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Lifestyle - La Mode

La communauté créative de Beyrouth touchée au cœur

Salués dans les plus grandes cérémonies, adulés par les célébrités, ils présentaient de leur pays l’image d’une nation qui mérite de vivre, qui apporte son écot à la beauté du monde. La plupart des créateurs de mode de Beyrouth étaient établis dans le secteur le plus touché par la déflagration.

La communauté créative de Beyrouth touchée au cœur

Hala Tayah avec Isabelle Adjani. Photo tirée de la page Instagram d’Isabelle Adjani

Dans le port de Beyrouth… Il y avait la communauté des créatifs de la ville, l’autre visage du Liban ignoré des autorités locales qui ne se sont jamais souciées de ce secteur de peu, cette industrie de la civilisation qui ne leur rapporte rien, enfoncées dans leurs tiraillements partisans, leurs petites haines communautaires, leurs mesquines stratégies pour piller ce qui peut l’être, leur souci d’écraser tel rival ou de convertir à leur culte imbécile tel réservoir de voix. Pendant ce temps, et à leur insu, créateurs de mode, concepteurs, designers, architectes, publicitaires faisaient rayonner ce pays parallèle à travers le monde. Salués dans les plus grandes cérémonies, adulés par les célébrités, ils présentaient de leur pays l’image d’une nation qui mérite de vivre, qui apporte son écot à la beauté du monde. Qui s’en étonne encore ? Dans le dernier gouvernement, culture et agriculture étaient attribuées au même ministre. Et voici que l’une tue l’autre. Ironiquement, le nitrate d’ammonium, un fertilisant, a rasé dans sa déflagration toute trace d’atelier, de showroom, de salle de partage et de réflexion. Ordinateurs, disques durs, archives, collections et puis ces vieilles demeures aux murs desquelles chacun puisait la force d’imaginer une ville douce, alanguie au bord de la Méditerranée, une ville qui se reconstruisait en songe malgré la défiguration inexorable que lui infligeait une corruption infiltrée dans chacune de ses fibres, favorisée par un régime qui a fait de cette pourriture son arme de domination…Tout a disparu.

La styliste Émilie Kareh dans une création Rym Beydoun ironiquement brodée des mots « On entre OK, on sort KO ». Photo DR

Hala Tayah : Isabelle Adjani « dévastée »

À part les dommages matériels souvent irréparables, les blessés ne se comptent pas. La mort a rattrapé la dessinatrice de bijoux Hala Tayah qui, tout aussi ironiquement, avait lancé le fameux pendentif aux contours de la carte du Liban, accompagné du slogan « Keep Lebanon close to your heart » (Garde le Liban près de ton cœur). En hommage, son amie la comédienne Isabelle Adjani a posté sur son compte Instagram une photo les montrant enlacées : « Elle vient de mourir sous les déflagrations. Elle laisse trois enfants. Je suis dévastée pour mes amis libanais. » L’un de ces enfants que la créatrice laisse orphelins avait des besoins spécifiques, et c’est l’une des raisons qui l’avaient poussée à cofonder l’association Open Minds qui continue à venir en aide à l’enfance en difficulté.

Rym Beydoun, gravement blessée

La créatrice de mode Rym Beydoun, favorite de la troisième édition de notre concours Génération Orient a eu plus de chance. La fondatrice de la marque Super Yaya, née à Abidjan et imprégnée de culture africaine, s’attachait à fusionner les cultures en créant du précieux avec du trivial, du somptueux avec du populaire. Elle a subi plusieurs fractures et un séjour en soins intensifs, et mettra sans doute du temps à renouer avec sa vie d’avant le fatal 4 août.

Dessin de J.-C. de Castelbajac en hommage à Beyrouth. Photo tirée de sa page Facebook

Azzi & Osta, triste inauguration

Le duo Azzi et Osta, tandem de brillants créateurs de mode qui avaient réussi à séduire Hollywood depuis Gemmayzé et dont la pop star Beyoncé arborait les robes avec une sensualité inégalée, venait de s’installer dans un nouveau décor, un petit complexe de maisons anciennes où se déployait, dans une atmosphère délicate et poudrée, une bulle de raffinement pastel, sans ostentation, qui protégeait le rêve des agressions du dehors. Les photos des destructions publiées sur le compte Instagram officiel Azzi&Osta se passent de commentaire. Les créateurs légendent sobrement : « Nous sommes profondément attristés et sans paroles devant l’immensité de la dévastation de l’explosion d’hier à Beyrouth. Notre cœur va à toutes les familles qui ont perdu un être cher, aux blessés et à tous les Libanais au cœur brisé face à l’intensité de la tragédie, au milieu d’une crise financière et d’une pandémie. La famille Azzi & Osta a été épargnée. Nous aurions aimé révéler notre nouvel espace dans d’autres circonstances, cette vidéo a été prise quelques instants après l’explosion dans ce qui était l’espace nouvellement inauguré de la marque. Notre résilience prévaudra toujours. »

Solidarité de l’industrie

À présent que le nuage se dissipe, que chacun recolle ce qu’il peut de son corps, de sa maison et de sa vie, chaque jour continue à apporter son lot de tristesse et de consternation. On a dit que Jean-Paul Gaultier avait consacré à Beyrouth une robe baptisée Mon cœur saigne. Vrai ou faux, cette robe existe. Elle fait partie de la collection haute couture printemps/été 2007 du génial créateur sur le thème des Vierges , dont le clou avait été une apparition de Madonna. La robe drapée, en mousseline ciel, est marquée par un cœur stylisé au niveau de la poitrine, dont part un flot de soie rouge qui se déverse jusqu’au sol.

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Jean-Charles de Castelbajac a, pour sa part, posté sur le compte Facebook, Les enfants de la Méditerranée, un dessin du drapeau frappé du cèdre avec l’inscription « Il ne cédra jamais », accompagnés de ce commentaire : « Le Liban ne #cédra jamais. Courage et solidarité pour le peuple libanais, aux habitants de Beyrouth…#NousSommesLibanais ».

Et cette solidarité de l’industrie envers la communauté des créatifs libanais s’est surtout exprimée très concrètement à travers, entre autres, sa réponse à la levée de fonds conduite par Eli Rizkallah, l’éditeur du magnifique magazine Plastik, qui a atteint cette semaine 90 000$.

L’injustice a voulu que ce soit la communauté du port, de Gemmayzé et de Mar Mikhaël, apolitique, non affiliée, révoltée comme chacun de ses innombrables semblables contre la classe politique et les partis en place, la seule qui portait sur ses épaules ce qui « fut un Liban des jardins comme il est une saison douce » (Nadia Tuéni), qui ait été la plus éprouvée par ce désastre. Et la résurrection de Beyrouth relève de sa propre résurrection.

Dans le port de Beyrouth… Il y avait la communauté des créatifs de la ville, l’autre visage du Liban ignoré des autorités locales qui ne se sont jamais souciées de ce secteur de peu, cette industrie de la civilisation qui ne leur rapporte rien, enfoncées dans leurs tiraillements partisans, leurs petites haines communautaires, leurs mesquines stratégies pour piller ce qui peut...

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