Le processus de désignation d’un chef du gouvernement, sorti de son immobilisme depuis l’annonce par l’ancien Premier ministre Saad Hariri de sa candidature jeudi dernier, reste semé d’embûches. Il dépend désormais des pourparlers engagés par l’ancien Premier ministre avec les différentes forces politiques, qu’il entame aujourd’hui par des rencontres avec le président de la République Michel Aoun à 11h au palais de Baabda, puis avec le président du Parlement Nabih Berry à Aïn el-Tiné.
Depuis son interview à la chaîne MTV jeudi dernier, le chef du courant du Futur s’est lancé dans un pari que certains jugent risqué, alors que d’autres l’estiment bien calculé. Les premiers affirment que Saad Hariri se prévaut de l’initiative française, mais ne peut pas pour autant compter sur un appui français et occidental de manière générale. Selon eux, il devrait se heurter cette semaine aux mêmes conditions posées par les différentes factions politiques, ce qui devrait ramener les tractations autour de la formation d’un gouvernement à l’habituel bazar qui accompagne la naissance des cabinets. Les principaux obstacles, selon ces observateurs, se situeraient au niveau du président Aoun lui-même et du chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil, qui insisteraient pour une participation de ce dernier à tout cabinet présidé par Hariri, ainsi que sur leur « prérogative » de nommer les ministres chrétiens et de jouer un rôle essentiel dans les réformes économiques à venir. Quant au tandem chiite, il devrait renouveler sa volonté de maintenir son emprise sur le ministère des Finances, et de nommer les ministres chiites.
Ainsi, toujours selon ces mêmes observateurs, Saad Hariri se serait mis dans une position où il devrait soit accepter les conditions des uns et des autres pour former son équipe, ce qui mécontenterait la communauté internationale, soit se retrouver dans une impasse.
Un son de cloche nettement plus optimiste est exprimé en revanche par des sources politiques proches du camp dit du 14 Mars. Celles-ci assurent que Saad Hariri ne peut pas s’être lancé dans cette proposition sans avoir reçu un feu vert franco-saoudo-américain. Selon eux, cette « percée » serait le résultat de contacts intensifs effectués principalement par les Français auprès des autres puissances, notamment l’Arabie saoudite. Même l’Iran ne refuserait pas de faciliter un gouvernement pour une période de six mois, afin de préserver ses intérêts auprès des Européens. Ces sources notent bien que l’initiative n’a suscité de levée de boucliers d’aucune partie que ce soit. Toutefois, le succès de cette entreprise dépendrait largement des pourparlers de Saad Hariri avec MM. Aoun et Berry aujourd’hui, qui seront le véritable indicateur de la suite des événements.
Les entretiens avec Aoun et Berry, indicateurs de la suite
Saad Hariri entamera donc ses entretiens politiques aujourd’hui par des rencontres avec les deux présidents Aoun et Berry. Selon notre correspondante Hoda Chédid, il a lui-même appelé chacun des deux hommes, ce qui a permis entre autres de briser la glace entre le président de la République et lui, alors que leurs relations étaient gelées depuis sa démission en octobre 2019. Il devrait ensuite profiter des jours précédant la date fixée par le président Aoun pour les concertations contraignantes, le jeudi 15 octobre, afin de sonder les opinions des différents groupes parlementaires. Étant donné que ce délai est assez court, la possibilité d’un report de ces concertations n’est pas exclue.
Selon une source du courant du Futur interrogée par L’Orient-Le Jour, M. Hariri reste déterminé à respecter les deux aspects de l’initiative française, à savoir l’aspect politique consistant à former un gouvernement de spécialistes pour six mois, et l’aspect économique qui concerne le lancement des réformes susceptibles de sortir le pays de la spirale de l’effondrement. Cette source assure que l’ancien Premier ministre n’a pas, à proprement parler, annoncé sa candidature durant l’émission de la MTV jeudi soir, mais qu’il avait fait valoir le fait qu’il est « un candidat naturel ».
À la question de savoir comment réagirait Saad Hariri aux conditions des uns et des autres, qui ont déjà abouti à la récusation du Premier ministre désigné Moustapha Adib le 26 septembre dernier, cette source indique qu’il devrait insister sur l’effondrement économique qui menace le pays et la nécessité de l’en sortir par un gouvernement différent des précédents. D’aucuns font remarquer que M. Hariri étant lui-même une figure politique par excellence, comment pourrait-il présider un gouvernement de spécialistes ? « Les autres présidents ne sont-ils pas des figures politiques ? Pourquoi le Premier ministre ne le serait-il pas ? » répond cette source. M. Hariri, qui se prévaut de l’initiative française, est-il en contact régulier avec les Français ? « Les Français sont en contact avec les différentes parties libanaises », affirme simplement la source.
Du côté des autres parties politiques, celles-ci semblent privilégier l’attentisme à la veille de cette semaine cruciale pour la désignation d’un Premier ministre. Du côté du Parti socialiste progressiste, on préfère attendre l’entretien télévisé du chef du parti, le leader druze Walid Joumblatt, à la chaîne al-Jadeed ce soir, avant de commenter l’initiative de M. Hariri.
Au Courant patriotique libre, on observera également de près le résultat des pourparlers de M. Hariri avec le président de la République aujourd’hui. Une source de ce parti souligne à L’OLJ qu’aucun contact n’a encore été établi par M. Hariri avec le CPL et notamment son président. Cette source estime même que l’ancien Premier ministre « a tardé » à lancer ses pourparlers. « Nous devons voir quelle est la teneur de la proposition de M. Hariri, poursuit-elle. Si elle n’a pas changé par rapport aux précédentes, alors il n’y a pas de raison que la réponse soit modifiée. Nous attendons de voir si la volonté de réforme et de sauvetage du pays est bien réelle. Mais d’une manière générale, la formation d’un gouvernement est notre priorité et nous aurons tendance à faciliter le processus si les conditions posées ne nous paraissent pas inacceptables. »
Les Forces libanaises, qui n’avaient pas nommé Saad Hariri lors des concertations qui avaient eu lieu après la chute de son gouvernement, restent attachées pour leur part à la nécessité de former un cabinet entièrement formé d’indépendants. « Nous pensons que seul un tel gouvernement peut sauver le pays, mais nous restons ouverts à toutes les propositions, affirme une source de ce parti à notre journal. Dans tous les cas, nous attendons que M. Hariri consulte notre groupe parlementaire et nous fasse part des détails de son initiative. Le chef du parti Samir Geagea effectuera des contacts incessants jusqu’aux concertations. Le groupe FL devrait se réunir mercredi pour prendre sa décision, à la lumière des contacts entrepris. »
Pari calculé ou retour au bazar creux des négociations autour des portefeuilles et des influences ? La semaine à venir, qui coïncide avec l’anniversaire du soulèvement du 17 octobre, devrait au moins répondre à cette question.
commentaires (10)
Il fait une très grosse bêtise
FAKHOURI
15 h 08, le 12 octobre 2020