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Monde - Enquête

Cinq ans après la vague migratoire, la greffe difficile des Syriens de Suède

Culturellement homogène, le paisible royaume peut être une destination difficile pour des personnes venues d’un État déchiré par la guerre.

Cinq ans après la vague migratoire, la greffe difficile des Syriens de Suède

Majda Ibrahim et ses enfants à Stockholm, le 5 août 2020. Jonathan Nackstrand/AFP

Leur arrivée en masse avait conduit la Suède à fermer la porte de l’immigration sur fond de poussée de l’extrême droite. Cinq ans plus tard, les Syriens cherchent toujours la clé de l’intégration, avec plus ou moins de bonheur. Arrivé à Malmö en 2015 en provenance de Damas, Abdallah Saleh, Palestinien né il y a 24 ans en Syrie, a décroché un premier emploi comme caissier au bout de dix mois. Pendant trois ans, il travaille, apprend le suédois et l’anglais et prend des cours de remise à niveau. Aujourd’hui aide-soignant pour personnes âgées, il vient d’être accepté dans un master en informatique. « Mon rêve depuis le lycée », se félicite-t-il.

La Suède a été le pays de l’Union européenne à accueillir le plus de réfugiés en 2015 : plus de 160 000, dont un tiers de Syriens. « Tous les jours, la file des demandeurs d’asile était interminable. À la fin de la journée, ils tapaient à la vitrine en disant s’il vous plaît, aidez-nous », se souvient une ancienne chargée de dossier de l’autorité de l’immigration. Si les experts estiment prématuré de dresser un bilan de l’intégration, faute de données suffisantes, ils jugent les premières tendances plutôt positives. Pieter Bevelander, professeur en migrations internationales à l’université de Malmö, se réfère à des données de 2016 pour donner une idée : « Pour les Syriens ayant obtenu un permis de résidence en 2010, 70 % ont un emploi aujourd’hui. » « On peut s’attendre à un résultat similaire pour ceux arrivés en 2015 », considère-t-il. D’autant que le niveau d’éducation des Syriens est quasi similaire à celui des Suédois, relève Eleonora Mussino, professeure à l’université de Stockholm.

Raidissement de l’opinion

En 2016, Stockholm finit par adopter une loi temporaire durcissant l’obtention d’un permis de résidence permanent et le regroupement familial. Alors que cette loi expire en 2021, le sujet, explosif, a été remis sur la table au Parlement, qui semble enclin à laisser la porte close.

Le royaume d’un peu plus de 10 millions d’habitants, dont près de 12 % nés hors de l’UE, a déjà accueilli une importante immigration depuis les années 90, d’ex-Yougoslavie, de Somalie ou plus récemment d’Irak.

Au fil des ans, l’opinion s’est raidie. Le parti anti-immigration des Démocrates de Suède (SD), nain politique au début des années 2000, est devenu la troisième force politique, avoisinant aujourd’hui les 20 % dans les sondages.

« C’est une erreur d’analyse que de penser que l’attitude des Suédois envers l’immigration était généreuse avant 2015 et que cela a changé après la crise migratoire », pointe Joakim Ruist, spécialiste de l’immigration à l’université de Göteborg. « Cette tolérance a en réalité toujours été fragile : tout le monde savait qu’une grande partie de la population ne voulait pas de réfugiés », ajoute l’enseignant.

Pour Jonas Andersson, un député de SD, « la loi temporaire était nécessaire mais n’était qu’une petite avancée dans la bonne direction ». « La Suède doit durcir sa législation », dit-il.

Depuis son entrée en vigueur, le nombre d’entrées de Syriens s’est effondré : 5 500 en 2016, encore moins les années suivantes. Idem pour les demandes d’asile accordées. Hala Alnahas en a fait les frais. Dentiste diplômée de l’université de Damas exerçant dans la petite ville de Mariestad, cette trentenaire enchaîne les permis de séjour temporaires, malgré le manque de dentistes en Suède. Son permis définitif lui a été refusé à cause d’un simple document manquant. « Ça a été un choc, parce que je paie mes impôts, je gagne bien ma vie, j’ai mon propre appartement et je n’ai besoin de l’aide de personne », s’indigne-t-elle.

Entraves à l’intégration

S’ajoute parfois le sentiment d’être laissé sur la touche. Sans emploi depuis son arrivée, Ali Haj Mohammad, 45 ans, peine à nouer des liens avec les Suédois. « J’ai l’impression qu’ils ne veulent pas parler aux réfugiés. Mon suédois n’est pas très bon, mais comment l’améliorer sans travail et en passant mon temps libre avec d’autres Syriens ou Irakiens ? » se désole-t-il. Faute de logements et de lien social, l’intégration « est un échec », estime Teodora Abda, présidente de la fédération syrienne de Suède.

« Ceux arrivés il y a cinq ans ont choisi de vivre chez des membres de leur famille », remplissant ainsi les banlieues « plutôt que de se retrouver seuls dans le nord de la Suède », explique-t-elle. Détresse sociale, chômage, forte densité de population d’origine étrangère nourrissent relégation, décrochage scolaire, économie parallèle et, dernièrement, fusillades.

Culturellement homogène, le paisible royaume peut être une destination difficile pour des personnes venues d’un État déchiré par la guerre. Comment trouver un emploi à faible qualification, étape obligée à cause de la langue et des codes culturels, sur un marché du travail qui en compte très peu ? Pour certains, la Suède reste néanmoins le pays des possibles.

« Au début, cela a été très dur, notre vie était sens dessus dessous », confie en servant café et biscuits Majda Ibrahim, 38 ans. Séjours à l’hôtel avec obligation de pointage quotidien aux services sociaux, sous-locations au noir... Un chemin de croix avec un dénouement heureux. « C’est la première fois depuis sept ans que nous avons un vrai contrat de location », raconte Alia Daoud, sa fille de 16 ans, dans un suédois impeccable. Arrivée en 2013, la famille n’a attendu qu’un mois pour obtenir un permis de résidence de trois ans. « Aujourd’hui, nous avons tous la citoyenneté suédoise », sourit Majda, depuis le canapé de son trois pièces de Skogås, banlieue de Stockholm à forte population immigrée.

Nioucha ZAKAVATI,

avec Agathe HAREL/AFP

Leur arrivée en masse avait conduit la Suède à fermer la porte de l’immigration sur fond de poussée de l’extrême droite. Cinq ans plus tard, les Syriens cherchent toujours la clé de l’intégration, avec plus ou moins de bonheur. Arrivé à Malmö en 2015 en provenance de Damas, Abdallah Saleh, Palestinien né il y a 24 ans en Syrie, a décroché un premier emploi comme caissier au...

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