
« Mon rôle est terminé, je me retire. » Non, le président de la Chambre Nabih Berry ne quitte pas la scène politique. Par ces mots, il a simplement annoncé hier que l’accord-cadre pour le début des négociations sur le tracé des frontières sud avec Israël a été adopté, et que par conséquent il n’a plus de rôle dans ce dossier. Il laisse désormais la place au président de la République, au gouvernement qui sera en charge et à l’armée libanaise de poursuivre les négociations qui doivent aboutir à un accord avec l’État hébreu au sujet de la démarcation des frontières maritimes et terrestres.
Après dix ans de tiraillements, de réunions parfois houleuses et de tractations, l’accord-cadre a donc été conclu avec les Américains et, à travers eux, avec les Israéliens. C’est un moment important pour le Liban qui se débat dans des crises aiguës. Le président de la Chambre, qui a représenté Beyrouth aux pourparlers préliminaires, a voulu faire l’annonce solennellement dans une conférence de presse qui s’est tenue à Aïn el-Tiné, en présence de la ministre sortante de la Défense Zeina Acar, du commandant en chef de l’armée, le général Joseph Aoun, du commandant en chef de la Finul, le général Stefano del Col, et d’une représentante de l’ONU. Pour le chef du législatif, qui mène les tractations du côté libanais depuis dix ans, c’est une victoire personnelle, « car les conditions posées par le Liban pour entamer les négociations ont été finalement acceptées ». Elles se résument ainsi : d’abord, les négociations se feront « sous la houlette des Nations unies et avec la médiation des États-Unis » ; ensuite, le dossier du tracé des frontières maritimes « devra aller de pair avec celui des frontières terrestres ». Autrement dit, ils ne peuvent pas être dissociés. Mais cette étape franchie, le processus reste encore long...
D’ailleurs, dans sa conférence de presse, Nabih Berry a rappelé que lorsque le dossier avait été ouvert en 2010, il avait lui-même lancé l’idée de « tracer une ligne blanche dans le bleu de la Méditerranée », en continuation de la ligne bleue tracée en 2000 le long de la frontière terrestre entre le Liban et Israël, en attendant une délimitation des frontières entre les deux pays. C’était d’ailleurs lui qui avait demandé au secrétaire général de l’ONU de l’époque, Ban Ki-moon, de pousser vers un règlement du dossier des frontières maritimes. Face aux hésitations de l’ONU, qui a elle-même sollicité l’aide des États-Unis, Nabih Berry avait donc pris à cette époque l’initiative de contacter l’ambassadeur américain à Beyrouth. Et c’est ainsi que plusieurs émissaires US ont pris à tour de rôle la responsabilité de ce dossier. « Les pourparlers avaient commencé avec Frederic Hoffe entre 2011 et 2013, puis avec Amos Hochstein entre 2014 et 2016. Ensuite David Satterfield avait pris la relève en 2018 et 2019. Et maintenant c’est le tour de David Schenker. Pendant toutes ces années, les discussions avançaient un peu puis semblaient piétiner, mais elles tournaient toujours autour des mêmes points », a rappelé le président de la Chambre. Selon lui, la visite du secrétaire d’État américain, Mike Pompeo, à Beyrouth en mars 2019 et son entretien avec lui « ont remis le dossier en tête des priorités dans les discussions libano-américaines ».
Comité international de surveillance
Nabih Berry a rappelé que dans toutes ces négociations, « le Liban est resté attaché au mécanisme adopté lors des “arrangements” d’avril 1996 et au dispositif mis en place dans le cadre de la résolution 1701 » du Conseil de sécurité de l’ONU. Les « arrangements » d’avril avaient suivi l’opération israélienne dite « les Raisins de la colère » et l’instauration d’un cessez-le-feu entre le Liban et Israël. À la suite de cette offensive militaire israélienne contre le Liban (qui avait été marquée par le massacre de Cana, le 18 avril), l’accord avait reconnu pour la première fois officiellement sur le plan international l’existence de la résistance en demandant aux Israéliens et au Hezbollah d’épargner les civils dans leurs attaques réciproques. Un comité international de surveillance formé des États-Unis et de la France en tant qu’États garants, ainsi que de la Syrie, du Liban et d’Israël, a été chargé de surveiller sous l’égide de l’ONU le respect de l’accord et de recevoir et d’examiner les plaintes des différentes parties. L’insistance du Liban à respecter les dispositions des arrangements d’avril est destinée à couper court à toute tentative d’imposer un mécanisme similaire à celui qui avait été adopté en 1982 et 1983, dans les négociations préliminaires à l’accord du 17 mai entre le Liban et Israël, qui s’étaient déroulées à tour de rôle à Khaldé et à Kyriat Shmona. D’ailleurs, l’accord conclu à cette époque-là n’a jamais été ratifié par le Parlement. Cette fois, le Liban insiste donc pour que les pourparlers se déroulent au siège de la Finul à Naqoura (comme ce fut le cas pour les réunions du comité de surveillance issu des arrangements d’avril) et sous la supervision de l’ONU. Il exige aussi « une concomitance dans les volets maritimes et terrestres », a souligné le président de la Chambre. Nabih Berry a d’ailleurs clairement dit qu’« aucun procès-verbal ne sera exécuté, tant sur le volet maritime que terrestre, s’il ne porte pas la signature de toutes les parties et en particulier celle du Liban ».
