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Moyen-Orient - Irak

À Bagdad, Macron joue la carte de la troisième voie

Le président français a déclaré vouloir se tenir aux côtés du pays dans sa volonté de s’émanciper des ingérences extérieures.

À Bagdad, Macron joue la carte de la troisième voie

Le président français Emmanuel Macron et le président irakien Barham Saleh inspectent une garde d’honneur lors de la réception du chef d’État français à Bagdad, la capitale irakienne, le 2 septembre 2020. Sabah ARAR/AFP

Les relations irako-françaises n’ont rien de comparable aux liens qui unissent la France au Liban. Paris n’est pas l’ex-puissance mandataire à Bagdad. Quoi qu’attend une partie de la population irakienne de la France, et plus généralement de n’importe quel État qui voudrait jouer les médiateurs entre Washington et Téhéran, M. Macron n’est pas perçu comme l’homme providentiel et lui-même n’en a pas la prétention.

C’est donc dans un contexte bien différent que le chef d’État français s’est rendu à Bagdad hier après une visite en grande pompe au pays du Cèdre pour la seconde fois en moins d’un mois, première étape d’une opération de sauvetage qu’il s’était proposé de mener dans le sillage de la tragédie de la double explosion du port de Beyrouth.

Pour autant, les défis auxquels souhaite s’atteler activement le président français au Liban sont sensiblement similaires à ceux qui prévalent aujourd’hui en Irak. Un soulèvement sans précédent s’est emparé des deux pays en octobre 2019 pour dénoncer dans un même élan un système confessionnel perçu comme étant à la source de la corruption qui gangrène toutes les institutions. Tous deux traversent actuellement une crise économique historique. Enfin, en Irak, comme dans une moindre mesure au Liban, la question de l’ingérence iranienne dans les affaires intérieures est également dans le collimateur de larges pans de la population.

Officiellement, la visite d’Emmanuel Macron visait à lancer, « en lien avec les Nations unies, une initiative pour accompagner une démarche de souveraineté », selon les termes qu’il a employés mardi soir. Des propos réitérés à Bagdad hier, où le chef d’État a affirmé l’appui de la France à l’Irak face aux « ingérences étrangères », alors que le pays fait l’objet de vives tensions depuis des années entre les États-Unis et l’Iran, ravivées par la double élimination en janvier 2019 par la Maison-Blanche de l’ancien commandant en chef de l’unité d’élite al-Qods au sein des gardiens de la révolution iraniens, Kassem Soleimani, et d’Abou Mahdi al-Mouhandis, ancien leader de facto de la coalition paramilitaire du Hachd el-Chaabi, affiliée à la République islamique.

Pour sa première visite dans le pays depuis son arrivée au pouvoir, le président français a pu trouver une oreille attentive dans celle du Premier ministre irakien, Moustafa al-Kazimi, contraint, depuis sa prise de fonctions, à jouer les équilibristes entre Washington et Téhéran. « Il ne semble pas que Paris ait les moyens de s’imposer entre eux malgré le désir de la classe politique d’échapper à l’étau du bras de fer entre ses deux ex-parrains, nuance Pierre-Jean Luizard, historien spécialiste de l’Irak. Le problème est qu’aucun interlocuteur issu de la société civile ne s’est imposé et, comme à Beyrouth, une alternative politique demeure la quadrature du cercle. Le système a en effet la capacité de phagocyter les différents acteurs éventuels. Il est très facile de rentrer dans le confessionnalisme politique, mais il est très difficile d’en sortir pacifiquement. »

Lutte contre le jihadisme

Paris semble vouloir profiter des tensions entre les États-Unis et l’Iran pour se frayer un chemin dans le pays, sans s’opposer frontalement aux deux puissances. Moustafa al-Kazimi a évoqué hier avec le président français le projet de construction d’une centrale nucléaire sous le contrôle de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), avec de nombreux emplois à la clé. Une annonce qui intervient alors que l’économie irakienne se meurt sous les coups conjugués d’une mauvaise gestion plus que décennale, de la chute vertigineuse des prix du pétrole et des conséquences du Covid-19.

Au cours de sa visite, Emmanuel Macron a également évoqué avec son homologue irakien, le président Barham Saleh, la lutte contre le jihadisme. « La guerre contre l’État islamique n’est pas finie et la France continuera de se tenir aux côtés des Irakiens dans le cadre de la coalition internationale luttant contre les islamistes armés », a-t-il dit au cours d’une conférence de presse conjointe. Depuis 2014, les forces françaises sont ainsi engagées en Irak dans le cadre de l’opération Chammal. « Paris n’est pas prêt à se substituer à Washington ou à Téhéran pour contrer les jihadistes sur le terrain », commente Pierre-Jean Luizard.

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La visite d’Emmanuel Macron s’inscrit en outre dans un contexte où la France fait montre d’une diplomatie agressive en Méditerranée orientale. Entre Paris et Ankara, le torchon brûle et les raisons sont nombreuses. Il faut d’abord compter avec les tensions autour des forages en Méditerranée qui opposent la Turquie à la Grèce, auxquelles s’ajoutent l’achat par Ankara de missiles russes S-400 – malgré son appartenance à l’OTAN – et le conflit en Libye où chacun soutient un camp opposé. La Turquie intervient ainsi militairement aux côtés du Gouvernement d’union nationale tandis que Paris soutient, dans une certaine mesure, le maréchal Haftar.

Ankara avait, par ailleurs, lancé à la mi-juin une offensive terrestre spectaculaire contre les rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) dans le nord de l’Irak. Une attaque dénoncée à la fois par Erbil et Bagdad. « Paris tente de se trouver un débouché pour rivaliser avec la Turquie, notamment en matière d’armement et espère renforcer les relations avec le PKK et bénéficier du parti pris de l’Irak sur ce dossier », a avancé dans le cadre d’une interview récente avec le média irakien indépendant al-Aalem al-jadeed, Hussein al-Waili, journaliste irakien accrédité auprès de l’Union européenne. « La dimension kurde pourrait être réévaluée par Paris dans le cadre des tensions grandissantes avec Ankara. Toutefois, les dirigeants kurdes d’Irak savent jusqu’où ne pas aller avec le Parti de la justice et du développement (AKP) et Erdogan dont ils ont un besoin grandissant, surtout dans le contexte de grave crise économique que vit le Kurdistan d’Irak aujourd’hui », analyse Pierre-Jean Luizard.


Les relations irako-françaises n’ont rien de comparable aux liens qui unissent la France au Liban. Paris n’est pas l’ex-puissance mandataire à Bagdad. Quoi qu’attend une partie de la population irakienne de la France, et plus généralement de n’importe quel État qui voudrait jouer les médiateurs entre Washington et Téhéran, M. Macron n’est pas perçu comme l’homme...

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