Dans une pharmacie de Beyrouth, une cliente demande un médicament pour le cholestérol. C’est la troisième officine qu’elle visite, sans réussir à trouver le traitement souhaité. Le pharmacien lui propose un générique. « C’est exactement le même produit », lui assure-t-il. Réticente, elle répond qu’elle préfère consulter son médecin. « Je ne fais pas confiance aux produits locaux ni aux génériques, dit-elle. Je préfère avoir les originaux. »
Or parmi les réformes envisagées pour une rationalisation des subventions dans le secteur des médicaments, deux mesures sont inévitables : renforcer d’une part l’industrie pharmaceutique locale et privilégier de l’autre le marché des génériques. Cette dernière perspective fait grincer des dents la majorité des Libanais qui craignent pour leur santé, convaincus que les génériques sont des médicaments de moindre qualité et pas aussi efficaces que le produit de référence. Des préjugés durs à surmonter, alors que dans la plupart des pays, notamment en Europe, c’est l’administration du générique qui l’emporte largement sur le produit de référence ou princeps.Cette opposition au générique est alimentée aussi par l’attitude de certains médecins qui préfèrent se fier aux produits de référence. Un spécialiste ayant requis l’anonymat confie ainsi que s’il avait le choix, « il ne prescrirait que les produits de référence ». « Mais si je n’ai pas d’autre solution et que le patient ne peut pas se permettre de payer le prix des princeps, je prescris des génériques, poursuit-il. Mais pas n’importe lesquels. Je choisirais les produits européens. » Un autre médecin affirme qu’il n’a aucun problème à prescrire « les produits génériques, à condition qu’ils soient d’une source fiable ».
Des produits identiques
Ce n’est pas la première fois que la question du générique est soulevée dans le pays. Mise à plusieurs reprises sur le tapis par différents ministres de la Santé sans pour autant aboutir, cette mesure semble faire actuellement du chemin, d’autant que l’État, au bord de la faillite, est acculé à faire des économies. Et cette mesure contribuera à faire baisser la facture de santé d’au moins 500 millions de dollars, comme l’avaient souligné au début du mois le parti des Forces libanaises, lorsqu’il avait proposé sa politique sur le médicament.
« Le générique est un médicament identique au princeps, qui a la même composition, le même principe actif et la même efficacité thérapeutique », assure Colette Raidy, chef du département de pharmacie au ministère de la Santé. Elle précise que toute forme pharmaceutique, comme les comprimés, les sirops, les pommades, les injectables ou les suppositoires, est sujette à un générique.
« Le générique contient la même molécule active retrouvée dans le produit de référence, c’est-à-dire celle responsable de l’action thérapeutique du médicament, ainsi qu’un mélange de matières inactives appelées des excipients », explique une responsable de formulation dans une usine pharmaceutique libanaise ayant requis l’anonymat.
Conditions de mise sur le marché
Avant d’être mis sur le marché, le générique est soumis à plusieurs tests. Il y a d’abord le test de bioéquivalence qui « permet de s’assurer qu’il a les mêmes effets thérapeutiques que le princeps », indique la spécialiste. Ces tests sont effectués dans des centres cliniques à l’étranger. Vient ensuite l’étude de stabilité qui permet de s’assurer que le générique « est stable pendant une certaine période, celle de péremption », précise-t-elle.
