahed. Une proportion identique à celle des ventes de décorations de Noël ou les rayons de jouets dans les grandes surfaces, qui étaient déjà en baisse de 20 à 30 % par rapport à 2018. « C'est un désastre » résume Nabil Fahed, soulignant que les ventes de ces cinq derniers mois ont surtout concerné des produits subventionnés par la Banque du Liban (BDL), redoutant ainsi l’impact que pourrait avoir leur rationalisation ou leur levée à court terme. Une perspective effrayante dans la mesure où les prix de l'alimentaire et des boissons non alcoolisées ont déjà augmenté de 423,2 % en novembre en glissement annuel.

La magie de Noël n’a pas sauvé les commerçants libanais. Habitués à réaliser « le tiers de leurs chiffres d’affaire » en moyenne pendant la période des fêtes de fin d’année, selon le président de l’Association des commerçants de Beyrouth (ACB), Nicolas Chammas, les acteurs du secteur devront cette fois-ci se contenter de payer les pots cassés du fait de la crise...

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Un grand BRAVO pour nos corrompus au Liban et nos ennemis !!

Marie Claude

10 h 52, le 25 décembre 2020

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Commentaires (1)

  • Un grand BRAVO pour nos corrompus au Liban et nos ennemis !!

    Marie Claude

    10 h 52, le 25 décembre 2020

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