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Nos Lecteurs ont la Parole

Ils sont morts mais ils ne le savent pas. Et nous ?

Ça pourrait ressembler à ces blagues éculées où on compare l’attitude des « Américains », « Français », « Libanais »… dans des situations cocasses ou extrêmes. La devinette serait : comment chacun d’eux pourrait-il se débarrasser d’une classe politique qui est à bout de souffle, au moment où le pays manque cruellement de respirateurs ? Les deux premiers et avec quelques variantes répondront : par des élections, au suffrage universel indirect ou direct. Quelle sera la réponse ingénieuse, inventive, des Libanais ?

Nous sommes descendus dans la rue pour crier indignation, colère, lassitude, exaspération… Les forces de l’ordre, aux ordres, n’ont pas compris que nous défendions aussi la pérennité de leur salaire de misère. Nous n’avions pas tous vingt ans et nous n’avions plus l’âge de courir pour fuir les canons à eau, les gaz lacrymogènes ou les balles en caoutchouc. La Croix-Rouge a transporté cinq mille deux cents manifestants nécessitant des soins hospitaliers, sans compter les petits bobos soignés sur place.

L’intimidation, les arrestations et les accusations abusives ont pu refroidir quelques-uns. D’autres, ont été gagnés par l’impatience. Le précédent de 2005 ne nous poussait pas à l’endurance : entre le 14 février et le 14 mars, il s’était écoulé un mois, et l’armée syrienne s’était retirée soixante-dix jours après l’assassinat de Rafic Hariri. D’aucuns ont-ils pensé que nous pourrions nous débarrasser de notre voyoucratie en un temps comparable ? C’est oublier que celle-ci, contrairement à l’État qu’elle a pillé, a de la ressource et s’accroche pour se protéger. Regardez le bazar actuel des chefs de partis confessionnels qui refusent la rotation ministérielle, craignant par-dessus tout qu’un acolyte, même complice, ne découvre leurs malversations. « Tu descends ? » me demande, à chaque manifestation, une amie qui a fait sa révolution sur son canapé, zapette en main (pour ne rien rater du spectacle) et critique en bouche : « À quoi ça sert ? » Son parti compte beaucoup d’adhérents : les frileux, les paresseux, les désabusés, les loyalistes, les soumis et j’en passe… Il compte surtout ceux qui voudraient que le travail soit fait mais rechignent à se salir les mains.Oui, « je descends », parce que l’alternative au « tu descends ? » est dans ce clip de Nancy Ajram qui passe en boucle à la télé et qui raconte le sachet de zaatar que la maman au bord des larmes a placé dans la valise de son fils qui émigre. Pourtant, l’un des slogans de la jeunesse du 17 octobre n’était-il pas : « Nous ne voulons plus être des projets d’émigration » ? Quelqu’un tient-il les statistiques de la saignée qui a appauvri, anémié le Liban de ses forces vives ?

Covid s’est mis de la partie et a offert une opportunité contre-révolutionnaire aux féodaux, aux clientélistes et autres politiciens sans foi ni loi qui ont redistribué, chacun à ses pauvres, les miettes du pain qu’ils leur avaient volées.Cet état des lieux n’est pas désabusé, il est lucide. Il ne fait pas l’impasse sur le 4 août – qui représente pour la révolution française la nuit de l’abolition des privilèges et des droits féodaux. Voilà ! La voyoucratie, par autisme, perversion, cupidité, lâcheté, impuissance, s’est tiré une balle dans le pied (?) dans la tête (?) en plein cœur (?) À la question de savoir : comment est-il possible qu’aucun n’ait présenté ses condoléances à la population affligée, meurtrie, sonnée ? La réponse est simple : ils sont morts mais ils ne le savent pas. Et nous ? Quand je dis : et nous ? Suis-je entrain de me demander si 1- nous savons qu’ils sont morts ou si 2- nous sommes nous-mêmes morts aussi ou si 3- nous sommes morts et nous ne le savons pas…

Et nous ? Comment allons-nous faire pour rester en vie : vivants, vibrants, résistants ? D’abord, il faudra oublier notre pseudo-« résilience » tant vantée et galvaudée qui s’apparente davantage à une généralisation excessive, abusive du système D. D comme débrouille ! Mais plus ou moins de débrouille individuelle ne peut « faire société ». Il faudra ensuite mettre un bémol à notre humour, ironie, dérision… ce qui nous fait sourire de tout mais nous fait tout accepter.

Nous devons accepter qu’un système qui s’est construit contre son propre État puis contre sa société mettra du temps à disparaître et que, comme le dit Albert Camus : « La révolution sociale exige d’abord la révolution des esprits. » Se construire pour passer d’une force de contestation à une force de proposition, de la plainte du subissant à l’enthousiasme de l’agissant. « Le pouvoir n’existe que parce qu’on y consent. Si l’on refuse son consentement, alors il s’effondre de lui-même. La servitude est volontaire. »

Il existe, au sein de la thaoura, des groupes qui méritent qu’on y adhère pour approfondir et le sens social de chacun et l’apprentissage du politique et de la citoyenneté. Une alternative peut se construire qui dise « oui à la vie », face au « oui à la mort » de ceux qui sont morts mais qui ne le savent pas.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Ça pourrait ressembler à ces blagues éculées où on compare l’attitude des « Américains », « Français », « Libanais »… dans des situations cocasses ou extrêmes. La devinette serait : comment chacun d’eux pourrait-il se débarrasser d’une classe politique qui est à bout de souffle, au moment où le pays manque cruellement de respirateurs ?...

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