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Culture - Édition

Penser Beyrouth pour panser nos blessures

Isabelle Adjani, Fanny Ardant, Amin Maalouf, Marc Lambron, Louis Chedid, Alexandre Jardin, Christophe Ono-Dit-Bio et d’autres illustres noms écrivent « Pour l’amour de Beyrouth » (Fayard), sous la direction de Sarah Briand. Un collectif de témoignages, d’aveux, de coups de colère, de coups de cœur pour une capitale meurtrie... encore une fois.

Penser Beyrouth pour panser nos blessures

Une illustration de Alia Mouzannar en couverture de « Pour l’amour de Beyrouth ».

Il a fallu un dernier coup fatal à cette ville qui n’arrête pas de tomber et de se relever depuis des décennies, pour réaliser combien Beyrouth est aimée par ceux qui ont eu la chance de la vivre.

Il a fallu un dernier coup fatal pour prendre conscience que ce petit pays planté en bord de Méditerranée n’est pas qu’un simple point sur la carte du monde…

Trente-cinq artistes, écrivains, journalistes, photographes ou designers, libanais ou français, réunis par Sarah Briand, racontent leur Beyrouth ; celle où ils sont nés, celle qu’ils ont quittée pour des horizons plus sereins, celle qu’ils ont traversée, celle qui les a accueillis le temps d’un séjour béni, et celle qui les a envoûtés…

Journaliste à France 2, et réalisatrice de documentaires pour l’émission de Laurent Delahousse Un Jour un Destin, Sarah Briand a passé toute son enfance en Ardèche (sud-est de la France), avant de partir en 1995 vivre au Liban où son père travaillait en tant qu’expatrié. Scolarisée au Lycée français de Beyrouth, elle décroche son baccalauréat section littéraire et s’inscrit à l’Université Saint-Joseph où elle obtient un DEUG en lettres modernes. De retour en France, elle poursuit ses études supérieures en licence et maîtrise à l’Université de Grenoble en lettres et langues (anglais, italien, espagnol, grec ancien et arabe). « Face à la tragédie du 4 août qui a frappé Beyrouth, je ne pouvais rester impuissante. À cette ville qui m’a beaucoup appris, beaucoup donné, je devais bien ça. J’ai voulu porter ma voix et réunir des textes afin de laisser s’exprimer ceux qui ont connu Beyrouth, et permettre à ceux qui ne l’ont pas connue de découvrir toutes ses facettes. » Ville de contrastes qui sent la mer, le jasmin et la poussière, pour Jacques Weber, terre d’élégance martyrisée, pour Marc Lambron ou ville au cœur intelligent, pour Alexandre Jardin, ville épicée et criblée, pour Christophe Ono-Dit-Biot ou ville qui a de l’imagination, pour Tahar Ben Jelloun, Beyrouth, où se côtoient les pulsions de vie et de mort, ne laisse personne indifférent.

« Seules deux personnes sollicitées pour témoigner ont décliné l’offre, pour une raison très simple, confie Sarah Briand, les mots ne sortaient plus. » Victimes de l’explosion dans leur chair ou leur mental, meurtris physiquement et psychologiquement, il était encore trop tôt. Pour penser Beyrouth il fallait d’abord panser ses blessures.

La beauté et son contraire

Parmi ceux qui ont signé des textes dans cet ouvrage, il y a d’abord les habitués. Ceux qui y reviennent à chaque occasion, pour offrir un concert, présenter un livre, se produire sur les planches beyrouthines ou réciter les grands auteurs. Il y a ceux, atteints du syndrome du séduisant chaos, qui rappliquent pour ses mezzés, son café blanc, ses immeubles criblés de balles qui crient leur douleur, ses maisons anciennes qui résistent au béton, ses rires en bouquet qui éclaboussent les passants, le courage de ses habitants, l’énergie lumineuse qu’elle dégage, sa vitalité intarissable... Il y a les inconditionnels, artistes, écrivains, ou couturiers libanais qui ne baisseront jamais les bras. Et il y a les amoureux de Beyrouth…

Il y a aussi les femmes, qui ont la grâce, la beauté et l’intelligence du cœur. Quand leurs rétines ont rencontré Beyrouth pour la première fois, leur cœur s’en est imprimé à tout jamais. Isabelle Adjani y a fait des rencontres pour la vie, y a développé des amitiés. Pour elle, le Liban est avant tout un pays d’une culture magnifique et indépendante et d’un cœur passionné et solidaire. Un pays qui a toujours été stigmatisé par les puissances étrangères comme pays martyr.

