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Culture - Initiative

Pour endiguer la fuite des cerveaux créatifs libanais

Plusieurs partenaires culturels s’unissent pour recenser, à travers un sondage, les différentes disciplines artistiques fortement touchées par l’instabilité économique et sécuritaire du Liban. Leur idée ? Cartographier la scène et évaluer les pertes financières dans le but de trouver des moyens pour encourager les artistes à rester dans le pays et leur assurer les moyens de produire.

Pour endiguer la fuite des cerveaux créatifs libanais

Le plus grand nombre de personnes faisant partie du secteur culturel et artistique (danse, musique, cinéma, théâtre, littérature, architecture, arts visuels, performance, artisanat, restauration, design, et.) sont invités à participer au sondage en ligne. Photo DR

Au Liban, les artistes sont de plus en plus nombreux à quitter le pays qui s’engouffre chaque jour un peu plus dans une crise qui ne les épargne pas. Comment stopper l’hémorragie ? Tel est le but ultime de l’initiative lancée par différents acteurs qui ont décidé d’unir leur efforts pour sauver le secteur culturel libanais. Ainsi, la Direction générale des antiquités (DGA), l’Association pour la promotion et l’exposition des arts au Liban (Apeal), l’ONG BeMA USA et Studiocur/art, ainsi que la consultante en art Mayssa Abou Rahal en collaboration avec Dr Farès el-Dahdah, membre du Board of Trustees de BeMA et professeur en sciences humaines à Rice University, collaborent pour enquêter et recenser, à travers un sondage, les différentes disciplines artistiques fortement touchées par les instabilités économique et sécuritaire du Liban. Plusieurs catégories de professionnels de la culture – artistes plasticiens, musiciens, cinéastes, danseurs, artistes de scène et du théâtre, techniciens, designers, restaurateurs, institutions et chercheurs – sont approchées par cette étude qui cherche à évaluer les effets de la crise financière et les dégâts de l’explosion du 4 août sur la scène culturelle. Il s’agira également de recenser les migrations et différents besoins des professionnels libanais. Une synthèse de l’étude sera accessible sur artandculturesurveylb.org fin décembre 2020 en respectant l’anonymat des participants au sondage.

« Tout a commencé à travers le travail de coordination en bénévolat avec la DGA, les institutions internationales et les acteurs culturels touchés par l’explosion du 4 août 2020, indique la consultante en art Mayssa Abou Rahal. Après avoir écouté et reçu plusieurs témoignages et observé les initiatives d’aides immédiates dans le secteur culturel, comprendre que les problématiques étaient beaucoup plus profondes n’était pas une tâche difficile. L’industrie culturelle est bien le cœur battant de notre société. Ce cœur souffre et sa pérennité est en danger », estime Abou Rahal. « Mon objectif de conduire une étude globale et détaillée a rejoint celui de la DGA, APEAL, BeMA et Studiocur/Art », ajoute la jeune femme. Dr Fares el-Dahdah s’est allié aux partenaires en mettant à leur disposition une équipe d’experts techniques du Spatial Studies Lab de la Rice University et un logiciel très efficace et développé pour la collecte et l’analyse de l’information.

Il ne s’agit pas, bien évidemment, de la première initiative qui vise à collecter des informations sur le secteur culturel. « La plus ancienne enquête à laquelle j’ai pu avoir accès jusqu’à présent est celle qui a été menée par l’Université américaine de Beyrouth (AUB) en 2007. La chercheuse Hanan Toukan a aussi écrit plusieurs articles au début des années 90 sur ce sujet. Une étude plus récente datant de 2016 a été conduite par l’Agenda culturel avec l’Institut des finances Basel Fuleihan. Ce même institut a entrepris l’année dernière une nouvelle étude avec l’Institut culturel français au Liban. »

« Cette nouvelle étude a plusieurs objectifs », précise Abou Rahal, et d’en citer les principales : « La mise en place d’une base de données interactive pour l’ensemble de l’industrie culturelle ; l’analyse et l’étude approfondie de toutes problématiques présentes dans l’industrie, de la plus simple à la plus complexe ; la mise en place de solutions stratégiques, pragmatiques et durables pour la pérennité de l’industrie créative et culturelle. »

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Abou Rahal précise que les questionnaires « essayent de couvrir tous les aspects du secteur notamment concernant les impacts des multiples crises économique, sociale et politique, ainsi que les impacts de l’explosion du 4 août 2020 avec des thèmes aussi précis et divers touchant aux dynamiques sociales à l’intérieur du secteur, aux inégalités entre les différentes disciplines artistiques, à la production et des moyens de création. Mais aussi aux projets artistiques et culturels, à leur réalisation, leur faisabilité, l’accessibilité du et au public, à l’éducation et l’expertise. Sans oublier les affiliations gouvernementales et le secteur public, les problématiques juridiques, les problématiques financières, les mouvements migratoires et l’exode, ainsi que les relations internationales ».

