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Société - Année scolaire

L’éducation en ligne, des progrès, mais c’est tellement mieux en classe

La situation de nombreux élèves est désespérée. Comme celle de Saged, élève de terminale à l’école publique, qui n’a pas le matériel nécessaire pour écouter ou recevoir les explications des enseignants.

L’éducation en ligne, des progrès, mais c’est tellement mieux en classe

Beaucoup d’élèves préféreraient être en classe. Photo d’illustration Bigstock

L’éducation à distance, ils ne l’apprécient pas particulièrement, car l’école leur manque, leurs camarades et ces moments de partage aussi. Mais en cette fin d’octobre qui voit l’ascension de la pandémie de Covid-19 au Liban, ils n’ont d’autre choix que de s’y faire. Certes, les écoles publiques ont ouvert leurs portes le 12 octobre, mais uniquement pour les classes à examens officiels, les troisièmes, premières et terminales. Quant aux écoles privées, elles dépendent en grande partie des consignes de bouclage imposées par les autorités à nombre de localités, mais aussi pour certaines, des destructions causées par l’explosion du 4 août. Alors, en attendant une réévaluation de la situation sanitaire, le 26 octobre, les choses coulent comme sur des roulettes pour nombre d’élèves qui saluent un enseignement en ligne bien plus interactif que l’année précédente, et la possibilité de dormir un peu plus le matin. Pour d’autres, et pas seulement les moins privilégiés, c’est la galère ou même l’ennui. Mises en cause, les coupures de courant à répétition, l’internet capricieux, le manque de matériel adéquat, ou tout simplement les difficultés de concentration.

Pannes d’internet et de courant
« Non ! Encore une panne d’internet ! » À chaque interruption de la connexion Wi-Fi, Olina, élève de septième à l’École Saint-Vincent-de-Paul à Broummana, s’énerve. Sur deux périodes de français d’une demi-heure chacune, elle n’a réussi à suivre qu’un petit quart d’heure. « Impossible pour elle de se connecter ce jour-là. Le mot de passe ne fonctionnait pas », raconte sa mère, impuissante. Le pire, c’est que la fillette risque de perdre des points si elle est marquée absente. Ce qui pourrait se répercuter sur sa moyenne générale. D’où la nécessité de prévenir son institutrice par WhatsApp. Elle devra aussi se débrouiller pour reprendre la notion ratée, car l’enseignante doit passer à autre chose. Pour Waël, 9 ans, en CM1, au Collège des Saints-Cœurs Sioufi, les difficultés viennent plutôt des coupures de courant. « C’est dur ! note-t-il. Le temps que je me reconnecte, mes camarades ont déjà terminé un exercice. »

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Les problèmes de connexion et de coupures de courant sont les freins principaux à l’enseignement en ligne, dans un pays qui fournit l’électricité au compte-gouttes, forçant les abonnés à recourir aux générateurs de quartier. Et toute la population est touchée, aussi bien les élèves que les enseignants. C’est ainsi que Noor, élève de 4e au Collège des Saints-Cœurs Sioufi, a vu son cours de mathématiques reporté plusieurs fois. « L’enseignante n’a pas réussi à se connecter », observe-t-elle, évoquant les aléas de la Wi-Fi. Classes aisées ou défavorisées, nul n’est à l’abri d’une entrave quelconque à l’apprentissage en ligne. « La connexion Wi-Fi à la maison est en panne depuis trois jours, sans explication. Je n’ai d’autre choix que de connecter mon ordinateur portable à la 4G, pour ne pas rater mes cours. La limite est rapidement dépassée et ma facture de téléphone va exploser », craint Caline, élève de terminale au Collège Melkart. Un couac qui énerve la jeune fille, mais qui lui fait prendre conscience de sa situation privilégiée par rapport à tant d’élèves du pays qui doivent partager leur tablette ou leur ordinateur portable avec leur fratrie, ou se résoudre à ne pas suivre les cours à distance, pour des raisons financières. La situation de Saged Oleyan est particulièrement difficile. En classe de terminale à l’École secondaire publique de Deir Kifa (Tyr) au Liban-Sud, le lycéen se dit « désespéré ». Car pour l’instant il n’a suivi que deux jours de classe, « le chauffeur du bus scolaire ayant réclamé une rémunération mensuelle trop élevée ». Il n’arrive pas non plus à travailler en ligne. « Je n’ai pas l’équipement adéquat et n’ai pas les moyens de me procurer le nécessaire », déplore le jeune homme. Parce que son téléphone portable « n’a pas la capacité de télécharger l’application Microsoft Team » et que le téléphone de sa mère est mobilisé par sa sœur. « J’ai déjà raté des travaux pratiques de mathématiques, durant lesquels l’enseignant a expliqué comment utiliser la calculatrice », regrette le bachelier. Et lorsqu’il s’est plaint à l’administration de l’établissement, on lui a répondu que ce n’était pas grave, et que l’enseignement en ligne ne représentait que 10 % des cours. « J’ai peur d’échouer au bac. Et je serais bien le seul à le regretter », dit-il impuissant.