Nabih Berry annonçant, hier, que le Liban et Israël tiendront des pourparlers sous la médiation de l’ONU sur leurs frontières terrestres et maritimes contestées. Photo AFP/HO/Parlement libanais
Aucun lien avec les sanctions
Il a rappelé qu’il s’agit d’un « accord-cadre et non d’un accord définitif ». « Désormais, ce sera l’armée, sous la houlette du président de la République et celle du gouvernement en charge, qui prendra la relève », a-t-il dit.
Le président de la Chambre a ensuite lu le texte de l’accord préliminaire pour le tracé des frontières datant du 22 septembre 2020, dans lequel les Américains confirment la disposition du Liban et d’Israël à se mettre d’accord sur le tracé des frontières maritimes, selon la résolution 1701, qui avait permis d’avancer sur le plan du tracé des frontières terrestres. Au sujet du volet maritime, des réunions se tiendront à Naqoura sous l’égide des Nations unies et du coordinateur spécial de l’ONU au Liban Jan Kubis. Les procès-verbaux seront établis par les représentants onusiens et seront signés par les parties libanaise et israélienne. Celles-ci ont demandé aux États-Unis de jouer le rôle de médiateur et de facilitateur des discussions. De leur côté, les Américains promettent de déployer tous les efforts possibles pour aider à créer un climat positif et à le préserver dans le déroulement des négociations et pour qu’elles puissent aboutir à un accord le plus rapidement possible.
Nabih Berry a ensuite ajouté que « si le tracé des frontières réussit, il ouvrira une grande opportunité pour les prospections dans les blocs 8 et 9 (au large des côtes du Liban-Sud) ». Ce qui devrait aider le pays sur les plans financier et économique.
Interrogé sur l’existence d’un lien entre la conclusion de cet accord-cadre aujourd’hui et les sanctions américaines qui avaient été annoncées contre son adjoint Ali Hassan Khalil, le chef du législatif a affirmé qu’il n’y a aucun lien entre les deux affaires. « Ali Hassan Khalil est actuellement plus proche de moi que jamais. Mais il n’a jamais été impliqué dans ce dossier. De toute façon, je ne suis pas de ceux qui cèdent aux pressions. Ni moi ni le Liban d’ailleurs. Nous sommes tous faits du même bois et nous sommes attachés aux mêmes principes, ainsi que le président de la République et tout le Liban », a-t-il poursuivi.
En réponse à une question sur le fait de savoir si le pays aujourd’hui n’est pas trop affaibli pour pouvoir mener de telles négociations, Nabih Berry a répondu que « le Liban a longtemps été considéré comme faible, mais aujourd’hui, grâce à son peuple, son armée et sa résistance, nul ne peut le menacer. Nous voulons obtenir nos droits, ni plus ni moins ». Au passage, il a évoqué les critiques dont il a fait l’objet parce qu’il avait pris en charge ce dossier, rappelant qu’on l’avait accusé de s’arroger les prérogatives du chef de l’État. « Cela est faux. Je n’ai fait que discuter de l’accord-cadre… Celui-ci ouvre simplement la voie alors que le texte de la Constitution est clair dans la mesure où l’article 52 précise que c’est le président de la République qui négocie les traités et les ratifie en accord avec le chef du gouvernement », a-t-il ajouté.
Nabih Berry a refusé de placer l’annonce de cet accord-cadre dans le contexte de l’actualité régionale, notamment le processus de normalisation des relations entre Israël et certains pays arabes. « Il y a simplement eu un retard dans les négociations. Mais aujourd’hui, c’est terminé et l’accord est annoncé », a-t-il fait valoir. Selon lui, le retard dans la conclusion de cet accord a retardé la mission de Total (chargée des prospections gazières off-shore). Mais il a précisé que cette compagnie devrait reprendre sa mission avant la fin de l’année. Il a ajouté qu’il avait lui-même formulé cette demande au président français Emmanuel Macron, lors de leur dernière rencontre.
Avant de clore sa conférence de presse et en réponse à une question, le président de la Chambre a lancé: « Le Liban a 6 000 ans et il en est encore à la période de la fondation… » Ce qui, selon lui, laisse supposer qu’il a encore une longue vie devant lui.
De sources officielles, on fait état d’une coordination entre Baabda et Aïn el-Tiné, qui a précédé la conférence de presse, et d’une entente sur tous les points prévus dans l’accord-cadre.
« Mon rôle est terminé, je me retire. » Non, le président de la Chambre Nabih Berry ne quitte pas la scène politique. Par ces mots, il a simplement annoncé hier que l’accord-cadre pour le début des négociations sur le tracé des frontières sud avec Israël a été adopté, et que par conséquent il n’a plus de rôle dans ce dossier. Il laisse désormais la place au...
commentaires (18)
Tout compte fait’ je crois que cet accord cadre ne parle que de la frontière maritime. Pas un mot quant a la frontière terrestre puisque Chabaa faisait partie du Golan Syrien annexe par Israel. Donc, a moins que la Syrie ne concede que Chabaa est bien Libanaise, y a rien a negocier. Mais le point essentiel ici c’est la reconnaissance ipso facto d’Israel et de sa frontière.
IMB a SPO
01 h 08, le 03 octobre 2020