« Je commence déjà à dessiner l’infrastructure de l’industrie et les problématiques hypothétiques », indique la consultante. « Le développement de ces problématiques ou ces chapitres se déroulera au fur et à mesure de la collecte d’informations, nous ne parlerons plus alors d’hypothèses mais d’observations et de faits. Un rapport complet sera ensuite publié et partagé avec les collaborateurs. Une synthèse de ce rapport sera évidemment accessible au grand public. »

Quelle sera l’étape suivante ? « Ce sera celle de la mise en place de solutions stratégiques pragmatiques et pérennes. L’implémentation de ces solutions surtout », affirme celle qui s’est chargée de créer les trois questionnaires, ainsi que la mise en place de la structure et de la méthodologie de l’étude. « En phase II, j’aimerais pouvoir participer à l’implémentation. »

Le plus grand nombre de personnes faisant partie du secteur culturel et artistique (danse, musique, cinéma, théâtre, littérature, architecture, arts visuels, performance, artisanat, restauration, design, etc.) sont invités à participer au sondage en ligne. DR

Le tissu socioculturel

Tania Zaven et Samar Karam, directrices régionales du Mont-Liban nord et du Liban-Nord à la DGA sont catégoriques : l’intérêt de cette initiative est considérable. Les bâtiments affectés par l’explosion seront éventuellement reconstruits, mais quelle importance auraient-ils sans le tissu socioculturel qui constituent la véritable âme de ces quartiers ? demandent les deux jeunes femmes. « La mission de la Direction générale des antiquités (DGA) au sein du ministère de la Culture a toujours été la protection et la gestion du patrimoine culturel, historique et archéologique du Liban, rappelle Tania Zaven. Au-delà des dégâts causés sur l’ensemble des maisons traditionnelles, l’explosion du 4 août a été dévastatrice au niveau de l’industrie culturelle et artistique, pilier principal du patrimoine intangible. » La responsable rappelle que la DGA a initié, à la suite de l’explosion, le projet intitulé BACH (Beirut Assist Cultural Heritage) afin de réhabiliter non seulement le patrimoine bâti endommagé, mais aussi et surtout le patrimoine vivant, cette industrie culturelle, essentielle à préserver et promouvoir puisqu’elle comprend les traditions héritées du passé, ainsi que les pratiques urbaines contemporaines. « Très vite après le 4 août, le directeur général, M. Sarkis el-Khoury, nous a donné le feu vert pour accomplir les premiers constats avec Mayssa Abou Rahal, elle-même survivante de l’explosion », indique Zaven. De nombreux organismes se sont ainsi mis en contact avec la DGA pour collaborer à la sauvegarde du patrimoine tangible et intangible de Beyrouth. Ainsi, l’Unesco, l’Iccrom, l’Icomos, le Blue Shield, l’Aliph, le Musée du Louvre, l’IFPO, le DAI, l’ESA, le BBHR2020 et d’autres organisations et initiatives se sont joints à la DGA dans leur immense projet national.

« Suite aux données que nous aurons, nous pourrons dans un premier temps décider des stratégies en collaboration avec nos partenaires locaux et internationaux dans le but de revitaliser la communauté d’artistes et d’artisans, note la directrice régionale du Mont-Liban nord à la DGA. Nous devrons créer des opportunités afin de les encourager à rester plutôt qu’à quitter le pays. La plupart de ces artistes travaillent en indépendants et n’ont aucun support de la part de galeries ou d’institutions. Les résultats de cette étude seront publiés, ce qui facilitera aussi la diffusion et la communication entre les différents agents de coordination », affirme Tania Zaven.