Cette concentration qui fait défaut
Les entraves financières à l’enseignement touchent une importante partie de la population libanaise dans un contexte d’effondrement de la livre et de crise économique aiguë, sans oublier que l’explosion du port de Beyrouth, le 4 août, a encore fragilisé une population de plus en plus vulnérable. Selon la Banque mondiale, 45 % de la population libanaise vit sous le seuil de pauvreté. Mais au-delà de ce lourd problème auquel l’Éducation nationale n’a toujours trouvé aucune solution, l’enseignement en ligne est également décrié pour d’autres considérations.

Parmi elles, la difficulté de concentration des élèves qui pèse lourd sur la santé mentale des parents et particulièrement des mères de famille. « Si je ne reste pas assise à côté de lui, Roy, mon fils de 8 ans, scolarisé à l’École Saint-Vincent-de-Paul à Bourj Hammoud, ne fournit aucun effort », déplore Cindy, qui joue à la fois le rôle de mère et d’enseignante, comme de nombreux parents. La jeune femme est pourtant active professionnellement et ne voudrait en aucun cas rater sa journée de travail. « Il se lève pour un oui ou un non, pour boire de l’eau, grignoter un truc. Ou alors, il est comme absent », constate-t-elle. « L’exercice qui devrait ne prendre que quelques minutes finit alors par nécessiter plusieurs heures », déplore-t-elle, reconnaissant perdre ses nerfs, parfois, face à cette situation. « Je voudrais tant que l’école reprenne », supplie-t-elle. Car son fils était « un bon élève » lorsqu’il allait en classe.

Le problème est d’autant plus grave que nombre de parents, issus de régions rurales, sont peu instruits et peu familiers de l’informatique. « La majorité des parents de nos élèves sont incapables d’aider leurs enfants dans leurs études, et qui plus est, dans l’enseignement en ligne », constate Zeina Deriane, vice-présidente de l’ONG Paradis d’enfants, un ensemble de trois écoles semi-gratuites qui scolarisent 2 000 élèves défavorisés. « En ces temps de crise économique, leur principal souci est d’assurer à manger à leur famille », précise-t-elle.

Un temps de sommeil plus long
Tout n’est pas noir certes. Mme Deriane note « un net progrès de l’apprentissage à distance par rapport à l’année passée ». « Le rythme est plus lent qu’en classe. Je travaille beaucoup certes, et mes amies me manquent énormément. Mais je peux dormir plus longtemps le matin et n’ai pas besoin de courir pour me préparer », reconnaît Noor. « Je n’arrive pas à rester concentrée longtemps. Mais je constate que c’est nettement mieux organisé que l’année dernière, et que les enseignants maîtrisent mieux la technique », précise pour sa part Caline. Pour nombre de familles, cet apprentissage est aussi le bienvenu en cette période d’incertitude sanitaire. « Un de mes quatre enfants est asthmatique. J’ai peur de le voir contaminé. Je suis plus tranquille de le garder à la maison, depuis la pandémie de Covid-19, au même titre que ses frères et sœurs tous scolarisés au Collège des Frères de Mreijé », reconnaît Mirvat, mère de famille au foyer. Malgré les difficultés financières de la famille et la nécessité de se partager le seul ordinateur de la maison et deux téléphones portables fatigués, « les deux aînés (terminale et troisième) se débrouillent très bien seuls ». Seul hic qui la dérange, outre les coupures répétées de courant et d’internet, « ces maux de tête que ressentent les enfants, lorsqu’ils ont passé la journée la tête rivée devant les écrans ».

Il reste enfin l’humour, et ces petites anecdotes qui égaient les matinées solitaires des élèves, à qui leurs camarades, leurs enseignants et leur environnement scolaire manquent. Comme cet élève qui s’est rendormi le matin, en plein milieu d’un cours virtuel ou l’intrusion de l’enfant d’une enseignante, qui tenait à être présenté à la classe, provoquant le fou rire généralisé des élèves en pleine concentration.

L’éducation à distance, ils ne l’apprécient pas particulièrement, car l’école leur manque, leurs camarades et ces moments de partage aussi. Mais en cette fin d’octobre qui voit l’ascension de la pandémie de Covid-19 au Liban, ils n’ont d’autre choix que de s’y faire. Certes, les écoles publiques ont ouvert leurs portes le 12 octobre, mais uniquement pour les classes à...

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