Rechercher
Rechercher

Culture - Initiative

Les Studios Haroun à la rescousse des films d’antan

Ces studios de légende s’appliquent actuellement à redonner une seconde vie au patrimoine cinématographique libanais. Mike Haroun parle de cette initiative privée comme d’une passion en parallèle des autres activités de l’entreprise familiale.

Les Studios Haroun à la rescousse des films d’antan

Mike Haroun, précis et méticuleux à l’ouvrage.

Les films en 8 mm, 16 mm et 35 mm ont toujours « coulé » dans les veines des Haroun de père en fils, de génération en génération. Avant Mike Haroun qui dirige aujourd’hui les studios et qui se lance dans une opération de restauration de bribes de vieux films et qu’il poste généreusement sur YouTube, le grand-père, Michel Haroun, était semble-t-il un véritable personnage... de film.

À la fois écrivain, homme de théâtre et producteur, détenteur de la médaille du Mérite des mains du président de la République, il faisait partie de ces acteurs – comme le célèbre Philippe Akiki – qui ont eu l’aubaine de fouler les planches du Grand Théâtre de Beyrouth, avant de se reconvertir au 7e art. « Il était intrigué par les films, raconte son petit-fils Mike Haroun, et lorsque les soldats de l’armée française sont retournés en France, un lieutenant lui a revendu sa caméra. Mon grand-père était déterminé à réaliser un film. Et il y est arrivé ! Ce fut Zouhour Hamra, un des films pionniers en noir et blanc. »

Lire aussi

Quand la culture assure la cohésion d’un peuple

Ce ne fut pourtant pas chose aisée. « Le prix du développement étant très coûteux, il a alors inventé sa propre machine. Et, étape par étape, il a réussi à copier les contenus sur un film positif, à enregistrer l’audio et tout le reste. Ce fut finalement un film fait manuellement de A à Z qui lui rapporta beaucoup d’argent dans les années 50 et qui fit le tour du monde. Mais comme il n’était pas un homme d’affaires, il n’a pas pu continuer en tant que cinéaste », rapporte Mike Haroun. « L’expérience était unique, d’où l’idée de créer un laboratoire. C’est ainsi que sont nés les Studios Haroun. Mon père était à l’époque en Afrique, poursuit Haroun Junior. De retour au Liban, il refusa de travailler sur des machines “home made”. Il décide alors d’acheter un équipement professionnel fabriqué en Europe. »

Dans les studios Haroun, les vieilles machines parlent de l’époque dorée du cinéma libanais. Photos DR

Du 8 mm au numérique

L’industrie commençait à démarrer et les Studios Haroun sont devenus une adresse incontournable au Liban et au Moyen-Orient. Un grand nombre de films égyptiens ont été tournés et filmés au Liban dans ces studios-là. « Les années 60 et 70 étaient des années glorieuses pour les Studios Haroun qui sont devenus le principal concurrent des grands studios Baalbeck », raconte Mike Haroun. « Nous sommes restés cependant une entreprise familiale et, avec les studios Baalbeck, nous formions 40 % du marché total du Moyen-Orient. » La guerre du Liban a beaucoup ralenti l’activité cinématographique. Haroun a continué à opérer jusqu’en 1982, année de l’invasion israélienne du Liban, qui a vu s’arrêter leurs activités d’une manière définitive. Idem pour les studios Baalbeck.

À cette époque-là, Mike Haroun se trouvait aux États-Unis pour poursuivre des études en génie chimique, qui devaient être utiles pour la fabrication des films. Avec la fermeture des studios à Beyrouth, il se dirige vers l’écriture de programmes informatiques et s’établit au pays de l’Oncle Sam pendant vingt ans.

