Si la décision du chef de l’État de fixer un rendez-vous précis pour les consultations parlementaires contraignantes (15 octobre) était destinée à faire bouger le dossier de la formation du gouvernement, l’objectif a donc été atteint. L’interview-événement accordée jeudi soir par l’ancien Premier ministre Saad Hariri à la chaîne MTV en a donné la meilleure preuve, puisque le chef du courant du Futur a ouvert une grande brèche dans ce dossier.
Contrairement aux rumeurs qui avaient précédé l’interview télévisée et à certaines déclarations de députés membres du bloc du Futur ou de personnalités de ce courant, qui laissaient entendre que M. Hariri comptait annoncer clairement qu’il ne souhaitait pas former un nouveau gouvernement dans la période actuelle, ce dernier a surpris ses supposés alliés et ses adversaires en déclarant qu’il est « un candidat naturel à la présidence du Conseil ». Il a même été encore plus loin en annonçant son intention d’entreprendre des contacts avec les différentes parties pour sonder leurs intentions, notamment au sujet du document de réformes proposé par les Français, avant le rendez-vous des consultations parlementaires.
Deux premières constatations s’imposent donc. D’abord, Saad Hariri ne s’est pas contenté d’annoncer une position de principe, puisqu’il l’a fait suivre d’une action concrète qui se résume à une série de contacts avec les différentes parties concernées. Ensuite, le chef du courant du Futur s’est placé sous le plafond de l’initiative française en déclarant son intention de sonder les parties au sujet du plan de réformes proposé par le président français lors de la seconde réunion à la Résidence des Pins, le 1er septembre. M. Hariri a donc donné ainsi la confirmation du maintien de l’initiative française, qui reste une base de discussion (la seule en fait) pour aboutir à la formation d’un nouveau gouvernement.
Tout en exprimant son refus de l’initiative lancée par l’ancien président du Conseil Nagib Mikati qui avait proposé la formation d’un gouvernement techno-politique de 20 membres, 14 technocrates et six ministres politiques sans portefeuilles, Hariri n’a pas ménagé ses critiques à l’adresse d’Amal et du Hezbollah, ainsi que du CPL et de son chef, mais aussi des Forces libanaises et du chef du PSP. Toutefois, les FL ont été (avec le PSP) les seules à répondre dans un communiqué assez virulent aux déclarations de Saad Hariri, alors qu’aussi bien les deux formations chiites que le CPL et le chef de l’État ont gardé le silence, préférant attendre la suite de la démarche qu’il a annoncée.
Il est donc clair que la position de Saad Hariri a créé hier la surprise dans les milieux politiques et a soulevé une vague d’optimisme quant à la possibilité de désigner jeudi prochain un nouveau Premier ministre qui serait en mesure de former un gouvernement et de relancer ainsi les promesses faites dans le cadre de l’initiative française.
Toutefois, les milieux politiques se demandent ce qui a bien pu se passer pour que M. Hariri annonce soudain sa disposition à être désigné pour former le prochain gouvernement. Jusqu’à présent, plusieurs hypothèses ont été avancées.
La première, c’est que le chef du courant du Futur a saisi la perche qu’avait tendue le président Aoun en fixant le 15 octobre comme rendez-vous des consultations parlementaires obligatoires et en déclarant qu’il s’inclinera devant le choix des députés, quel qu’il soit, démentant ainsi les rumeurs sur un éventuel veto de sa part au retour de Saad Hariri au Sérail.
La seconde hypothèse suppose que ce dernier a eu au cours des jours précédents un contact avec les autorités françaises qui l’auraient pressé d’agir pour sauver l’initiative française avant qu’il ne soit trop tard. Selon cette approche, les critiques adressées par le président français dans sa conférence de presse après le retrait de Moustapha Adib à Saad Hariri étaient significatives et montraient que la France était convaincue que le « club des quatre anciens présidents du Conseil » avait mal géré le processus de formation du gouvernement. Certes, les plus grands reproches étaient adressés aux deux formations chiites, mais le chef du courant du Futur n’avait pas été ménagé non plus et il a donc réagi en relançant l’initiative, sachant que dans la période actuelle son principal soutien extérieur est en France.
