Critiques littéraires Roman

François Bégaudeau : ce que parler veut dire

François Bégaudeau : ce que parler veut dire

© Jean-Luc Bertini / Pasco

Dans son précédent ouvrage, Histoire de ta bêtise, François Bégaudeau interpelait les bourgeois à qui il s’adressait de façon frontale et directe, dressant le tableau des aveuglements qui leur permettent de se prendre pour des progressistes là où ils ne sont que banalement conservateurs. Car le propre du bourgeois, écrivait-il, est de ne jamais se reconnaître comme tel. Dans le roman qui vient de paraître, Un enlèvement, il met en scène ces bourgeois qu’il stigmatisait. Emmanuel Legendre et sa femme composent avec leurs deux enfants une famille très contemporaine et aussi performante qu’une startup, y compris lorsqu’ils sont en vacances, dans une location haut-de-gamme face à la mer, à Royan. Brune, son épouse, est spécialisée en communication de crise et elle continue à déployer ces mêmes talents pour gérer toutes les petites et grandes difficultés de la vie quotidienne en famille, disputes et caprices compris. Le reste du temps elle fait du yoga. Yoga kundalini précise l’auteur, car à chaque profil motivationnel correspond un type de yoga. Pendant ce temps Emmanuel court et mesure ses progrès avec son bracelet fitness ; ou envisage une association juteuse avec un ancien collègue de travail, installé à Royan pour faire du conseil en gestion de patrimoine. Leur fille aînée, Justine, est à la hauteur de l’idéal parental : elle excelle en langues étrangères, est capable de citer les vingt-huit pays de l’Union européenne et joue très bien au piano. La seule ombre au tableau vient de leur jeune fils Louis qui a terminé son CP sans avoir appris à lire. Il passe donc une partie de ses vacances dans un « atelier papillon » où les enfants pratiquent l’autoévaluation, expriment leur ressenti au niveau des émotions au moyen d’une réglette et de quelques pictogrammes, et apprennent à mettre des mots sur leur vécu. Le blocage de Louis, leur a expliqué l’animatrice de l’atelier, n’est pas technique, mais « lié à un nœud psychologique que seule une gestion personnifiée de ses capacités cognito-affectives pourrait dénouer ». L’objectif de l’atelier papillon étant « d’affermir et de restaurer la confiance et l’estime de soi des enfants ».

On le voit, si Bégaudeau manifeste un réel talent sociologique pour observer et croquer les travers d’une époque, d’une catégorie sociale ou d’un milieu professionnel, il force ici un peu le trait, ce qui est souvent d’une drôlerie extrême mais tire par moments un peu vers la caricature. Néanmoins, la question de la langue est un enjeu majeur de son travail d’écriture, comme c’était déjà le cas dans Entre les murs où il avait, avec une grande maîtrise, restitué les spécificités des multiples langages qui se croisent dans un collège parisien : ceux des élèves, des équipes pédagogiques, des parents, des professeurs et des personnels administratifs. Ici, il s’est mis à l’écoute des idiolectes qui sévissent dans les milieux du management, des ressources humaines, de la finance ou de la psychologie appliquée, mais aussi dans les médias et sur les réseaux sociaux. Et l’enjeu pour lui est évidemment critique, c’est-à-dire politique, dans la continuité de son précédent ouvrage.

Quant à l’enlèvement qui donne son titre au roman, la trame narrative qui le met en place paraît au départ bien mince, même si elle est redoublée par une séquence où Emmanuel imagine que Brune a été enlevée elle aussi. Mais cet épisode fantasmatique n’est que le reflet de sa propre culpabilité, car il n’est pas tout à fait le mari fidèle et attentionné que son rôle de composition laissait entrevoir. Il faut néanmoins attendre le chapitre final pour saisir pleinement la portée et l’ironie de cette thématique de l’enlèvement. Chapitre de clôture où, à nouveau, l’enjeu de la langue est central et parfaitement mené. Et qui remet en selle le petit Louis qui avait « appris des choses sans le vouloir. Si c’était en le voulant, il n’apprenait rien ».

Un enlèvement de François Bégaudeau, Verticales, 2020, 192 p.

Dans son précédent ouvrage, Histoire de ta bêtise, François Bégaudeau interpelait les bourgeois à qui il s’adressait de façon frontale et directe, dressant le tableau des aveuglements qui leur permettent de se prendre pour des progressistes là où ils ne sont que banalement conservateurs. Car le propre du bourgeois, écrivait-il, est de ne jamais se reconnaître comme tel. Dans le roman...

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