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Moyen-Orient - Éclairage

Syrie : le coronavirus, un invité de dernière heure

Dans les zones du régime, la population ne croit plus aux chiffres officiels des contaminations.

Syrie : le coronavirus, un invité de dernière heure

Des Damascènes masqués sur un marché, en mai 2020. Photo d’archives AFP

Quand Amina* est arrivée dans une clinique médicale d’Alep avec sa mère la semaine dernière, elle est tombée des nues. « Au moins 25 personnes attendaient pour se faire examiner, alors qu’elles savaient que le médecin n’a pas de test PCR », raconte cette jeune enseignante via WhatsApp. Sa mère, qui a contracté le Covid-19 en embrassant une voisine atteinte sans le savoir, a rapidement vu son état se dégrader à cause de poussées allergiques. Alors que les hôpitaux gouvernementaux sont saturés, elle espérait se faire prendre en charge chez un médecin de quartier. En vain. Amina a dû se résoudre à soigner sa mère à la maison, en écoutant les remèdes de grand-mère de voisins et de proches. « Ni les hôpitaux ni les pharmacies n’ont pu me donner assez de médicaments pour la remettre sur pied », se désole-t-elle. Dans les régions sous contrôle du régime, l’épidémie du coronavirus progresse à la vitesse grand V, malgré le déni des autorités qui s’évertuent à en cacher l’ampleur. Le gouvernement n’a finalement admis que le 22 mars qu’il se trouvait un premier cas sur le territoire, alors que les pays frontaliers étaient déjà touchés. Selon un décompte datant de lundi dernier par le média d’État syrien SANA, 2 280 cas de Covid-19 et 92 morts ont été recensés depuis le début de l’épidémie. « Rien que dans les quartiers chrétiens d’Alep par exemple, un prêtre en est mort ainsi que plusieurs médecins. On est désormais certains que les contaminés sont beaucoup plus importants que ce que les chiffres officiels veulent bien nous faire croire », dénonce François*, un habitant d’Alep. La situation serait désormais hors de contrôle, alors que le pays est en proie à une grave crise économique. De nombreux rapports et sources locales à Alep comme à Damas font état de nombreux cas surpassant les capacités d’accueil des hôpitaux.

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« Pourquoi devrais-je aller à l’hôpital ? Ils ne me donneront pas de place ni n’accepteront de me faire le test PCR gratuitement, il n’est disponible que pour les riches », déplore Loujain*, 42 ans. Cette Damascène refuse de mettre les pieds dans un hôpital de peur de contracter le Covid-19 une fois sur place. « Des milliers de personnes sont contaminées et notre gouvernement s’obstine à nous mentir. Même les précautions sanitaires minimales ne sont pas appliquées », dénonce-t-elle. Cette couturière d’un atelier de Damas a dû arrêter d’aller travailler et s’est isolée chez elle la semaine dernière après que trois de ses collègues eurent été déclarés positifs.

Sanctions internationales

Malgré ces quelques confidences, l’omerta règne. De nombreuses personnes, dont des médecins, ont refusé de parler à L’Orient-Le Jour craignant des représailles. Le journaliste Shadi Halwi, fervent défenseur du régime, a toutefois alarmé ses followers sur les réseaux sociaux en évoquant une hausse considérable de cas, notamment à Alep. La page Facebook de l’ordre des médecins a récemment posté les noms de 61 praticiens morts du coronavirus et le journal prorégime al-Watan a également fait état du décès de 14 avocats. Face aux critiques certes timides de la rue, les pro-Assad n’hésitent pas à mettre le blâme sur les sanctions internationales qui frappent le secteur de la santé. Et face au double discours des autorités et à une politique sanitaire assez légère, la population ne semble pas avoir pris la mesure de la situation. « Dans les rues d’Alep, je dirais que 20 % des gens seulement portent un masque. Moi je fais attention, je ne mange plus dans les restaurants, sauf en extérieur », raconte François. Des militants syriens ont mis en ligne sur les réseaux de nombreuses vidéos et photos montrant des personnes agglutinées devant des boulangeries ou devant des centres de tests PCR, sans respecter le port du masque ou la distanciation sociale. « Il ne faut pas oublier que malgré la peur du virus, nous ne pouvons pas rester à la maison, nous devons travailler pour vivre », raconte Amina qui fait des heures supplémentaires dans un centre aéré. Certains, comme la maman d’Amina, croient dur comme fer que le virus a été créé par les États-Unis pour vendre de « faux vaccins ». « Ils s’embrassent, se serrent la main, comme si de rien n’était, et se fichent de porter un masque, d’autant plus que ça coûte cher pour les foyers », poursuit Amina.

Des camps surpeuplés

Dans les zones sous contrôle de la rébellion, la situation est beaucoup moins inquiétante malgré le nombre de déplacés de tout le pays, vivant parfois dans des conditions extrêmement précaires. Selon un rapport de l’Office de coordination des affaires humanitaires (OCHA) publié la semaine dernière, 51 personnes atteintes de Covid-19 ont été identifiées, dont 23 cas à Idleb et 28 dans les gouvernorats d’Alep. « Dès le début de l’épidémie, nous avons lancé une campagne pour décontaminer les lieux publics, les marchés, les hôpitaux, les écoles, les lieux de culte et les camps. Nous avons également fait en sorte de sensibiliser les gens au virus en organisant des colloques et des visites sur le terrain », explique Moustapha el-Hajj, directeur des Casques blancs à Idleb. Le premier cas recensé dans la région, le 9 juillet dernier, a été celui d’un jeune médecin qui travaillait à la frontière turque.

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Avant cette annonce, la population n’avait pas pris en compte la dangerosité de la situation. « C’était terrifiant d’apprendre qu’il y avait un cas, parce qu’on pense tout de suite à un feu de forêt qui se propage avec tous ces gens qui vivent les uns sur les autres sous les tentes », raconte pour sa part Ali, de l’unité Covid de l’hôpital de Atmeh. Là-bas, pas d’engorgement dans les couloirs. Une tente d’isolement a été spécialement installée à l’écart pour pouvoir contrôler les patients. Les tests sont réalisés gratuitement et envoyés dans des laboratoires en Turquie. Les autorités sanitaires locales ont fait part la semaine dernière d’un premier décès lié au coronavirus. Il s’agit d’une déplacée de 80 ans, vivant dans un camp de la ville de Sarmada, qui souffrait d’une insuffisance rénale et d’une forte tension artérielle. Abou Mohammad, déplacé de Hama, dans un camp près de la frontière Ouest avec la Turquie, explique que le peu de cas répertoriés ne fait pas prendre conscience aux gens de la situation. « Malheureusement, sur les marchés et dans les lieux publics, la population vit comme si le virus n’existait pas », renchérit Moustapha el-Hajj.

*Le prénom a été modifié.

Quand Amina* est arrivée dans une clinique médicale d’Alep avec sa mère la semaine dernière, elle est tombée des nues. « Au moins 25 personnes attendaient pour se faire examiner, alors qu’elles savaient que le médecin n’a pas de test PCR », raconte cette jeune enseignante via WhatsApp. Sa mère, qui a contracté le Covid-19 en embrassant une voisine atteinte sans le...

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