En écho à un sentiment qui prédomine dans les milieux judiciaires concernés, le patriarche maronite, le cardinal Béchara Raï, a craint hier, lors de son homélie dominicale, que l’enquête sur les explosions meurtrières du port de Beyrouth ne soit « politisée » et ne « meure » si elle est déférée devant le Parlement, alors que ce dossier fait polémique depuis une dizaine de jours, après l’inculpation de quatre responsables politiques, le Premier ministre sortant Hassane Diab et trois anciens ministres, dont deux du mouvement Amal. Le cardinal Raï a estimé que si « certains veulent déférer le dossier » devant le Parlement, cela risque de provoquer « la mort de l’enquête », qui serait alors « politisée par les différents groupes parlementaires ». « L’enquête s’achèvera mal si les atermoiements se poursuivent », a-t-il lancé. Mgr Béchara Raï a encore souhaité que « la justice (…) ne tombe pas ». « Si la justice tombe, toute la structure de l’État s’effondrera avec elle », a-t-il averti.
On sait que le juge d’instruction près la Cour de justice, Fadi Sawan, en charge de l’enquête sur la double explosion meurtrière du 4 août, se prépare à répondre à un recours présenté par les députés et ex-ministres Ali Hassan Khalil et Ghazi Zeaïter, qui réclament sa récusation au titre de la « suspicion légitime » de partialité, alors qu’ils ont été mis en examen dans le cadre de l’enquête et convoqués à comparaître. Les deux parlementaires ont présenté leur recours au parquet de cassation, se disant victimes d’« un choix arbitraire » et d’un « ciblage politique et communautaire ».
Ils ont également affirmé que leur convocation est anticonstitutionnelle et qu’ils ne répondent de leur gestion que devant la Haute Cour prévue par le Parlement, une institution qui, selon l’ancien député et constitutionnaliste Salah Honein, a été instituée pour ne juger personne. Ce recours a provoqué la suspension temporaire de l’enquête, le temps d’être tranché.
L’indifférence du Parlement
Dans certains milieux judiciaires interrogés par L’Orient-Le Jour, on ne manque pas de dénoncer le caractère purement formel de ce recours. Selon l’avocat pénaliste Akram Azouri, « les deux députés auraient dû, en droit, demander à un avocat de présenter au juge Fadi Sawan une exception d’irrecevabilité de la convocation qu’il leur a adressée. Et alors, de deux choses l’une : ou M. Sawan l’accepte ou il la rejette. Et c’est seulement dans ce dernier cas qu’ils auraient eu en main une décision de justice contre laquelle ils auraient pu présenter un recours ». Et Me Azouri de préciser : « On ne peut pas demander la récusation d’un juge juste parce qu’il vous a convoqué, avant qu’il n’ait encore rien statué. »
Par ailleurs, on dénonce dans certains milieux politiques proches du corps de la magistrature l’indifférence du Parlement face à ce qu’il aurait dû considérer comme une tragédie nationale. Dans ces milieux, on ne comprend pas comment le Parlement n’a pas immédiatement chargé une commission de tirer au clair les tenants et aboutissants de ce drame dont l’ampleur véritable, aussi bien matérielle que morale et politique, se fait de jour en jour plus évidente. Et l’on s’étonne de ce que le Parlement ne se soit réveillé à ses responsabilités que lorsque la justice a mis en examen des ministres du mouvement Amal.
Dix jours pour répondre
Quoi qu’il en soit, l’Agence nationale d’information (ANI, officielle) a précisé que la chambre pénale près la Cour de cassation, présidée par le juge Jamal Hajjar, a notifié les parties concernées par le recours en question, les appelant à apporter leur réponse à la démarche des deux députés. Le premier à avoir été légalement notifié est le juge Sawan qui a suspendu temporairement l’enquête en attendant l’avis de la Cour de cassation, bien qu’il n’y soit pas contraint par la loi et a commencé à préparer sa réponse au recours. Selon l’ANI, cette suspension durerait dix jours, le temps que cette réponse soit finalisée. Par ailleurs, la Cour de cassation a notifié son parquet général. Les autres parties seront informées dès le début de la semaine en cours, notamment l’ordre des avocats, qui représente la défense des personnes sinistrées et des proches des victimes de l’explosion, ainsi que toutes les personnes faisant l’objet de poursuites, qu’elles soient en détention ou non.
« Qui a tué ? Qui a détruit la capitale ? »
Dans son commentaire de l’actualité, le patriarche maronite a également souhaité que « l’enquête judiciaire se poursuive ». « Les gens veulent savoir qui a tué leurs enfants. Qui a détruit le port et la capitale. Les débats jurisprudentiels ne les intéressent pas », a lancé Mgr Raï. « Ce qu’ils veulent, c’est de savoir qui a fait venir les matières explosives, qui en était le propriétaire, qui a permis de les stocker et qui en a retiré, régulièrement, certaines quantités », a-t-il ajouté.
Ce faisant, le patriarche a donc donné du crédit à la thèse de certains médias et observateurs selon lesquels la déflagration du 4 août n’était pas celle de la totalité des 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium qui se trouvaient dans le hangar 12 du port, mais que le chargement initial, arrivé en 2013 à Beyrouth et stocké en 2014, avait été utilisé au fil des années.
Plusieurs de ces observateurs accusent, dans le cadre de cette théorie, le Hezbollah d’être allé à plusieurs reprises se servir dans le hangar en nitrate d’ammonium, qui peut être utilisé dans la fabrication d’explosifs. D’autres, sans aller aussi loin, affirment que l’enquête du juge Sawan ne devrait pas se limiter aux niveau administratif, ou même à celui de la gestion des ministres qui se sont succédé au ministère des Transports et qui sont, pour ainsi dire, coupables par omission, mais qu’elle devrait s’orienter vers les personnes qui ont activement agi, des années durant, en vue de garder le nitrate d’ammonium au Liban, empêcher sa réexpédition ou sa destruction, comme le prévoient les législations en vigueur.
commentaires (2)
Le clergé devra cesser de se mêler de la politique d'un pays lequel est chargé d'épurer la politique de toute immixtion religieuse et communautaire dans ses affaires . Plus que jamais notre patriarche ( pour qui j'ai le plus grand respect ) se prend pour Richelieu . Ses interventions sont de plus en pus fréquentes ou presque quotidiennes . À quoi ressembla le Liban de demain si les 17 autres communautés lui emboîteraient le pas ?
Hitti arlette
14 h 12, le 21 décembre 2020