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Moyen-Orient - ÉCLAIRAGE

Pour les Palestiniens, le divorce avec les pays du Golfe est désormais consommé

L’accord de normalisation conclu mardi à Washington entre Tel-Aviv, Manama et Abou Dhabi porte un coup dur aux liens traditionnels qui unissaient les monarchies du Golfe aux Palestiniens, qui sont malgré tout contraints de tempérer leur colère.

Pour les Palestiniens, le divorce avec les pays du Golfe est désormais consommé

« Une journée noire dans l’histoire du monde arabe. » Sur les chaînes de télévision palestiniennes comme sur les réseaux sociaux, on ne compte plus depuis mardi les voix qui filent la métaphore du deuil, et qui comparent la normalisation officialisée cette semaine à Washington entre les Émirats arabes unis et Bahreïn, et Israël, aux heures les plus sombres qu’a connues la région.

« Trahison », « l’accord de la honte », « non à la normalisation avec l’occupant ». À Naplouse, Hébron ou Ramallah, la colère était attendue. À Gaza, quelques dizaines de personnes se sont mobilisées mardi afin de protester, brûlant des portraits des leaders israéliens, américains, émiratis ou du Bahreïn. « Peu importe combien les dirigeants essaieront de justifier leurs actions, de forcer leur propre population, nous connaissons l’opposition des peuples à la normalisation grâce à internet », confie à L’Orient-Le Jour Hanane Achraoui, diplomate palestinienne.

Pour la classe politique palestinienne, c’est tout un pan des relations interarabes qui se termine. Pendant longtemps, les monarchies du Golfe avaient endossé un rôle de bienfaiteur-médiateur, en investissant dans les Territoires ou en affichant une position solidaire. « Demain l’initiative de paix mourra, tout comme le consensus arabe », regrette le Premier ministre palestinien, en référence à l’initiative arabe de 2002, qui conditionne toute reconnaissance officielle à la fin de l’occupation et à l’instauration d’un État palestinien. Mohammad Chtayeh, tout comme le secrétaire général de l’OLP, Saëb Erakat, ont depuis affirmé vouloir prendre leurs distances avec la Ligue arabe. Cette dernière, qui a longtemps été dépositaire de l’effort de solidarité arabe, n’a pas condamné les accords de normalisation en dépit des demandes palestiniennes en ce sens.

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Les figures politiques, même lorsqu’elles appartiennent à la communauté arabe d’Israël, ne mâchent pas leurs mots face à ce « cadeau dangereux » au service d’un « programme électoral » américain et israélien, estime Jamal Zahalka, ancien député de la Knesset et membre du parti arabe Balad, selon des propos rapportés par les médias palestiniens.

En Cisjordanie et à Gaza, la défiance des Palestiniens envers leurs dirigeants est croissante depuis plusieurs années. Mais sur le sujet de la normalisation, la population rejoint la ligne officielle. Les sondages indiquent « une opposition massive, quasi systématique des Palestiniens à la normalisation », explique Khaled Elgindy, directeur du programme Palestine-Israël au centre Middle East Institute, à L’Orient-Le Jour. Du côté des représentants, l’amertume pousse les factions à dépasser les traditionnelles discordes internes – le Hamas et le Fateh condamnent de concert l’action tripartite réalisée sous patronage américain. Si le Hamas, au pouvoir dans la bande de Gaza depuis 2007, s’inscrivait déjà dans une approche critique, « le leadership de Mahmoud Abbas, au sein du Fateh, va devoir repenser son lien à ce qu’ils appellent les “monarchies modérées du Golfe” », explique Khaled Elgindy.

Le « virus de la normalisation »

Mais malgré le consensus en interne, les appels à « combattre le virus de la normalisation » ont été peu suivis, surtout à Gaza, et principalement en raison de l’épidémie de Covid-19, mais également du manque d’espoir ou de la défiance envers les dirigeants palestiniens. « Tout le monde est en colère, mais plus personne n’y peut rien », résume Mohammad Nizar Nasser, un jeune Gazaoui.

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Le cœur n’y est plus complètement. Au soir de la signature de l’accord, c’est ce qu’il restait d’une vitrine partagée, d’une communauté d’appartenance, qui vole en éclats face aux images de Washington. Ce « tremblement de terre qui s’abat sur la position arabe », selon la déclaration publique du ministre palestinien des Affaires étrangères, Riad el-Maliki, touche à quelque chose d’une identité partagée et officialise la mort clinique d’un paradigme en place depuis près de deux décennies. « Les Émirats et Bahreïn ont décidé de prendre leurs distances, de violer l’initiative de paix et l’entente arabe… en ce sens, ce sont eux qui s’éloignent de la légalité, de la normale », rétorque Hanane Achraoui à L’Orient-Le Jour.

