À quelques jours des consultations parlementaires contraignantes prévues en principe jeudi à Baabda, la désignation du prochain Premier ministre est plus que jamais entourée de flou. À l’heure où le président de la Chambre Nabih Berry s’efforce de distiller un climat d’optimisme quant à une probable percée cette semaine, le durcissement du ton des partis chrétiens et leur opposition à la nomination du leader du Futur Saad Hariri pour former la prochaine équipe ministérielle bloquent toujours le processus gouvernemental.
Moins de 24 heures avant les consultations qui étaient attendues jeudi dernier, le chef de l’État Michel Aoun a décidé de les reporter d’une semaine, en arguant de la nécessité d’assurer un climat propice à la formation du gouvernement. La décision était intervenue à l’heure où Saad Hariri s’employait à obtenir le soutien des principales forces politiques.
En évoquant la nécessité d’assurer « un climat propice » à la formation du cabinet, Baabda cherchait selon certains analystes à assurer un soutien chrétien à une nouvelle nomination de M. Hariri au Sérail, dans la mesure où sa candidature se heurtait à l’opposition du Courant patriotique libre et des Forces libanaises. C’est donc par souci de « conformité au pacte national » que le chef de l’État a préféré reporter les consultations. Mais dans certains milieux politiques, on fait valoir que cette notion de conformité au pacte semble élastique et utilisée « à la carte » dans le cadre du règlement de comptes habituel entre les chefs politiques. On en veut pour preuve que les consultations ont été reportées en dépit du soutien des Marada, parti chrétien dirigé par Sleiman Frangié, à la nomination de Saad Hariri. On rappelle aussi que le Premier ministre démissionnaire Hassane Diab ne bénéficiait pas de la couverture sunnite, c’est-à-dire de l’appui du courant du Futur et des quatre ex-chefs de gouvernement Saad Hariri, Fouad Siniora, Nagib Mikati et Tammam Salam, mais que les consultations avaient été maintenues (…).
Quoi qu’il en soit, l’obstacle chrétien semble loin d’être surmonté dans un avenir proche, le CPL et les FL campant sur leurs positions respectives et ralentissant la machine. Réuni samedi à distance, le comité politique du courant aouniste a ainsi réitéré son attachement à l’initiative française, prônant « la mise en place d’un gouvernement de mission, dont le chef et les membres seraient des spécialistes », comme on peut lire dans un communiqué publié à l’issue de la réunion. « Le conseil politique a décidé à l’unanimité de ne pas nommer Saad Hariri (pour former le prochain gouvernement), dans la mesure où il n’est pas spécialiste, avec tout le respect dû à sa personne et à sa représentativité politique », ajoute le texte, jugeant « injustes » les accusations lancées contre le parti dirigé par Gebran Bassil, lui imputant la responsabilité du blocage actuel.
Tout comme le CPL, les FL se montrent de plus en plus convaincues de leur décision de priver, une fois de plus, le chef du courant du Futur de leur soutien. Si cela s’explique par les rapports gelés entre les deux camps depuis la désignation de Hassane Diab en décembre dernier, il reste que le groupe parlementaire FL ne nommera aucune personnalité lors des consultations attendues jeudi. Pour certains analystes politiques, cette position prive Saad Hariri d’un appui chrétien significatif, sans pour autant paver la voie à la désignation d’un expert, comme le veut le mouvement de contestation que Meerab affirme appuyer.
Mais dans les milieux FL, on présente à L’Orient-Le Jour une autre explication. Selon un responsable au sein du parti, la formation chrétienne est convaincue que le chef du Futur n’est pas la personne la mieux placée pour mettre en place un gouvernement à l’heure actuelle. Mais les FL sont conscientes en outre qu’aucun gouvernement, quel que soit son chef, ne pourra opérer les changements nécessaires sous l’égide de la majorité parlementaire actuelle. Une claire allusion au tandem chiite et au CPL, en direction desquels Samir Geagea avait décoché plusieurs flèches, excluant la possibilité d’un redressement du pays tant que ces trois partis sont aux commandes.
Raï se déchaîne à nouveau…
Face à ce durcissement de ton de la part des deux partis chrétiens majoritaires, les tractations gouvernementales semblent gelées. C’est ce qui aurait poussé le patriarche maronite Béchara Raï à se déchaîner à nouveau contre la classe dirigeante dans son ensemble. « Personne n’est innocent du sang du Liban. La responsabilité est collective, la reddition des comptes aussi », a-t-il lancé dans son homélie dominicale hier à Bkerké. S’en prenant ouvertement aux protagonistes, notamment ceux qui entravent la formation du cabinet, le chef de l’Église maronite s’est adressé à eux en ces termes : « Responsables et politiques, qui d’entre vous a encore le luxe de s’offrir du temps pour retarder les consultations parlementaires et la formation du cabinet ? Qui d’entre vous a la prérogative de manipuler la Constitution, le pacte national, l’accord de Taëf, le système, la vie de la nation et le peuple ? Ôtez vos mains et libérez le gouvernement ! » Encore une attaque contre le binôme chrétien, mais aussi contre le tandem Amal-Hezbollah. Celui-ci insistant toujours pour nommer les ministres chiites au sein de la future équipe, contrairement à l’esprit de l’initiative Macron.
De son côté, Baabda ne voit jusque-là aucun motif pour reporter une fois de plus les consultations parlementaires. Elles sont donc maintenues, en principe jeudi. Et c’est justement pour ne pas « rater cette opportunité », pour reprendre les termes d’un proche de Aïn el-Tiné, que le président de la Chambre Nabih Berry pourrait mener des contacts à même de faciliter la nomination d’un Premier ministre. C’est ainsi que les milieux du chef du législatif interprètent pour L’OLJ la déclaration hier de M. Berry au site web al-Intichar. Le président du Parlement a dit espérer « un progrès au niveau du dossier gouvernemental » cette semaine.Entre-temps, il convient de signaler que le directeur de la Sûreté générale Abbas Ibrahim s’est rendu à Paris, après son déplacement aux États-Unis.
commentaires (10)
au lieu de se déchaîner contre telle ou telle partie et de se mêler au quotidien de la chose publique , le patriarche Rai ferait mieux en ces temps de vache enragée de s'occuper de ses ouailles privés du minimum vital .
Hitti arlette
20 h 06, le 19 octobre 2020