Critiques littéraires

Comme un pont de papier

Comme un pont de papier

© Renaud Monfourny

Héritage de Miguel Bonnefoy, Payot&Rivages, 2020, 208 p.

C’est une saga familiale qui commence à la fin du XIXe siècle dans un village du Jura où les vignobles sont tout à coup frappés d’un fléau contre lequel aucun remède n’est efficace. Ironiquement, ce mal, venu d’un puceron, le phylloxera, a été répandu accidentellement par un pied de vigne importé d’Amérique. Plus de deux millions d’hectares de vignes ancestrales seront arrachés, et les vignobles français, pour résister à la bête, devront être hybridés avec des vignes américaines. Déjà, à travers la viticulture et la botanique, Miguel Bonnefoy inscrit son récit dans l’histoire des migrations et des métissages, qu’ils soient organiques ou culturels. De la lignée des Lonsonier, on ignore le nom véritable. Elle commence avec ce vigneron plongé dans la misère par un simple puceron qui va dévaster ses vignes. Après avoir tenté quelques vains combats, il va finalement quitter « ce pays de calcaire et de céréales, de morilles et de noix, pour s’embarquer sur un navire en fer qui partait du Havre en direction de la Californie ». Le Canal de Panama n’est pas encore ouvert et le bateau doit faire le tour par la pointe de l’Amérique du Sud, à travers le détroit de Magellan. C’est là que le vigneron attrape une fièvre et que le capitaine, reconnaissant la typhoïde, le descend à l’escale suivante, au Chili, à Valparaiso. Le service d’immigration l’inscrit, tel un pied de vigne transplanté, sous le nom déformé de sa provenance, et Lons-Le-Saunier devient son patronyme : Lonsonier.

Dès lors commence le parcours d’une lignée de Français implantés au Chili, le cœur toujours en France, sous l’égide d’un patriarche qui cultive, en même temps que de nouveaux vignobles, l’amour du pays perdu et fantasmé. Vivant à la française, lisant des journaux français, prolongeant le goût du terroir avec des produits de ce « là-bas » toujours présent, se plongeant dans une baignoire, accessoire insolite à l’eau parfumée d’écorces d’agrumes qui va servir – tel une capsule de transition entre deux mondes, de lieu de méditation et d’inspiration à toute sa lignée, Lonsonier va épouser une Française. Delphine Moriset est elle aussi issue de migrants qui voulaient tenter leur chance en Amérique et l’ont finalement trouvée sur un quai de Valparaiso.

Le parcours de leur descendance va être influencé par l’omniprésence de la France qui poussera Lazare, le fils des Lonsonier à embarquer pour servir « son » drapeau en 1914. La grande histoire, comme toujours, avec ses guerres et conflits successifs, va se mêler de l’histoire intime tissée d’âmes attachantes, de rêves, de magie, de déceptions et de courage, la malmenant avec une cruauté teintée d’ironie. Le récit est traversé d’oiseaux et d’avions, de personnages féminins remarquables et de fidélités bouleversantes, d’apparitions et de disparitions, de morts et de résurrections. Et si l’écriture reste sobre et cartésienne, en cela bien française, le récit, lui, s’autorise des dérives surréalistes bien latino-américaines, qui ouvrent dans le réel les brèches rafraîchissantes du merveilleux. Le lyrisme retenu au fil du récit se débride crescendo pour exploser dans les dernières pages en un finale éblouissant.

Français et Vénézuélien, Miguel Bonnefoy dont le nom souligne la double-ascendance, livre avec Héritage, « comme un pont de papier entre continents et cultures », un roman puissant sur l’immigration et les identités. Il rappelle surtout que l’humanité entière est migrante et que les pays qui accueillent ne peuvent que s’enrichir de l’apport de ceux qui viennent y chercher la sécurité. Le dernier descendant des Lonsonier, torturé sous Pinochet pour ses convictions bien françaises qui l’ont engagé en faveur d’Allende, va revenir en France tenter une nouvelle vie. Il est en cela l’avatar du propre père de l’auteur, lui-même fait prisonnier et torturé, auquel ce dernier a voulu rendre hommage, habité par la mission et la responsabilité d’écrire cette histoire. Et quelle plus belle sortie pour Héritage que l’annonce simultanée du triomphe des pro-changement de la Constitution de Pinochet au Chili !

Héritage de Miguel Bonnefoy, Payot&Rivages, 2020, 208 p.C’est une saga familiale qui commence à la fin du XIXe siècle dans un village du Jura où les vignobles sont tout à coup frappés d’un fléau contre lequel aucun remède n’est efficace. Ironiquement, ce mal, venu d’un puceron, le phylloxera, a été répandu accidentellement par un pied de vigne importé d’Amérique. Plus...

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