Les deux développements peuvent n’avoir aucun lien entre eux, mais dans le contexte actuel, il est logique de considérer la visite à Beyrouth du chef du bureau politique du Hamas comme une réponse indirecte à la normalisation des relations entre les Israéliens et les Émirats arabes unis, considérée comme le début d’un processus. D’autant qu’à partir du camp de Aïn el-Héloué, Ismaïl Haniyé a insisté sur la cohésion de l’axe dit de la résistance et salué « Beyrouth, capitale » de cette résistance. Il s’agit peut-être de propos destinés à mobiliser les Palestiniens qui vivent dans les camps de la misère depuis plusieurs décennies, mais à Beyrouth, dans ce contexte précis, ils prennent une autre ampleur.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la plupart des responsables officiels du pays n’ont pas reçu Ismaïl Haniyé, qui a toutefois eu un long entretien avec le directeur de la Sûreté générale pour évoquer la situation des réfugiés palestiniens au Liban. Pour une partie de ces responsables, le fait de ne pas recevoir le chef palestinien est destiné à ne pas provoquer la colère des Américains qui considèrent le Hamas comme une organisation terroriste, et le Liban, surtout aujourd’hui, veut éviter d’ajouter un nouveau problème à tous ceux qui existent déjà. Pour d’autres, Ismaïl Haniyé n’occupe pas de fonction officielle au sein de l’Autorité palestinienne et par conséquent, il n’y a aucune obligation à le recevoir. En tout cas, pour le chef du Hamas lui-même, le plus important dans sa visite est sa rencontre avec les représentants des différentes organisations palestiniennes présentes au Liban, dans un souci de resserrer les rangs internes, ainsi que son entretien prolongé avec le secrétaire général du Hezbollah.
Indépendamment du contenu de cette visite, c’est donc son timing qui attire l’attention et rappelle que le Liban reste une scène de tiraillements régionaux et internationaux. Le président français Emmanuel Macron a certes essayé de lancer aux Libanais une bouée de sauvetage en les poussant à mettre de côté les dossiers stratégiques conflictuels, comme le positionnement du Liban sur le plan régional et international, pour donner la priorité aux sujets internes pressants et à la crise économique, financière et humanitaire. Mais ces dossiers s’imposent de nouveau avec force sur la scène locale. Entre la visite du secrétaire d’État adjoint américain pour le Moyen-Orient David Schenker et celle d’Ismaïl Haniyé, le Liban officiel essaie de ne pas s’inscrire dans un camp contre l’autre, mais l’exercice est assez difficile, d’autant que chacun des deux camps a ses partisans sur la scène politique et populaire libanaise.
Au cours de sa dernière visite, David Schenker a facilité la tâche aux autorités en ne demandant aucun rendez-vous avec les responsables officiels, se contentant de rencontrer les représentants de la société civile et les députés qui ont démissionné du Parlement. Seul bémol à ce tableau, le diplomate américain a rencontré le conseiller du président de la Chambre Ali Hamdan, en principe pour préparer avec lui sa prochaine visite qui devrait se dérouler aux alentours de la mi-septembre et qui sera consacrée à l’évocation du dossier du tracé des frontières maritimes entre le Liban et Israël. Il faut préciser que c’est le président de la Chambre, Nabih Berry, qui est en charge de ce dossier du côté libanais. Il avait récemment annoncé que les négociations avec les États-Unis à ce sujet étaient sur le point d’aboutir. Mais à en croire les informations ayant filtré de la dernière rencontre entre David Schenker d’une part et Ali Hamdan de l’autre, les Américains auraient fait marche arrière, alors qu’ils avaient accepté la thèse libanaise de négociations menées sous l’égide de l’ONU, avec la participation des Américains, pour aboutir à un accord global sur les frontières terrestres et maritimes. Est-ce le signe d’une volonté américaine d’accentuer les pressions sur un pouvoir libanais déjà affaibli, à la fois par le mouvement de protestation déclenché le 17 octobre et par la crise économique et sociale, elle-même accentuée par la tragédie du port de Beyrouth ? Ou bien est-ce une simple manœuvre en préparation de la prochaine visite du secrétaire d’État adjoint US à Beyrouth ? Toutes les hypothèses sont possibles, surtout que l’ambassade des États-Unis ne donne pas d’indications sur le sujet et que l’ambassadrice Dorothy Shea est absente pour une durée de 5 semaines.
Dans ce contexte de plus en plus compliqué, que devient l’initiative française ? En principe, elle devrait permettre au président du Conseil désigné et au chef de l’État de parvenir à former au plus vite un nouveau gouvernement qui obtiendrait l’aval des groupes parlementaires et donc des parties politiques (ou la plupart d’entre elles) tout en ne leur étant pas soumis. Les sources proches de Moustapha Adib affirment à cet égard qu’il n’est pas encore entré dans la phase des noms, s’employant à dessiner les contours de son gouvernement et la distribution des portefeuilles, dans le respect des équilibres communautaires et politiques. Il espère d’ailleurs achever cette première étape dans le courant de la semaine. De leur côté, les sources proches de Baabda précisent que contrairement à certaines informations, le chef de l’État n’a posé de veto sur aucune personnalité, son seul souci étant de faciliter la formation du gouvernement. Le Liban a en effet besoin d’un cabinet actif et efficace au plus tôt pour donner au pays une certaine immunité face aux nombreuses inconnues qui attendent la région. C’est donc actuellement une course entre la volonté de donner la priorité aux dossiers internes et l’accélération des développements régionaux et internationaux.
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Bery tus
16 h 44, le 07 septembre 2020