L’accord de mardi emporte ainsi plusieurs décennies de relations privilégiées entre les Palestiniens et les monarchies du Golfe. « Nous ne nions pas leurs aides passées, mais ce qu’ils ont fait est surprenant, d’autant qu’ils connaissent très bien la situation de l’occupation », déplore Mohammad Nizar Nasser. Longtemps reconnaissants, les Palestiniens tournent aujourd’hui le dos à ces pays et ces quelques figures investies. Les projets de cheikh Zayed ben Sultan al-Nahyane, fondateur des EAU et décédé en 2004, a par exemple marqué les esprits. Sa « Zayed City » construite en 2005 a permis de reloger – en partie gratuitement – plusieurs dizaines de milliers de Gazaouis et a modernisé le paysage urbain du nord de l’enclave en la dotant de rues pavées, de dizaines d’immeubles résidentiels et de jardins. « De manière générale, le sentiment palestinien est à ce jour très favorable vis-à-vis de cheikh Zayed. Mais on ne peut pas en dire autant de son fils, en raison de ses liens étroits avec Israël et tout particulièrement la récente annonce de normalisation », observe Khaled Elgindy. Un changement entre les générations qui illustre le processus de divorce progressif entre Palestiniens et monarchies pétrolières.

Certes, rien de tout cela n’est véritablement nouveau. Les Émirats arabes unis, Bahreïn, même le Qatar ou l’Arabie saoudite avaient esquissé depuis plusieurs années les grandes lignes d’une coopération avec Israël. L’idée, même timide et honteuse, d’une normalisation flotte dans l’air depuis le début des années 1990, lorsque les menaces iraniennes ou irakiennes bouleversent l’ordre des priorités des capitales du Golfe qui se découvrent des affinités bourgeonnantes avec Tel-Aviv. L’affaissement progressif de l’aide régionale en direction de Ramallah ne date pas non plus d’hier. « Les relations se détériorent depuis un moment, mais les choses se sont accélérées au cours des trois dernières années », note Daoud Kuttab, journaliste et analyste palestinien. « Les Saoudiens étaient peut-être notre soutien le plus constant, pourtant depuis janvier, il n’y a eu aucune aide d’aucun pays malgré la décision de la Ligue arabe de fournir une aide financière », note Hanane Achraoui. L’annonce de normalisation achève donc de lever le doute sur les dernières ambiguïtés et marque l’épilogue de cette dégradation des relations entre, d’un côté, les Palestiniens et, de l’autre, Abou Dhabi, Manama, voire même Riyad.

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Reste à savoir qui parmi les puissances régionales profitera du vide laissé par les monarchies du Golfe. Certains observateurs anticipent un renforcement de la polarisation régionale au profit de l’axe Iran/Turquie/Qatar. Mais malgré la véhémence des réactions, les acteurs palestiniens pourraient ne pas pouvoir se permettre le luxe de leurs mots. Face au nombre élevé de Palestiniens qui travaillent dans le Golfe, « les autorités tenteront de ne pas compromettre leurs situations, en se concentrant sur le problème de la normalisation en lui-même, et non pas sur les gouvernements », indique Daoud Kuttab. Les autorités pourraient également choisir de limiter ces critiques aux Émirats et à Bahreïn. « Les acteurs palestiniens ne peuvent plus se mettre à dos d’autres États arabes et vont probablement tenter de ménager leurs relations, notamment avec l’Égypte ou l’Arabie saoudite », remarque Khaled Elgindy. Pour Hanane Achraoui, penser que la classe dirigeante va se précipiter vers une alliance anti-Golfe serait également oublier que les leaders palestiniens ont appris de leurs leçons et souhaitent désormais s’extraire des influences extérieures. « Nous ne prendrons part à aucune forme de polarisation, ne nous joindrons à aucun axe, ni turc ni iranien », résume la diplomate.

« Une journée noire dans l’histoire du monde arabe. » Sur les chaînes de télévision palestiniennes comme sur les réseaux sociaux, on ne compte plus depuis mardi les voix qui filent la métaphore du deuil, et qui comparent la normalisation officialisée cette semaine à Washington entre les Émirats arabes unis et Bahreïn, et Israël, aux heures les plus sombres qu’a connues...

commentaires (2)

Un REAL-POLITIK qui a tarde a arriver. Durant ces 70 ans, la politique de l'autorite palestinienne a toujours ete negative a tout. Aucun projet ou contre projet. TOUT ou RIEN. Les aides recus ont favorises les comptes des dirigeants et leur acolytes. Le peuple? Rien que des slogans. Peut etre que maintenant les aides arriveront directement a la societe civile palestinienne court circuitant les dirigeants corrompus!

IMB a SPO

14 h 58, le 18 septembre 2020

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Commentaires (2)

  • Un REAL-POLITIK qui a tarde a arriver. Durant ces 70 ans, la politique de l'autorite palestinienne a toujours ete negative a tout. Aucun projet ou contre projet. TOUT ou RIEN. Les aides recus ont favorises les comptes des dirigeants et leur acolytes. Le peuple? Rien que des slogans. Peut etre que maintenant les aides arriveront directement a la societe civile palestinienne court circuitant les dirigeants corrompus!

    IMB a SPO

    14 h 58, le 18 septembre 2020

  • ca nous fait une belle jambe :) Du moment que certains cherchent à faire la paix. L'espoir en l'humain n'est pas mort. Bravo aux arabes qui commencent à raisonner et pensent à leurs intérêts. Quant aux palestiniens. et leur cause? .. bof... qu'ils aillent en enfer. Ils nous fait tant de mal que c'est le retour de bâton pour eux. ( je parle des responsables militaires palesto pas des gens qui cherchent à faire la paix ).

    LE FRANCOPHONE

    01 h 53, le 18 septembre 2020

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