Principal facteur des conditions inhumaines de détention, l’engorgement des prisons est depuis de nombreuses années un mal chronique au Liban. Un mal qui s’est davantage accru avec la propagation du coronavirus, menaçant gravement la santé, voire la vie des détenus. Près de 400 prisonniers ont déjà été contaminés, dont plusieurs ont été hospitalisés et un est mort. En dépit des efforts déployés par les responsables concernés pour parvenir à une déflation carcérale, les résultats ne sont toujours pas probants. C’est que les mesures ponctuelles adoptées sont loin de répondre à la nécessité de diminuer d’au moins un tiers l’occupation des établissements pénitentiaires. À titre d’exemple, la prison de Roumieh a une capacité d’accueil de 1 200 détenus, mais son taux d’occupation atteint plus du triple de ce nombre.
Le dernier effort en date pour trouver des solutions à l’insalubrité due à l’exiguïté dans les lieux de détention est celui fourni par la commission parlementaire des Droits de l’homme, présidée par Michel Moussa (Amal), qui s’est réunie hier moins d’un mois après sa dernière séance consacrée au même objet. « Pour avoir des chances d’obtenir un minimum de changement, il faut travailler de manière récurrente et continuer à élever la voix », affirme M. Moussa à L’Orient-Le Jour. La séance à laquelle ont participé les membres de la commission, notamment Georges Okais, Roula Tabch, Ibrahim Azar et Simon Abiramia, s’est tenue en présence des représentants du ministère de la Justice et du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), avec lesquels il a notamment été discuté de l’urgence d’œuvrer à l’accélération des procès ainsi que des mises en liberté en cas de détentions préventives.
La moitié des détenus sont des prévenus
« Il est inconcevable que 47 % des détenus soient en attente de jugement », tonne M. Moussa, appelant le CSM à « agir pour remédier à la situation ».
L’exhortant à prendre « de simples mesures d’ordre organisationnel interne pour donner des directives spécifiques en vue d’une justice rapide », il réclame que « cessent les arrestations effectuées en vertu d’ordres non motivés, donnés au téléphone par des procureurs généraux ». Il prône également de « mettre un terme au report répété des audiences », citant l’exemple d’une séance ajournée parce qu’un seul parmi les quinze prévenus dans une même affaire n’a pas comparu. Lors de la séance tenue par la commission, les parlementaires ont en outre pressé les magistrats à appliquer les lois qui édictent la réduction des sanctions dans des cas précis.
Une mesure que recommande d’ailleurs la ministre démissionnaire de la Justice, Marie-Claude Najm. Mobilisée depuis mars, elle réclame la mise en liberté de prisonniers âgés ou malades, se basant également sur des critères liés à la nature du crime (par exemple un vol sans violence) et à l’étendue de la peine qui reste à purger. Elle propose également le relâchement de prisonniers qui, ayant déjà effectué leur peine, ne peuvent s’acquitter de leurs pénalités. Toujours dans l’esprit de décongestionner les prisons, la ministre de la Justice prône de recourir à la détention préventive dans les seuls cas d’extrême urgence, ainsi que d’effectuer les procédures de demandes de mise en liberté par téléphone, télégramme ou voie électronique. La ministre demande également qu’un maximum d’interrogatoires se fasse sur internet.
Autre responsable concerné par la surpopulation carcérale, le procureur général près la Cour de cassation, Ghassan Oueidate, qui a publié plusieurs circulaires en vertu desquelles il demande notamment « la libération immédiate de prévenus dont l’interrogatoire n’a pu avoir lieu et dont la détention s’est prolongée plus de 24 heures ». Le CSM est lui aussi mobilisé pour un désengorgement des établissements pénitentiaires, quand bien même M. Moussa lui demande d’en faire davantage. En coopération avec le Conseil de l’ordre des avocats de Beyrouth, une chambre d’opérations a été mise en place au Palais de justice pour mettre en contact les requérants, les magistrats et les lieux de détention. Pour les interrogatoires à distance, des salles équipées y ont été aménagées afin de permettre la communication entre les magistrats et les postes de police où sont détenus les prévenus. Encore que nombre de gendarmeries ne sont pas munies des moyens nécessaires.
La construction de prisons
S’il est vrai que les voies empruntées ont permis d’accélérer beaucoup d’interrogatoires et de remises en liberté, le nombre de détenus reste très au-delà du nombre requis pour assurer un minimum d’espace vital. Afin d’y arriver, il faudrait libérer au moins 3 000 prisonniers sur les quelque 7 000 répartis dans les lieux de détention à travers le territoire. La proposition de loi sur l’amnistie générale était munie d’ambitions en ce sens, mais elle semble avoir été abandonnée depuis que le 30 septembre dernier, le chef du Parlement, Nabih Berry, a décidé la formation d’une commission parlementaire chargée de lui trouver une alternative. Deux options en ont émergé : ramener à 6 mois l’année carcérale de 9 mois, ou étendre à davantage de crimes l’éventail de réductions de peines prévues par la loi. Les deux propositions devraient être étudiées lors d’une prochaine séance législative.
Il reste que pour humaniser les conditions de détention, aucune option ne serait plus opportune que celle de la construction de prisons. Or l’argent manque, les caisses de l’État n’ayant jamais été aussi sèches. Les gouvernements qui se sont succédé au fil des années n’ont rien réalisé en ce sens, bien que des plans avaient été établis pour la construction de prisons dans la Békaa-Ouest et à Kfour (Liban-Sud), où les habitants s’y étaient fortement opposés.
Michel Moussa révèle toutefois que le projet de construction d’une prison à Majdlaya (Zghorta) semble sur le point d’être exécuté. Des montants avaient été alloués à cette fin, mais des problèmes avaient surgi quant aux expropriations des biens-fonds situés sur la route menant au terrain où doit être érigé l’établissement pénitentiaire. Ces problèmes sont à présent réglés et les travaux devraient incessamment débuter, affirme M. Moussa.