Pour obtenir une autorisation de mise sur le marché du produit générique, « l’usine pharmaceutique doit soumettre au ministère de la Santé un dossier qui comprend plusieurs documents au nombre desquels les résultats des tests effectués sur la qualité et la bioéquivalence », note Mme Raidy. « Lorsque le dossier est approuvé par la commission technique, le ministère envoie analyser dans des laboratoires accrédités par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et situés dans un pays référentiel un échantillon de ce médicament, ajoute-t-elle. Les résultats arrivent au ministère dans une lettre sous pli. L’importateur et le fabricant local ne sont pas autorisés à voir les résultats. »
L’étude de bioéquivalence est effectuée une seule fois. Toutefois, « selon les bonnes pratiques de fabrication, chaque lot de médicament doit subir des tests chimiques et microbiologiques », avance la responsable de formulation susmentionnée. « De plus, au moins une fois par an, des études de stabilité doivent être effectuées sur les médicaments, selon des normes strictes définies par le ministère de la Santé, précise-t-elle. L’étude de stabilité doit également être menée si l’usine change de fournisseur et ce pour s’assurer que les nouvelles matières acquises n’affectent pas la qualité du médicament. D’où l’importance de bien identifier le fournisseur de la matière active pour éviter que celle-ci ne contienne des impuretés susceptibles d’affecter la stabilité du produit. Idem pour les excipients et les matériaux utilisés pour les emballages. D’ailleurs, dans le dossier d’enregistrement présenté au ministère de la Santé, chaque fabricant doit préciser la source des matières actives et des excipients. »
Et la spécialiste d’insister : « Un médicament est de qualité si les bonnes pratiques de fabrication sont bien remplies, et ce qu’il s’agisse d’un produit de référence ou d’un générique. La pharmacovigilance, c’est-à-dire la surveillance postmarketing, est également importante, puisqu’elle permet aux utilisateurs de ces médicaments de signaler au fabricant les effets secondaires ressentis. »
Onze usines
Le Liban compte onze usines pharmaceutiques dont deux spécialisées dans la fabrication des sérums. « Les neuf autres fabriquent des génériques propres à elles ou sous licence », indique Carole Abikaram, présidente du syndicat des industries pharmaceutiques. Un médicament est dit sous licence lorsque la compagnie innovatrice soumet la formule à une autre usine qui le fabrique sous sa supervision.« Les usines pharmaceutiques libanaises fabriquent 330 produits sous licence et 830 génériques, soit au total 1 160 médicaments qui couvrent les vingt classes thérapeutiques les plus utilisées dans le pays », se félicite Mme Abikaram. Ce sont des médicaments pour l’hypertension, les maladies cardiaques, le diabète, les allergies, l’asthme ainsi que des anti-inflammatoires, des antibiotiques, des produits dermatologiques… « Nous œuvrons à élargir notre portefeuille pour couvrir un plus grand éventail de maladies et de traitements », confie-t-elle. Et d’ajouter : « Nous avons aussi deux usines qui se sont lancées dans les biosimilaires. L’une fait l’emballage et l’autre procède à un transfert de savoir-faire en vue de la fabrication de ces produits. » Les biosimilaires sont des médicaments similaires aux produits biologiques. Ceux-ci sont fabriqués à partir de cellules ou d’organismes vivants tels que les levures ou les bactéries. Au nombre de ces produits biologiques, les insulines et les hormones de croissance, à titre d’exemple. Contrairement aux génériques qui ne nécessitent pas d’études cliniques, la fabrication de chaque lot de biosimilaires est soumise aux phases 1 et 3 des études cliniques relatives respectivement aux essais sur les animaux et les êtres humains.
Inspections régulières
Les usines pharmaceutiques libanaises « sont sujettes à des inspections régulières de la part du ministère de la Santé, des autorités sanitaires des pays vers lesquels nous exportons ainsi que des multinationales qui fabriquent chez nous », assure Mme Abikaram. « Ce qui garantit la bonne qualité du produit, note-t-elle. Malheureusement, les usines situées dans les pays non référencés qui exportent vers le Liban ne sont pas sujettes à des inspections de la part du ministère libanais de la Santé. Récemment, un décret ministériel a été publié dans ce sens, mais il tarde à être appliqué. Par ailleurs, les usines libanaises sont soumises aux GMP ou Good Manufacturing Practices, c’est-à-dire la certification de bonnes pratiques de fabrication définies par l’OMS. Ce certificat garantit que les produits fabriqués dans ces usines sont de bonne qualité et peuvent être mis sur le marché. Nous sommes fiers de notre industrie locale. »
Deux problèmes: (1) en général les médecins reçoivent des commissions sur certains médicaments qu’ils prescrivent, et (2) même pour fabriquer (assembler) localement il faut importer la matière première en fresh money...
12 h 58, le 19 décembre 2020