Critiques littéraires Roman

Rendez-vous à Mineras

Les émois affectifs et sexuels, et les explorations créatives d’un peintre italien, au gré d’une dernière grande histoire d’amour, et de secrets de tournage de Lawrence d’Arabie. Sans tabou ni clichés, un roman original sur l’apprentissage de la vieillesse.

Rendez-vous à Mineras

© Anne Maniglier

Annibale est vieux, fantasque, enfantin, généreux et orageux. Attachant pour certains, odieux pour d’autres (notamment les vieillards désœuvrés de son village), il attire et intrigue (particulièrement les femmes). C’est un peintre italien (« Annibale avec un e final car il est italien ») qui vit en Espagne. Ce peintre n’aime pas le milieu de l’art et n’apprécie pas vraiment les artistes. Il a posé ses valises à Mineras en 1962, alors que le film Lawrence d’Arabie est tourné dans ce petit village du désert andalou, et il y a construit lui-même sa maison. Sa maison est son œuvre d’art la plus splendide, une œuvre toujours en cours à l’image de la mer à laquelle elle fait face, une œuvre brute et sans concessions à l’image du tempérament aride et extrême de Mineras. Sa maison et Mineras sont le lieu du roman et le lecteur s’y sent bien, accueilli dans un havre atypique pour un séjour imaginaire.

Journaliste, auteure d’essais sur la danse, Dominique Frétard signe là son premier roman d’une plume au ton tour à tour fluide, sophistiqué, cru ou familier. Ce roman à la forme originale conjugue avec maestria et suavité, veine documentaire, références – entre fiction et réel – à des archives cinématographiques et une touche de presse people. Avec pour fil traversant le tournage de Lawrence d’Arabie, Annibale est une ode au partage et au brassage : s’y côtoient différents âges, modes de vie, cultures, époques, milieux artistiques et foule de personnages célèbres ou anonymes.

Annibale est l’histoire d’une rencontre amoureuse, entre Annibale et Deva que trente ans de différence rapprochent et parfois séparent. Reconnexion au corps et au sexe pour Annibale, les deux amants s’aventurent sur des territoires érotiques et innovent spontanément en lien avec leurs connivences. Au prisme de leur amour s’esquisseront doucement des relations présentes ou passées, amoureuses, amicales et filiales, qui sont ou ont été signifiantes pour Annibale. Et au fil de ces moments, se reconstitue sur un mode elliptique, le portrait d’Annibale.

Dominique Frétard s’intéresse avec passion aux gens, à leurs spécificités, à ce qui fait le charme de chacun, son aura et sa faille. Elle donne la voix à plusieurs femmes même si elle précise bien, dès le début, que ce roman est celui d’Annibale. Roman d’émancipation, ce récit suit les évolutions par lesquelles des femmes aux personnalités différentes quêtent leur identité et se réalisent, mais aussi comment Annibale lui-même évolue, traite avec son enfance, et devient Annibale jusqu’aux derniers souffles.

Dominique Frétard écrit comme elle pense, librement. L’émancipation est ainsi abordée par la romancière aux croisements de maints symboles de domination (argent, âge, pouvoir, dogmes genrés). Dans Annibale, soif de beauté et soif de l’autre sont travaillées, transformées, mais non annulées, par la temporalité et la vieillesse. Frétard compose son roman avec une fantaisie gourmande bien française, nimbée par endroits d’une teneur nipponne. Roman d’amour – comment il peut s’incarner, durer ou se briser –, Annibale est une exploration de la différence comme pulsion libre et créatrice.

Annibale de Dominique Frétard, Belfond, 2020, 240 p.

Annibale est vieux, fantasque, enfantin, généreux et orageux. Attachant pour certains, odieux pour d’autres (notamment les vieillards désœuvrés de son village), il attire et intrigue (particulièrement les femmes). C’est un peintre italien (« Annibale avec un e final car il est italien ») qui vit en Espagne. Ce peintre n’aime pas le milieu de l’art et n’apprécie pas vraiment...

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