Pour continuer à produire

Pour Karina el-Helou, fondatrice de la plate-forme curatoriale à but non lucratif Studiocur/art, cette étude revêt une importance d’autant plus cruciale car elle permettra de cartographier la scène culturelle après l’explosion. « Nous risquons de perdre notre scène vibrante qui est avant tout composée de personnes physiques, dit-elle. Bien sûr, les lieux sont importants mais ce sont avant tout les professionnels de la culture qui font bouger ce milieu. Ce sont eux qui sont derrière les festivals, pièces de théâtre et expositions. Les approcher pour comprendre le mouvement migratoire qui se passe et évaluer les pertes financières est essentiel à ce stade-là. »

Avec les données et les résultats en main, qu’espère accomplir la curatrice ? « Il s’agira bien entendu de construire des stratégies pour continuer à créer et produire de la culture, affirme el-Helou. Pour Studiocur/art, nous avons plein d’idées et de contacts mais nous avons surtout besoin de nous appuyer sur une étude pour comprendre les priorités des artistes visuels puisque notre champ d’action se limite à ce domaine-là. Mais nous espérons que plusieurs autres ONG spécialisées dans les autres domaines pourront devenir partenaires dans la phase II, d’où l’importance que nous soyons plusieurs partenaires à soutenir l’étude. »

La curatrice admet qu’il ne serait sans doute pas facile de mettre l’industrie de la culture sur la liste des priorités. « L’instabilité sécuritaire du pays et la situation politique font que la culture sera toujours secondaire malgré les nombreux soutiens exceptionnels que nous avons pu voir de la part de grandes institutions comme AFAC et al-Mawred, note-t-elle. Nous risquons malgré tout de passer au second plan dans la reconstruction de Beyrouth et de voir les artistes, musiciens et cinéastes obligés de partir pour continuer à pratiquer ailleurs. » La difficulté, selon Karina el-Helou, est de créer une résistance intellectuelle et culturelle malgré les autres problèmes qui ont tendance à passer souvent en priorité. « La culture doit rester et continuer d’être notre fierté nationale. »

Solutions durables

Rita Nammour, présidente d’Apeal, affirme pour sa part que le plus important dans cette étude est la création d’une base de données et la collecte des informations nécessaires « afin de développer des solutions durables pour sauvegarder le tissu socioculturel et collecter des fonds pour promouvoir la production des artistes et des travailleurs culturels libanais ».

Nammour ajoute que cette étude permettra la production « d’une liste complète des artistes libanais (au Liban et ceux de la diaspora), ainsi qu’une liste de notre patrimoine vivant et de notre culture vivante à travers une carte spatiale, qui serviront d’instruments à utiliser pour quantifier les futurs programmes de soutien ».

La 2e phase du projet sera ensuite lancée, en partenariat avec d’autres institutions locales, pour permettre la survie du secteur artistique et culturel au Liban. « L’enquête sera un instrument permettant de quantifier l’argent à collecter et formuler un ensemble de priorités à prendre en compte afin de soutenir la production artistique libanaise et créer des possibilités pour la durabilité de la capacité artistique à long terme », détaille la présidente d’Apeal avant de préciser que les résultats de l’enquête seront publiés via un « tableau de bord » accessible au public (en collaboration avec la Rice University) qui visualisera les informations collectées, qui peuvent, à leur tour, être filtrées selon les catégories spécifiées dans le questionnaire ainsi que dans un rapport qui sera disponible pour tous. Le rapport sera une publication sur la scène artistique libanaise (arts visuels, performance etc.) localisant et identifiant les besoins des artistes établis et moins établis. « La collaboration entre toutes les différentes institutions culturelles permettra de créer des liens et une synergie entre ces institutions et concrétisera la mise en place de solutions stratégiques et pragmatiques », conclut Rita Nammour en souhaitant que cette étude « nous aidera à réfléchir, avec les artistes et les travailleurs culturels libanais, à quel type d’institutions les artistes indépendants auront besoin dans le futur ».

Les différents partenaires de cette initiative souhaitent la participation et la coopération de tous les acteurs artistiques et culturels au sondage.

« Nous aimerions que le plus grand nombre de personnes faisant partie du secteur culturel et artistique (danse, musique, cinéma, théâtre, littérature, architecture, arts visuels, performance, artisanat, restauration, design, etc.) répondent au questionnaire parce que cette base de données sera fondamentale pour évaluer la situation, penser aux stratégies futures en vue de contribuer à la pérennité du secteur culturel libanais », juge Tania Zaven. Et de lancer : « Que reste-t-il du Liban si ce n’est sa culture ! »

Comment participer

Si vous êtes un professionnel ou une institution libanais(e) dans le milieu culturel, basé au Liban ou à l’étranger, vous pouvez vous connecter en ligne jusqu’au 28 novembre 2020 pour remplir le questionnaire sur : artandculturesurveylb.org

Au Liban, les artistes sont de plus en plus nombreux à quitter le pays qui s’engouffre chaque jour un peu plus dans une crise qui ne les épargne pas. Comment stopper l’hémorragie ? Tel est le but ultime de l’initiative lancée par différents acteurs qui ont décidé d’unir leur efforts pour sauver le secteur culturel libanais. Ainsi, la Direction générale des antiquités (DGA),...

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