Invitée pour jouer Duras, Racine ou Euripide, Fanny Ardant a toujours regretté ses séjours beaucoup trop brefs et se pose souvent la question : « Il est où le secret ? Pourquoi cet amour pour cette terre qui m’a accueillie les bras ouverts, pourquoi cet élan vers ce peuple qui parle ma langue, mais avec des mots mystérieux, hypnotisants et doux ? Il y avait chez mon père un immense cèdre du Liban. Enfant quand j’y grimpais, je rêvais que j’étais une Libanaise. » Il y a ceux qui revendiquent leurs origines et brandissent leur attachement immuable. Louis Chedid qui préfère le vocabulaire de lumière à celui de l’ombre pour décrire son Liban. Sophie Fontanel qui partage avec les lecteurs son incroyable histoire familiale « afin que le Liban soit à jamais conté », dit-elle. Nahida Nakad, reporter à TF1, qui a fui l’enfer en 1975 et le retrouve depuis à chaque reportage. Il y a ceux qui implorent les Libanais à rester debout. Et « si vos gouvernants vous ont abandonnés comme ils ont abandonné le pays, scande Bernie Bonvoisin, ce n’est pas une raison suffisante pour que vous le fassiez aussi ». Mais Beyrouth est aussi pour Sylvia Rozelier une ville qu’on ne peut aimer sans vouloir un jour la quitter, ville amnésique qui court à son inéluctable perte, ville où le vert s’estompe face à la pollution qui l’envahit, mais ville qui résiste cherchant à se souvenir de ce qui fut. Et à chacun de ses passages, l’écrivaine tente d’immortaliser les sensations, de retenir l’émotion qui l’avait saisie la première fois et qui n’est plus, à son grand désarroi, qu’un pincement au cœur.

Elle est pour Patrick Chauvel une ville tellement aimée que ses habitants vivent dans le déni d’une réalité qui les poursuit depuis 1975. Elle est pour Maria Ousseimi tout et son contraire, elle infante l’exil, une ogresse qui attire ses enfants tel le chant des sirènes pour mieux les dévorer. Et pour Daniel Rondeau, c’est une ville qui va à contresens, avec des citoyens qui adoptent une position oblique par rapport au reste du monde.

Oui, Beyrouth est belle, séduisante et sensuelle, moderne et joyeuse, cultivée et lumineuse ; oui, Beyrouth fascine et hypnotise ceux qui la traversent. Mais cela suffit-il à ceux qui la vivent ? Alors, face au découragement massif et à l’absence contagieuse de perspective, face au désespoir collectif et à la désillusion, il ne reste peut-être plus que la prière, celle qu’Amin Maalouf adresse au ciel… pour sauver un peuple qui mérite de vivre. Ou peut-être ce petit pays, comme le dit si bien Laurent Gaudé, n’est grand que par l’utopie qu’il porte en lui, et qui dit utopie dit idéal qui fait fi de la réalité.

* « Pour l’amour de Beyrouth » est en librairie depuis le 18 novembre 2020. Sa couverture est illustrée par Alia Mouzannar et les bénéfices seront reversés à l’association Offre-Joie qui œuvre pour la reconstruction de la ville.

Il a fallu un dernier coup fatal à cette ville qui n’arrête pas de tomber et de se relever depuis des décennies, pour réaliser combien Beyrouth est aimée par ceux qui ont eu la chance de la vivre.Il a fallu un dernier coup fatal pour prendre conscience que ce petit pays planté en bord de Méditerranée n’est pas qu’un simple point sur la carte du monde…Trente-cinq artistes,...

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