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Moyen-Orient - ÉCLAIRAGE

En Irak, les enjeux d’un éventuel retrait diplomatique américain

Washington menace de fermer son ambassade à Bagdad, avec des conséquences sécuritaires et économiques pour le pays.

En Irak, les enjeux d’un éventuel retrait diplomatique américain

Vue de l’ambassade américaine à Bagdad, le 3 janvier 2020. Ahmad al-Rubaye/AFP

La lune de miel entre Washington et le Premier ministre irakien Moustafa el-Kazimi a du plomb dans l’aile. Excédée par les attaques quasi quotidiennes contre les intérêts américains en Irak, la Maison-Blanche menace désormais de fermer son ambassade dans le pays. Rien qu’hier, une roquette visant des soldats américains stationnés près de l’aéroport a tué trois enfants et deux femmes d’une même famille irakienne. Au cours du mois de septembre, la zone verte à Bagdad – là où se trouve la mission diplomatique américaine – a fait l’objet de 19 attaques de roquettes katioucha et de mortiers. Durant la même période, les forces de la coalition internationale contre l’État islamique ont subi près de 25 offensives par engin explosif improvisé. Dans le sillage de l’élimination par un raid américain le 3 janvier dernier de Kassem Soleimani, ancien commandant en chef de l’unité d’élite al-Qods au sein des gardiens de la révolution iranienne, et d’Abou Mahdi al-Mouhandis, ancien leader de facto du Hachd al-Chaabi (ou Forces de mobilisation populaire, PMF), le Parlement irakien a appelé au renvoi des troupes de la coalition internationale sous commandement des États-Unis. Dans la même logique, les milices soutenues par Téhéran ont intensifié leurs attaques contre l’ambassade américaine et les bases militaires irakiennes abritant les troupes étrangères.

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La fermeture de la mission diplomatique a été évoquée la semaine dernière au cours d’un appel téléphonique entre le secrétaire d’État américain Mike Pompeo et le président irakien Barham Saleh, suscitant une crise au sein de la classe politique irakienne, jusqu’aux rangs des groupes les plus hostiles aux États-Unis, que ce soit par la voix de l’Alliance du Fateh, coalition politique pro-iranienne et deuxième groupe parlementaire, de la coalition paramilitaire du Hachd al-Chaabi qui leur est associée ou encore de Moqtada al-Sadr, figure de proue aussi populaire que populiste du nationalisme chiite tout autant que de la lutte contre Washington. Face à la perspective d’une rupture diplomatique, tous ont condamné il y a quelques jours les attaques contre les intérêts occidentaux. Le leadership des PMF s’en est même distancié en évoquant des actes commis en son nom mais par des groupes qui ne lui sont pas liés. Ce n’est toutefois pas le retrait des États-Unis qui effraie la direction de la coalition paramilitaire. Elle pourrait d’ailleurs, dans un premier temps, en faire ses choux gras et brandir en étendard un succès contre l’ennemi juré américain, d’autant plus qu’il intervient alors que Washington a amorcé le retrait progressif de ses hommes d’Irak, avec, notamment, la remise en août de la base Taji aux forces de sécurité nationale. « L’Iran revendiquerait ce départ comme une victoire de propagande, bien que la responsabilité d’avoir coupé l’Irak du monde pourrait revenir à Téhéran et à ses milices irakiennes », avance Michael Knights, expert de l’Irak au sein du Washington Institute for Near East Policy.

Conséquences en cascade

Pour beaucoup d’Irakiens, le départ de tous les diplomates américains suscite la peur qu’il soit rapidement suivi par une action militaire contre les milices pointées du doigt par les États-Unis, transformant, pour la énième fois, le pays en terrain de bataille entre Washington et Téhéran.

D’un point de vue sécuritaire, la rupture des relations diplomatiques équivaudrait à la fin de l’armement et de l’entraînement des forces armées irakiennes, qui ne disposeraient plus de ressources cruciales pour faire face aux cellules dormantes de l’État islamique. Un retrait américain inciterait au départ d’autres missions diplomatiques qui craindraient de perdre le soutien logistique fourni d’ordinaire par les États-Unis. « La fermeture de l’ambassade américaine et des installations logistiques qui lui sont liées à l’aéroport de Bagdad rendrait la tâche difficile à d’autres ambassades – plus petites – dans le cadre de la poursuite de leurs opérations en Irak et pourrait aussi mener à l’effondrement de la présence de la coalition internationale contre l’EI », indique Michael Knights. Cela fragiliserait également de manière considérable la position déjà délicate de M. Kazimi, qui serait livré à lui-même face aux milices, alors qu’il avait fait de la lutte contre ces dernières la colonne vertébrale de sa politique.

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Si la Maison-Blanche poursuit sur sa lancée, cela pourrait également priver l’Irak de l’aide du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, à l’heure où le pays traverse une grave crise, fruit d’une gestion délétère, de la chute du prix du pétrole et de la pandémie du coronavirus. La fermeture de l’ambassade menacerait également la dérogation accordée par Washington à Bagdad lui permettant d’importer du gaz iranien sans subir les sanctions imposées à Téhéran et entraverait les investissements extérieurs, l’un des enjeux du dialogue stratégique entre la Maison-Blanche et l’Irak lancé en juin dernier. Elle entraînerait enfin le retrait des organisations de développement financées directement ou indirectement par les États-Unis, mettant un coup d’arrêt à l’aide financière et humanitaire allouée à des projets de reconstruction.

Selon le quotidien américain The Washington Post, la position des États-Unis reste floue et on ignore encore si un éventuel départ a été approuvé, « et ce qui pourrait inciter l’administration Trump à suspendre le plan ». La fermeture de l’ambassade devrait prendre 90 jours, un laps de temps suffisamment long pour que la Maison-Blanche puisse revenir sur sa décision si de véritables changements ont lieu.

La menace américaine intervient à quelques semaines de l’élection présidentielle de novembre. Son timing s’explique en partie par le fait que le président des États-Unis ne peut risquer une escalade en Irak qui lui ferait perdre des concitoyens en pleine campagne électorale. Or Washington aurait obtenu des informations sur certains groupes armés financés par Téhéran et désormais en possession d’armes de précision.


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