L’intuition, cette faculté mystérieuse qui permet aux personnes de répondre aux questions qu’on ne leur a pas encore posées, de prédire l’arrivée de visiteurs inattendus, de reconnaître les rivaux éventuels, comme s’ils portaient une étiquette, et de savoir encore, sans qu’on leur en ait parlé, si leur petite amie s’est disputée avec son patron.
Depuis qu’Ève, la première, a mordu dans la pomme, les hommes demandent à certaines femmes comment, sans raison apparente, elles peuvent prévoir des faits. L’intuition existe-t-elle réellement ? Si oui, est-elle l’apanage des femmes ? Nous nous sommes décidés à interroger la science.
Nous avons appris que l’intuition est une fonction normale et fort utile de l’intelligence humaine. Ce fait nous a été confirmé par six personnes dont l’opinion, en la matière, fait autorité.
Pourquoi ? À l’âge de l’adolescence, le garçon tient avant tout à s’imposer par ses actes. La jeune fille, au contraire, se concentre sur les sentiments, tant les siens que ceux des autres. La très jeune fille est « une personne qui se trouve dans l’obscurité, l’oreille tendue, et qui perçoit chaque bruit avec une finesse toute particulière ». La connaissance qu’elle tire de ses propres émotions la rend capable, par analogie, de revivre celles des autres.
La définition la plus simple de l’intuition : « C’est un mode de penser qui ne s’exprime pas, un raccourci vers la vérité et, sur le plan émotionnel, la seule manière de l’atteindre. Une fonction psychologique fondamentale qui nous transmet les perceptions sans que nous en ayons conscience. » Cette faculté de percevoir s’appuie sur le témoignage de nos sens. Mais parce qu’elle met en lumière une connaissance et une expérience dont nous n’avons pas une conscience claire, on la confond souvent avec la télépathie, la clairvoyance ou autres perceptions extrasensorielles.
Nous connaissons tous, par les mass media télévisés, le joueur de cartes qui, tel un médium, paraît lire dans le jeu de son adversaire. À dire vrai, il a noté chez ce dernier toutes sortes de détails révélateurs : un frémissement indiscret des paupières ou des lèvres, une hésitation dans la voix, le raidissement d’un muscle de son poignet au moment où il touchait une carte par exemple. Et il est possible qu’il ne se rende pas compte lui-même des indices qui le renseignent.
Nous autres civilisés, nous avons substitué des mots et diverses autres abstractions à l’expérience directe qui consiste à voir, à entendre, à sentir, à goûter, à toucher et à ressentir. Mais bien que nous les négligions, nos sens n’en continuent pas moins à jouer leur rôle, et bien mieux que nous ne nous en rendons compte.
Prenons le sens de l’odorat, de tous peut-être le moins développé. Nous rions de ces médecins du fin fond de leur cabinet qui dans un couloir diagnostiquent certaines maladies en reniflant dans la pièce où se trouve leur patient. Puis nous avons découvert que ces maladies produisent en fait des fermentations chimiques que révèlent des émanations caractéristiques. Des expériences ont montré que l’odeur de l’haleine d’un sujet se modifie effectivement selon ses réactions émotives.
On n’a pas précisé la distance à laquelle on peut inconsciemment détecter l’odeur que dégage un être humain, mais il est certain qu’elle excède la longueur d’une pièce. Comment une odeur, dont nous n’avons même pas pris conscience, peut-elle avoir, pour nous, une signification ? S’il ne nous est jamais arrivé d’être doucement réveillés par l’arôme du café ou des « œufs au bacon ». L’été dernier, nous avons eu une preuve de la façon dont les sens interviennent dans la formation de l’intuition. En général, les femmes aussi sont très habiles à deviner l’âge des gens, surtout s’il s’agit de déterminer celui d’une autre femme. Si nous ne le croyons pas, faisons nous-mêmes l’expérience au cours d’une réunion quelconque. Entrent deux jeunes filles, l’une de vingt-trois ans et l’autre de vingt-cinq, par exemple. Ce qui les différencie sur le plan de l’âge est bien trop subtil pour être exprimé. Les hommes essaient de le mettre en évidence par le raisonnement, mais ils ne devinent pas mieux, d’ordinaire, que s’ils en appelaient au hasard seul ou à la galanterie. Pourtant, à l’aide d’imperceptibles indices, les femmes parviennent souvent à le déterminer.
Comme la psychiatrie et le bon sens l’ont prouvé, nous savons infiniment plus de choses que nous n’en avons conscience. L’esprit reçoit dans la conscience claire quelques-unes seulement des impressions perçues par les organes sensoriels. Mais le cerveau ne gaspille pas les autres informations. Il les entrepose dans l’inconscient, où elles demeurent prêtes à être utilisées. Certains médecins diagnostiquent, au premier coup d’œil, le mal dont souffre leur client, tandis que d’autres n’y parviennent qu’après un examen laborieux. Ces praticiens intuitifs notent un certain nombre de symptômes fugitifs et les rapprochent des renseignements pertinents qu’ils ont accumulés au cours d’une longue expérience.
De même, tous les intuitifs savent tirer des réserves de leurs connaissances et de leurs expériences inconscientes de quoi répondre aux problèmes de la vie courante.
L’inconscient est perpétuellement en activité. Lorsque nous nous trouvons devant une tâche embarrassante, travaillons donc de toutes nos forces. Puis, si nous n’en venons pas à bout, essayons de dormir, allons faire une promenade ou détendons-nous en compagnie d’amis. En admettant que nous ayons réuni la documentation suffisante, la solution nous viendra vraisemblablement toute seule, alors que notre esprit paraîtra en sommeil.
Dans le cas où nous devrions prendre une décision d’ordre purement personnel, les éléments essentiels sont constitués par nos sentiments profonds. Nous saurons alors ce qu’il faut faire sans avoir besoin de nous livrer à une longue délibération préparatoire. Avant de prendre une décision de minime importance, nous trouverons toujours avantage à peser le pour et le contre. Mais s’il s’agit d’une question vitale, comme le choix d’une amie, d’une carrière, la décision doit venir de l’inconscient, dictée des profondeurs de notre être. Lorsque nous devons prendre une décision importante concernant notre existence, il nous faut être commandés par les nécessités intimes de notre nature.
La vie est beaucoup plus intéressante pour les intuitifs. Un être a plus de signification pour nous lorsque nous pénétrons le fond de son âme et, de ce fait, nous prenons plus de signification à ses yeux.
Voilà ce qu’est l’intuition en réalité : la découverte, chez les individus et dans les événements, d’une signification nouvelle, plus profonde, donnant plus de sens à la vie. Mais comment développer nos facultés intuitives ? Comme toute forme de pensée, en cultivant la vigilance, la sensibilité, la discipline de l’esprit. Ôtons les œillères de l’habitude et ouvrons notre esprit à ce qui se passe autour de nous. Voyons les hommes tels qu’ils sont, non pas tels qu’ils devraient être selon nous.
Ne laissons pas les préjugés déformer nos vues, la fin consiste à laisser les gens se révéler inconsciemment à nous. La manière dont une personne tient, s’assied, serre la main, fume ou boit donne aux intuitifs de précieux éléments pour la compréhension de son caractère. L’intuition n’est pas l’ennemie de la raison, mais son alliée. Pour être effective et réaliste, la pensée doit faire une combinaison des deux.
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