C’est en principe aujourd’hui que le Premier ministre désigné Moustapha Adib devrait soumettre au président de la République la mouture de la formation de son gouvernement. Le rendez-vous risque toutefois d’être reporté à la lumière des multiples complications survenues après les récentes sanctions américaines contre des personnalités phares du mouvement Amal et des Marada, et surtout la menace d’un nouveau train de mesures que Washington a promis d’imposer et auxquelles Paris pourrait s’associer.
Entravée à ce jour, notamment par le nœud gordien du ministère des Finances auquel s’accroche le chef du mouvement Amal Nabih Berry et par le rétrécissement de la marge de manœuvre désormais concédée aux parties politiques, la tâche se complique pour Moustapha Adib, engagé dans une course contre la montre pour tenter de respecter la date limite de lundi prochain fixée par la France.
Le Premier ministre désigné, qui continue de préserver un mutisme absolu sur les tractations menées en coulisses, voudrait vraisemblablement laisser le climat se décanter après la récente visite du directeur général de la Sûreté Abbas Ibrahim, envoyé en mission à Paris pour tenter d’arrondir les angles et trouver notamment une issue à l’obstacle du ministère des Finances. L’obstination du mouvement Amal, soutenu par le Hezbollah, à obtenir ce portefeuille stratégique s’est encore plus renforcée depuis que l’ancien ministre Ali Hassan Khalil, issu de ses rangs, fait l’objet de sanctions américaines mettant à mal cette formation chiite et son allié.
La tâche de M. Ibrahim s’est avérée d’autant plus ardue que la France semble tout aussi déterminée à user d’armes dissuasives pour faire réussir la mission initiée par Emmanuel Macron et à faire preuve de fermeté sur certains principes devenus non négociables. Paris n’acceptera ainsi rien moins qu’un gouvernement de mission chargé de l’exécution à la lettre de la feuille de route définie par le président français. Feuille de route qui avait été approuvée par l’ensemble des parties politiques, à l’exception du point portant sur des élections anticipées.
Selon une source informée, la visite du général Ibrahim n’aurait pas porté ses fruits, du moins comme escompté par Baabda et le tandem chiite. Les interlocuteurs français auraient été très fermes : un gouvernement avant l’expiration du délai ou des sanctions qui vont s’abattre sur tout un éventail de personnalités issues des milieux politiques et ayant trempé dans la corruption. « Il n’y a plus de carottes. Il ne reste que le bâton », résume la source. Il y a une dizaine de jours, une autre source proche des milieux diplomatiques versait dans le même sens en affirmant que l’Élysée « est extrêmement sérieux et déterminé sur ce plan. La France se prépare pour cette éventualité ».
Ce message ferme viendrait ainsi rejoindre celui déjà envoyé par l’administration américaine, qui a promis un nouveau train de sanctions très prochainement. Autant de pressions cumulées qui, de l’avis d’un analyste proche du Hezbollah, ne peuvent être que « concertées » ou du moins agencées de sorte à servir un objectif immédiat : sortir le Liban de son bourbier, même si les deux parties ne sont pas d’accord sur la manière de traiter avec le Hezbollah.
Processus différents
Si elle devait se confirmer, cette mise en garde française pourrait expliquer la réaction exprimée hier dans Russia Today par le numéro deux chiite, Naïm Kassem, qui a affirmé craindre que l’initiative française ne « s’enlise à cause des États-Unis ». Le dignitaire chiite a également estimé que l’imposition de sanctions contre des personnalités phares du mouvement Amal et des Marada, et la formation du gouvernement étaient deux processus « totalement différents ». Une manière de dire qu’une éventuelle concession de la part du tandem chiite n’aurait pas été consentie sous l’effet de la pression. Le numéro deux du Hezbollah a aussi rappelé que la formation du cabinet est soumise « au poids des groupes politiques » au sein du Parlement, qui devra accorder la confiance à la future équipe ministérielle. Un enjeu dont Paris, qui n’a jamais évoqué un cabinet formé de technocrates purs, est d’ailleurs conscient. Selon une source proche du parti chiite qui suit de près ce dossier, la France n’aurait opposé son veto à aucun poste ministériel en particulier, mais voudrait consacrer le principe selon lequel aucun parti politique ne peut plus téléguider, même à distance, la gestion d’un ministère ou l’influencer pour en faire dériver les bénéfices et en tirer crédit. Il s’agirait notamment des portefeuilles de l’Énergie, des Télécoms, voire celui des Affaires étrangères, qui devraient désormais être préservés de toute interférence politique directe ou indirecte.
Paris n’objecterait pas cependant à l’affectation de spécialistes dits indépendants, mais sélectionnés par les partis politiques, à d’autres ministères, de sorte à ne pas complètement annuler leur rôle et afin que le cabinet puisse obtenir la confiance du Parlement et mener à bon port son programme, selon la source.
Autant de conditions qui rendent la tâche de Moustapha Adib encore plus compliquée, à moins que les parties, dont la marge de manœuvre se réduit comme peau de chagrin depuis que la crise s’est internationalisée, n’obtempèrent et avalisent l’une des solutions actuellement proposées : la rotation au niveau des portefeuilles, dont celui des Finances. Même si cette pilule était difficile à avaler par le président du Parlement Nabih Berry, qui recevrait ainsi un second camouflet en l’espace d’une semaine, elle aurait l’avantage de débloquer, ne serait-ce que dans une première phase, la formation du cabinet. Selon notre correspondant politique Mounir Rabih, c’est l’une des mesures qui auraient été proposées à Abbas Ibrahim lors de ses rencontres à Paris.
Le chef de l’État, qui réclame, de même que le Courant patriotique libre depuis un certain temps, que la rotation puisse s’appliquer à l’attribution de l’ensemble des ministères, ne s’y opposerait probablement pas. En acceptant une mouture où les Finances seraient retirées des mains du mouvement Amal, Michel Aoun pourra ainsi refiler la patate chaude à Nabih Berry et lui faire assumer la responsabilité d’un éventuel rejet par le Parlement qui devra alors trancher.
Baabda ne voudrait surtout pas perdre cette dernière bouée de sauvetage tendue par la France, au risque de se retrouver, ainsi que le Liban tout entier, complètement isolé sur la scène internationale. « Le chef de l’État est conscient que l’initiative d’Emmanuel Macron a en quelque sorte remis en selle la présidence de la République en lui restituant une part de son prestige. Le président de la République est également conscient qu’il a besoin de restaurer un tant soit peu son image au sein de la société chrétienne touchée en plein cœur par l’explosion puis le terrible incendie au port jeudi dernier », commente enfin un analyste.
commentaires (15)
Mr. Adib donnait votre démission car ils vont pas vous laisser gouverner
Eleni Caridopoulou
13 h 02, le 12 septembre 2020