La troisième hypothèse repose sur la possibilité d’un changement dans la position saoudienne suite à des contacts avec les autorités françaises. Celle-ci serait donc passée de l’opposition franche à la formation d’un gouvernement par Saad Hariri dans le rapport actuel des forces, à une sorte d’indifférence positive. Le principal obstacle extérieur à sa désignation serait donc ainsi levé.
Selon la quatrième hypothèse, le chef du courant du Futur aurait adopté cette position d’ouverture pour couper court à son allié et néanmoins rival Nagib Mikati qui avait une longueur d’avance dans la course à la désignation du président du Conseil après avoir présenté une proposition acceptable pour les deux formations chiites en parlant d’un gouvernement techno-politique.
Pour la cinquième hypothèse, M. Hariri aurait adopté cette position pour couper la voie à son frère Baha’ qui serait en train d’étendre sa popularité au sein de la rue sunnite, avec l’aval des Saoudiens. D’ailleurs, hier après l’entretien télévisé du chef du courant du Futur, Baha’ Hariri a publié un tweet dans lequel il a écrit que Saad reste son frère. Ils sont une famille même s’ils ont des divergences...
Enfin, dans la sixième hypothèse, l’attitude de Saad serait due au développement inattendu dans le processus du tracé des frontières maritimes, avec le début des négociations quadripartites (Liban-Israël, ONU et États-Unis) la semaine prochaine. En annonçant l’accord-cadre sur les négociations, le Liban – et en particulier le président de la Chambre et derrière lui le Hezbollah – a pris une initiative qui devrait satisfaire l’administration américaine. Ce qui laisse supposer que les pressions maximales pourraient s’alléger un peu. Saad Hariri ne voudrait pas être en dehors de ce processus et profiter de ce climat peut-être plus favorable à un début de solution au Liban.
Pour certains analystes, ce sont toutes ces hypothèses réunies qui expliqueraient l’attitude de l’ex-Premier ministre dans l’interview télévisée de jeudi soir. Mais ce qui compte au final, c’est que le chef du courant du Futur a ouvert la voie à un début de déblocage au moment où le Liban en a un besoin urgent.
commentaires (9)
Le jeu de rôles reprend et la méprise des libanais avec. Hariri sait très bien qu’en postulant au poste de PM il ouvre la porte à tous ses détracteurs d’exiger leur présence dans la formation du gouvernement et durcit leurs positions puisqu’ils n’ont pas d’autres arguments que de saboter et il leur donne la possibilité de négocier alors que le but des citoyens est de clore le sujet de distribution des parts et de repartir avec des responsables politiques compétents et honnêtes loin de tous les partis qui ont tué le pays pour nous sortir de là. Il se jette dans la fosses des hyènes pour se faire déchiqueter et créer un dilemme dans lequel on croyait enfin derrière nous. Qui a eu cette brillante idée de reprendre les mêmes pour remettre le pays sur les rails? Cela ne fait que renforcer leurs positions et leur donner une excuse de conforter l’idée du complot contre eux, puisque si ce sont eux qui s’entêtent à avoir Hariri comme PM pour pouvoir placer leurs pions pour soit disant une équité. Il tombe systématiquement dans leur piège. La preuve que ce Monsieur manque de maturité politique. Ce qu’il lui faut, c’est jouer un rôle constructif en restant en dehors du pouvoir et se contenter d’imposer une personne neutre et à la hauteur de la situation pour les empêcher de revenir à l’idée de partages et de blocage. Sinon c’est leur donner le bâton pour se faire taper avec.
Sissi zayyat
11 h 25, le 11 octobre 2020