Critiques littéraires

Servitude ou salut ?

Servitude ou salut ?

© Raphaëlle Macaron pour L’Orient-Le Jour

Jad Hatem, qu’on ne présente plus, a écrit un texte sur la révolution libanaise. Même s’il le désigne lui-même comme un opuscule, il s’agit réellement d’un livre au plein sens du terme, un ouvrage profond dont les 38 pages prennent du temps à lire, tellement elles sont porteuses de réflexions et de pistes de réflexion. Ouvrage dédié à Antoine Saad, dont la compréhension de l’histoire contemporaine du Liban et des menaces pour son avenir le portent à identifier, solliciter et motiver ceux dont il estime qu’ils peuvent encore contribuer à son salut.

Il s’intitule, s’inspirant d’un passage de Spinoza, Combattre pour sa servitude comme si c’était pour son salut. Jad Hatem ne s’en cache pas : il est du côté des révolutionnaires du 17 octobre. Il ne sait pas où ils vont, mais il sent que les choses se sont tellement dégradées au Liban, qu’à la limite peu importe. Si la révolution réussit, quels que soient les moyens employés pour y parvenir, le Liban y aura gagné le pari de sa survie. Son cœur de patriote sincère est acquis aux révolutionnaires et il ne s’intéresse donc pas à eux dans son livre. C’est plutôt vers ceux qui ne participent pas à la révolution, qui hésitent, qui critiquent, voire qui s’y opposent qu’il concentre son énergie. Ceux qui nous « précipitent vers une déchéance certaine tout en s’imaginant dans le vrai ».

Comment peut-on être contre la révolution du 17 octobre, se demande en substance Jad Hatem, consterné ? Ceux qui dénigrent la révolution, qui font front contre elle, qui sont-ils, d’où nous parlent-ils ?

Jad Hatem les identifie superbement. Pardon, il les dénude, les expose. « L’assujettissement à l’accumulation des capitaux et au désordre de l’injustice est leur lot. » Leur « kleptocracie est devenue kleptomanie ». Ils sont drogués, dépendants. Et, quand l’opinion se réveille (ou apprend comment les méfaits se sont déroulés) et que l’affaire est portée devant un juge, « le dévoiement de la magistrature » empêche qu’il y ait jamais punition. À l’amour du crime s’ajoute son impunité. La messe est dite.

Et pourtant. Le livre tente de repêcher ces brebis égarées.

Se rendent-ils seulement compte qu’en prétendant combattre pour leur salut (ou pour l’idée éculée qu’ils s’en font), ils ne se battent que pour leur servitude ? Question grave, existentielle, car il en va de l’existence même du Liban et de sa pérennité, mais aussi parce qu’il en va de leur existence individuelle en tant qu’hommes libres (ou ayant le potentiel, ne serait-ce que théorique, de le devenir). Question clé de voûte du livre, s’il en est, tellement il est par ailleurs riche en questionnements et en propositions.

« L’ardeur mise à vilipender l’évidence recouvre une foi ayant renoncé au libre exercice de la pensée. » Cette phrase résume une partie importante du livre. Ceux qui se sont aliénés au bénéfice d’un chef (aujourd’hui dévoyé), qui ont une foi aveugle en lui, qui le défendent indépendamment des circonstances, ont renoncé à leur liberté, pire, à la faculté de réflexion, au choix, au libre arbitre. J’ajouterais pour ma part qu’ils ont renoncé à leur humanité, puisqu’au fond, avec le rire, la pensée est le propre de l’homme. Renoncer au fait de penser par soi-même, de se faire une opinion, de « juger par soi », est une régression fatale. Fatale pour l’individu, fatale pour la collectivité.

« C’est ne pas penser que faire dépendre sa survie d’une autorité indiscutable. » Jad Hatem secoue des cadavres : les Libanais qui suivent aveuglément leurs leaders. Il dit être conscient de « l’inutilité » de ses lignes (il a bien sûr tort sur ce point). Mais il le fait avec détermination, par acquit de conscience. Il ne veut pas devoir se reprocher de ne pas avoir parlé. Que celui qui a des yeux lise.

Sont-ils, comme le suggère Jad Hatem, devenus indifférents à la vérité ? Encore une fois, il nous incite à revenir aux fondamentaux, depuis longtemps perdus et dénigrés au Liban. « Comment espérer juger correctement sans accès à la vérité, et pour cela, sans une conversion de la personne », s’interroge-t-il ? En faisant volte vers la vérité, il faut faire volte vers soi, assène-t-il en réponse.

Belle et intense lecture. Elle réveille les désabusés comme moi (dont le livre ne parle pas). N’est-ce pas le moment de nous connaître nous-mêmes, de voir si la vie ne mérite pas d’être vécue pleinement ? De vivre libre ou de mourir ? Gageons que les Libanais ne choisiront pas la servitude.

Combattre pour sa servitude comme si c’était pour son salut de Jad Jatem, éditions Saer el-Machreq, 2020, 40 p.

Jad Hatem, qu’on ne présente plus, a écrit un texte sur la révolution libanaise. Même s’il le désigne lui-même comme un opuscule, il s’agit réellement d’un livre au plein sens du terme, un ouvrage profond dont les 38 pages prennent du temps à lire, tellement elles sont porteuses de réflexions et de pistes de réflexion. Ouvrage dédié à Antoine Saad, dont la compréhension de...

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