Même à son apogée, la révolution du 17 octobre avait moins ciblé le président de la République, Michel Aoun, que son gendre, Gebran Bassil, chef du Courant patriotique libre (CPL), véritable champion toutes catégories des quolibets de la foule en colère. Mais depuis le drame du 4 août, les choses ont quelque peu changé, et le locataire de Baabda est devenu l’objectif privilégié de revendications éparses appelant à sa démission. Même si ces appels ont pour l’heure une portée symbolique, ils n’en expriment pas moins un ras-le-bol couplé d’une aversion politique qui vise, par-delà le président, le parti qu’il incarne, le CPL. Cependant, au-delà du ciblage général de la personne et de la politique du président, on constate ces jours derniers qu’un tabou est en train d’être abattu, du fait que de plus en plus de voix chrétiennes maronites, et pas des moindres, commencent à se joindre pour réclamer son départ, au moment où la coalition musulmane qui se forme actuellement contre le chef de l’État, et dont les trois piliers sont Saad Hariri, Nabih Berry et Walid Joumblatt, ne peut que se montrer discrète et prudente à ce sujet, de crainte de susciter une levée de boucliers à caractère confessionnel.
Depuis quelques jours, en effet, les voix de plusieurs formations politiques chrétiennes sont devenues de plus en plus audibles pour demander la démission du président. Certaines souhaitent sa chute en même temps que les autres symboles du pouvoir après la tenue d’élections anticipées. C’est le cas des Forces libanaises (FL) et des Kataëb. D’autres, comme les Marada, souhaitent l’éviction de Michel Aoun, sans autre forme de procès.
Mais si l’ensemble de ces formations partagent un même souhait, avec toutefois des divergences sur la manière de parvenir à sa réalisation, force est de constater que chacune carbure seule et selon un agenda politique propre. Une situation qui rappelle dans une large mesure le scénario de la disparité qui prévaut au sein des forces de la société civiles qui, en définitive, ont échoué à se constituer en front commun pour faire face au monstre politique. Pour les FL, qui se sont repliées dans l’opposition peu avant la démission du gouvernement de Saad Hariri quelques jours après le soulèvement du 17 octobre, réclamer la démission du chef de l’État est plus une « position de principe » qu’une exigence dans l’immédiat. Samedi dernier, Samir Geagea avait affirmé que s’il était à la place du président, il démissionnerait. Il s’est toutefois dépêché d’inviter l’ensemble des protagonistes au pouvoir à rendre le tablier et a appelé à la tenue d’élections législatives anticipées afin de constituer un nouveau pouvoir. Détenue par l’ex-camp du 8 Mars, la majorité parlementaire actuelle ne peut, en effet, qu’engendrer un profil politique similaire à celui de Michel Aoun, sinon favoriser la candidature du chef des Marada, Sleiman Frangié. Un enjeu dont les FL sont pleinement conscientes. D’où leur souhait d’obtenir un raccourcissement de la législature actuelle pour que la démission du président ne soit pas un simple acte individuel sans véritables conséquences politiques.
C’est la même logique qu’avaient défendue en amont les Kataëb qui avaient rejoint l’opposition dès 2016. D’après la chronologie des échéances que défend cette formation, à l’élection anticipée d’un nouveau Parlement devrait succéder la formation d’un nouveau gouvernement qui paverait alors la voie à l’élection d’un nouveau président. Aussi bien les FL que les Kataëb se placent désormais dans une perspective d’avenir et misent donc sur les urnes et sur un renversement de majorité pour espérer un changement au niveau de la première magistrature.
« Qui gouvernera le pays ? »
Ce n’est pas le cas pour Sleiman Frangié dont l’appel lancé à Aoun jeudi dernier pour qu’il se désiste n’a d’autre portée que de saisir l’occasion tant que la majorité parlementaire est toujours en sa faveur. Bien qu’il appartienne théoriquement au même camp que le chef de l’État et risque de mettre dans l’embarras leur allié commun, le Hezbollah, le chef des Marada joue le tout pour le tout.
« Pour Sleiman Frangié, c’est le moment ou jamais », commente un analyste politique du camp adverse qui se dit convaincu qu’il aurait de fortes chances d’être élu si la présidentielle devait se jouer aujourd’hui. Un avis que contestent certains observateurs qui estiment que sans les voix ou l’appui des deux grandes formations chrétiennes, CPL et FL, il n’a aucune chance.
Plus pondérés dans leur position, les aounistes dissidents qui ont tenu samedi dernier leur premier congrès en vue du lancement d’une action politique d’envergure se disent opposés à la démission du président. Non pas tant par loyauté à leur père politique et fondateur du CPL dont ils se sont définitivement éloignés, que par réalisme politique. Leur objectif est plus de remédier à la situation actuelle avec les moyens du bord.
« À supposer que le chef de l’État accepte de démissionner, qui gouvernera le pays ? » s’interroge Antoine Nasrallah, un dissident aouniste, qui évoque les risques d’une crise institutionnelle sans précédent dans un tel cas de figure.
À l’instar des FL et des Kataëb, les dissidents aounistes savent pertinemment qu’il faut bien plus que de simples vœux pieux pour déboulonner Michel Aoun. Il faut d’abord, comme l’avait bien préconisé il y a deux semaines le leader druze Walid Joumblatt lors d’un entretien télévisé, un feu vert de Bkerké. Or, l’Église maronite a toujours été réticente, historiquement, à pousser dans cette direction quel que soit le conflit qui l’oppose à la personne du président.
Il n’y a qu’à se souvenir du contentieux politique entre l’ex-président Émile Lahoud et l’ancien patriarche Nasrallah Sfeir qui avait refusé en 2005 les appels à la démission du chef de l’État alors que les manifestants se dirigeaient vers Baabda. « Je ne vois pas du tout Béchara Raï se joindre à cette chorale d’appels à la démission de Michel Aoun », dit Karim Bitar, politologue.
Si le feu vert de Bkerké sera difficile à obtenir, il en est de même du feu vert international qui peinera à venir dans un contexte libanais aussi explosif. Pour l’Occident, il est hors de question de provoquer en cette phase charnière du pays une crise supplémentaire qui ne fera que compliquer la donne.
« Ne l’oublions pas, il a fallu les chars syriens en 1989 pour sortir Michel Aoun de Baabda », rappelle un analyste antiaouniste.
Il reste enfin que pour le Hezbollah aussi bien que pour l’Iran, il est hors de question de toucher aux équilibres en place. Michel Aoun en est une incarnation.
Tous ceux qui vocifèrent et réclament la démission du President Aoun n'ont d'autres ambitions que de briguer le siège de Baabda . Je leur dirais : ils peuvent courir et l'avenir le confirmera
10 h 58, le 24 décembre 2020