Lire aussi

Revenir à Gemmayzé, pour le cinéma

De retour au Liban en 1998, Mike Haroun décide de faire revivre le business familial et en reprend les rênes. « Pour relancer les studios, nous avons pensé faire des sous-titrages de films. Nous avions le savoir-faire. » Mike Haroun est un homme méthodique et correct. Pour réinstaller son entreprise au Liban, il savait qu’il lui fallait être novateur et sérieux à la fois. « Je ne pouvais travailler qu’à mes propres conditions même si mon père me conseillait de m’adapter à “l’à peu près à la libanaise”. Il a fallu sept ans pour que les autres s’adaptent à moi. » C’est ainsi que les Studios Haroun finissent par faire la concurrence à la grande société Anis et Obeid en Égypte en matière de traduction de films de cinéma. En mai 2000, le studio assiste à sa relance et le plateau à l’étage supérieur recommence à accueillir des tournages. Lorsqu’en 2010 le cinéma numérique ou D-cinema commence à prendre de l’ampleur, le directeur des studios ira aux États-Unis pour rapporter le matériel nécessaire et s’y entraîner. « En l’espace de quelques semaines et après que le circuit Empire eut mis des projecteurs numériques, nous étions prêts à opérer le transfert du 35 mm au numérique. Et l’équipe, enthousiaste, fut entraînée pour cela. »

Aujourd’hui, une visite aux studios suffit pour sentir et voir le passé côtoyer le présent. Mais l’on a aussi une vision du futur. Les anciennes machines sont là, présentes, debout. La nouvelle technologie aussi. De même que ses multiples possibilités. Chez les Haroun, la modernité est toujours en marche et on adapte les films aux techniques et aux besoins du temps.

La nouvelle technologie au service du cinéma. Photo DR

Redonner vie aux films

C’est en 2017 que Mike Haroun a découvert la caverne d’Ali Baba. Dans un dépôt, une multitude de boîtes de films entassées. « La plupart des copies de trop laissées par des distributeurs, ou même avec un défaut, se souvient-il. J’allais de surprise en surprise et c’était comme si j’étais tombé sur un trésor longtemps enfoui. » Et de préciser : « Non pas un trésor au sens matériel du mot mais dans le sens de sa valeur morale. Je me suis senti responsable moralement d’un héritage patrimonial qu’on pouvait, qu’on devait laisser aux générations futures. Si on pouvait les restaurer, peut-être que le ministère de la Culture pourra les stocker à l’avenir ou même une ONG s’en charger », s’est alors demandé ce passionné de cinéma. Toutes ces bobines lui faisaient découvrir le visage d’un Liban passé, un mode de vie, une culture, un environnement, tous perdus, oubliés. « J’ai même retrouvé des images de combats réels qu’un reporter ou même un combattant avait pris durant la guerre en 1975. » Alors, retroussant ses manches, Mike Haroun va se mettre à scanner les films en rapportant encore une fois du matériel de l’étranger, mais en ajoutant également une machine qu’il monte lui-même susceptible de scanner les images, scène après scène. « Chaque fois qu’elle scanne une scène, elle s’arrête pour arranger la couleur puis elle reprend le scan. Cela prend plus de temps mais le résultat est meilleur. Par la suite, en post production, nous retravaillons la couleur, nous ôtons le granulé, les saletés et stabilisons l’image. » Haroun précise que c’est une restauration qui peut avoir lieu in situ « sans avoir besoin de quiconque de l’étranger ».

Mike Haroun ne cache pas sa fierté d’être en possession de cette très grande quantité de films du Liban, de Syrie, de Turquie, d’Égypte et même de l’Inde. « Restaurer des bribes de cette collection est une initiative personnelle. J’ai déjà posté sur YouTube une soixantaine de trailers restaurés. » Pour le moment, le travail se fait lentement, puisqu’il finance lui-même le processus.

Cela fait plus de soixante-dix ans que les Studios Haroun exercent un savoir-faire certain dans le domaine cinématographique. « C’est aussi une passion car, dit Mike Haroun en rigolant, qui peut passer des heures à inspecter de vieilles pellicules, à vouloir les recolorer, à leur donner vie à nouveau, s’il n’est pas complètement mordu de cinéma ? »

Les films en 8 mm, 16 mm et 35 mm ont toujours « coulé » dans les veines des Haroun de père en fils, de génération en génération. Avant Mike Haroun qui dirige aujourd’hui les studios et qui se lance dans une opération de restauration de bribes de vieux films et qu’il poste généreusement sur YouTube, le grand-père, Michel Haroun, était semble-t-il un véritable...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut