Rechercher
Rechercher

Monde - Décryptage

La politique syrienne de Biden : entre Obama et Trump

Le nouveau président américain ne devrait pas effectuer de changements significatifs sur ce dossier.

La politique syrienne de Biden : entre Obama et Trump

Le président américain élu Joe Biden, le 9 novembre 2020. Photo AFP

S’ils le pouvaient, les Syriens opposés au régime de Bachar el-Assad auraient certainement voté pour Donald Trump lors de l’élection américaine du 3 novembre. Pas par amour du personnage ni en raison de visions politiques partagées, mais parce que le locataire de la Maison-Blanche a fait ce que son prédécesseur, Barack Obama, n’avait pas osé faire en Syrie et n’avait pas voulu faire dans la région : intervenir militairement contre le régime Assad à la suite d’une attaque chimique du régime contre Khan Cheikhoun le 4 avril 2017 (Washington avait lancé en représailles quelques jours plus tard 59 missiles contre une base aérienne près de Homs), et faire de l’Iran, allié du régime syrien, le principal ennemi des États-Unis dans la région.

La politique de Biden au Moyen-Orient : le changement dans la continuité

La politique de Biden au Moyen-Orient : le changement dans la continuité

Aujourd’hui, la victoire du candidat démocrate Joe Biden suscite la crainte, dans les rangs de l’opposition syrienne, d’un retour à la période Obama, dont il était le vice-président. « Durant le mandat d’Obama, la politique américaine a plongé la Syrie dans un état catastrophique, notamment à cause du non-respect des lignes rouges fixées qui ont donné un blanc-seing au dictateur de Damas pour continuer à utiliser des armes chimiques, à lancer des barils d’explosifs sur sa population », déplore auprès de L’Orient-Le Jour Yahya al-Aridi, porte-parole du Haut Comité des négociations (HCN), qui regroupe une grande partie de l’opposition syrienne. Joe Biden était l’une des personnalités les plus hostiles à une intervention en Syrie au sein de l’administration Obama. Selon le New York Times, il s’était notamment montré réticent sur le fait d’armer et de former des groupes anti-Assad. Le 30 août 2013, Barack Obama choisit de ne pas ordonner les frappes préparées contre le régime syrien à la suite d’attaques à l’arme chimique dans la banlieue de Damas, qui ont fait des centaines de morts parmi les rebelles quelques jours plus tôt, effaçant par la même occasion la « ligne rouge » qu’il avait fixée en 2012. Joe Biden faisait à l’époque partie des membres de l’administration les plus opposés à des frappes. Trois ans plus tard, lors d’un entretien à la chaîne PBS en juin 2016, Joe Biden, alors vice-président, fait preuve de pragmatisme. « Il y a tellement de personnes qui veulent que vous fassiez quelque chose contre Assad… vous souriez », glisse le journaliste Charlie Rose. Ce à quoi M. Biden répond tout de go : « Je leur dis, vous voulez qu’on le mette hors jeu ? Et comment feriez-vous ça alors ? Vous voulez qu’on déclare la guerre et qu’on envoie 100 000 troupes là-bas ? »

Reconstruction

Durant sa campagne, Joe Biden s’est contenté de phrases très générales pour présenter la politique qu’il choisira d’appliquer pour la Syrie. Il expliquera notamment vouloir pousser tous les acteurs en vue de parvenir à des solutions politiques, tenter de faciliter le travail des organisations non gouvernementales et « mobiliser d’autres pays pour soutenir la reconstruction de la Syrie », sans toutefois préciser comment il compte s’y prendre. Quand il prendra sa place dans le Bureau ovale (en janvier), la guerre syrienne entrera dans sa 11e année. Plus de 500 000 Syriens sont morts et 12 millions et demi de personnes, soit plus de la moitié de la population, sont des déplacées. « Il ne faut pas s’attendre à un changement significatif. Le président Biden maintiendra probablement bon nombre des principes fondamentaux de la politique américaine », confirme à L’Orient-Le Jour Will Todman, membre associé au CSIS (Center for Strategic and International Studies). Sur le fond, la politique syrienne d’Obama et celle de Trump n’ont pas connu de véritable rupture. La même logique devrait prévaloir entre Trump et Biden, même si la forme sera différente, le nouveau président souhaitant revenir à une approche plus traditionnelle de la politique étrangère américaine.

Lire aussi

Avant l’investiture de Biden, Trump va-t-il frapper un dernier coup contre l’Iran ?

Tout comme son prédécesseur, Joe Biden ne compte pas renouer avec Bachar el-Assad, ou s’impliquer davantage. À la question du Washington Post sur un retour des relations diplomatiques avec le gouvernement syrien si Bachar el-Assad restait au pouvoir, le candidat démocrate n’avait pas répondu concrètement, se contentant de dire que « les États-Unis devront s’engager diplomatiquement avec toutes les parties au conflit pour y mettre fin ».

Commentaire

La présidence Biden et le Moyen-Orient, un changement en forme d’exorcisme

Par ailleurs, la politique de sanctions contre le régime et ses affidés ne devrait pas être remise en question, notamment la fameuse loi César entrée en vigueur en juin dernier et qui vise toux ceux qui soutiennent l’État syrien dans certains secteurs économiques, notamment la reconstruction, mais aussi le pétrole et le gaz. Ces sanctions sont considérées par le nouveau président comme un outil nécessaire pour maintenir la pression sur le régime syrien, notamment sur ses alliés, en vue d’obtenir des avancées. Dans une interview accordée à Asharq al-Awsat, un conseiller du nouveau président a expliqué que les sanctions seraient renforcées par la pression diplomatique sur Assad et ses principaux soutiens internationaux.

Frictions avec la Turquie

À l’instar de Donald Trump, Joe Biden affiche une volonté de désengagement relatif de son pays dans la région. Les États-Unis sont présents dans le Nord-Est syrien dans le cadre de la lutte contre l’État islamique, en soutien aux forces kurdes. Le futur locataire de la Maison-Blanche a assuré qu’il ne retirerait pas les troupes stationnées, après avoir fustigé en octobre 2019 la décision de Trump semblable à une « trahison » envers les forces kurdes. L’ancien envoyé spécial pour la Syrie James Jeffrey a admis pour la première fois jeudi dans une interview qu’il n’y a jamais eu de « retrait américain » de Syrie, parce que l’équipe a toujours fait en sorte de convaincre le président Trump du maintien des troupes sans lui faire part du nombre exact de soldats sur place. Joe Biden ne semble pas prêt à jeter aux orties l’alliance avec les Kurdes. « Je ne m’attendrais pas à des annonces de retrait soudain qui prendraient au dépourvu les alliés, partenaires et autres responsables américains », estime Will Todman. La Turquie, marraine de l’opposition syrienne, a réussi ces dernières années à repousser les velléités kurdes (qu’elle considère comme terroristes) de créer un corridor à sa frontière. Joe Biden a ouvertement suggéré que les FDS (Forces démocratiques syriennes à majorité kurdes) devraient être soutenues en Syrie tout en remettant en question la présence de missiles de l’OTAN dans la base aérienne turque d’Incirlik. Cette situation pourrait créer davantage de frictions entre les deux pays dont les relations ne sont pas au beau fixe. « Si les relations entre les Américains et les Turcs se corsent, il est certain que l’opposition syrienne va en pâtir », déplore via WhatsApp Moustapha Dahnon, un journaliste d’Idleb, qui espérait voir Donald Trump remporter l’élection présidentielle. « Parce qu’il est plus franc, plus direct, notamment contre Assad et contre l’Iran », dit-il.

Lire aussi

Au Moyen-Orient, les alliés de Trump font grise mine

C’est sur ce dossier que les craintes sont d’ailleurs les plus grandes. Alors que Donald Trump a fait de l’Iran son ennemi numéro un dans la région en appliquant une politique de « pression maximale », Joe Biden a fait savoir qu’il se tenait prêt à revenir à la table des négociations, allant jusqu’à évoquer une réintégration de Washington dans le JCPOA (accord nucléaire de 2018) si Téhéran respecte « strictement » ses engagements, même s’il paraît peu probable qu’il y parvienne. Le nouveau président estime que cela permettra notamment de réinstaurer le dialogue entre les deux pays en vue de freiner l’expansionnisme iranien dans la région. « Nous espérons qu’il ne réintégrera pas l’accord aux dépens de la Syrie. L’Iran veut garder une importante présence et influence dans la région et nous ne voulons pas être un objet de marchandage », lâche Yahya al-Aridi. Le futur président ne devrait également pas contrarier les plans israéliens en Syrie. Depuis le début du conflit en 2011, Israël a mené des centaines de frappes aériennes contre les forces de Damas, mais aussi contre celles de l’Iran et de groupes pro-Téhéran, comme le Hezbollah libanais notamment, qui combattent aux côtés du régime Assad. Israël confirme rarement les détails de ses opérations militaires en Syrie voisine, mais ne cesse de répéter qu’il poursuivra ces attaques tant qu’il y aura une présence iranienne sur le territoire syrien qu’il considère comme une menace pour l’État hébreu. « Biden devrait poursuivre la politique américaine consistant à accorder à Israël un large degré d’indépendance dans sa guerre de l’ombre contre l’Iran », estime Will Todman.

S’ils le pouvaient, les Syriens opposés au régime de Bachar el-Assad auraient certainement voté pour Donald Trump lors de l’élection américaine du 3 novembre. Pas par amour du personnage ni en raison de visions politiques partagées, mais parce que le locataire de la Maison-Blanche a fait ce que son prédécesseur, Barack Obama, n’avait pas osé faire en Syrie et n’avait pas voulu...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut