La Chambre des députés a tenu hier au palais de l’Unesco l’une de ses plus courtes séances (55 minutes). Dans la forme, il s’agissait pour les parlementaires de se réunir pour entériner l’état d’urgence décrété par le gouvernement (démissionnaire) à Beyrouth le 5 août, pour une période de deux semaines arrivant à expiration le 18 août, au lendemain de la double explosion qui a ravagé la capitale.
Mais, dans le fond, la séance d’hier a surtout été une occasion pour le président du Parlement Nabih Berry de poursuivre le règlement de ses comptes politiques avec le Premier ministre démissionnaire, Hassane Diab, et de faire passer à qui de droit le message selon lequel le Parlement, décrié par le mouvement de protestation du 17 octobre, est indétrônable.
À l’ouverture de la séance, M. Berry a sorti de son chapeau le lapin de la « théorie du complot » contre la Chambre. C’est ainsi qu’il a expliqué les démissions en série présentées la semaine dernière par des députés indépendants, et d’autres gravitant dans l’orbite de l’opposition, dans la foulée de la grogne populaire suscitée par le cataclysme du 4 août. « Les démissions (des députés) étaient un complot contre la Chambre pour que le gouvernement lui demande des comptes, et non l’inverse », a tonné le chef du législatif, se félicitant du fait que ce plan ait été « mis en échec ».
Le président de la Chambre adressait ainsi une pique contre Hassane Diab, avec qui ses rapports sont pratiquement rompus. Et pour cause : le Premier ministre démissionnaire avait (très) tardivement tenté de répondre favorablement à l’une des principales demandes du mouvement de contestation, en proposant pour calmer la colère de la rue après la tragédie du 4 août l’organisation de législatives anticipées. S’exprimant dans la foulée des affrontements entre manifestants et forces de l’ordre samedi au centre-ville, M. Diab s’était engagé à présenter au Conseil des ministres un projet de loi prévoyant la réduction du mandat de la Chambre (élue le 6 mai 2018) et la tenue de législatives anticipées, comme le veulent les contestataires, qui appelaient également au départ du cabinet Diab, dont ils contestaient la représentativité. Sans calmer la colère populaire, Hassane Diab a suscité l’ire de Nabih Berry, qui aurait alors lancé le processus de départ du cabinet en convoquant un débat de politique générale. La séance d’hier devait être consacrée à interroger le gouvernement au sujet de la tragédie du port. Sauf qu’avec la démission de l’équipe ministérielle, et pour ne pas faire marche arrière, le président de la Chambre s’est vu contraint de maintenir la séance, sous prétexte de donner lecture des démissions des députés et d’entériner l’état d’urgence à Beyrouth.
Bien au-delà des calculs relevant de la seule politique politicienne, les propos de M. Berry sont à analyser sous l’angle de leur timing, mais aussi du message qu’ils délivrent à la population en colère. Un peu plus d’une semaine après la double explosion, le pouvoir en place continue à faire sciemment la sourde oreille à la contestation, alors que la communauté internationale prend clairement fait et cause pour le peuple libanais qui accuse justement la classe politique de… « comploter » contre lui en manquant à ses devoirs, permettant à une telle catastrophe de se produire au lieu d’œuvrer pour l’éviter, comme l’avaient souligné plusieurs manifestants, samedi.
Après le président français Emmanuel Macron, c’est le secrétaire d’État adjoint américain pour les affaires du Proche-Orient, David Hale, qui s’est prononcé sur la question, tout comme le chef de l’Élysée, depuis le quartier dévasté de Gemmayzé. « Nous soutenons le peuple libanais et le (prochain) gouvernement devrait opérer des réformes », a-t-il affirmé.
Les démissions
Quoi qu’il en soit, le Parlement a approuvé les démissions de sept députés, à savoir : Samy Gemayel (Kataëb, Metn), Nadim Gemayel (Kataëb, Beyrouth), Élias Hankache (Kataëb, Metn), Paula Yacoubian (société civile, Beyrouth), Neemat Frem (Kesrouan), Henri Hélou (joumblattiste, Aley) et Michel Moawad (Zghorta).
Quant à Marwan Hamadé (joumblattiste, Chouf), premier à avoir décidé de claquer la porte du Parlement quelques heures après la tragédie du 4 août, le président de la Chambre a temporisé avant d’accepter sa démission, dans la mesure où il aurait imposé la poursuite en justice des présidents et ministres (concernés par l’affaire de la double explosion du port) comme condition à son départ, sachant que Bilal Abdallah, également député joumblattiste du Chouf, avait déclaré que son collègue était revenu sur sa démission et s’était absenté de la séance pour des raisons de santé. Mais la Chambre a fini par avaliser la décision de M. Hamadé. L’ex-député joumblattiste a par la suite publié un communiqué dans lequel il a assuré qu’il n’avait pas retiré sa démission et qu’il n’était pas malade. Interrogé par L’Orient-Le Jour, M. Hamadé explique le tollé suscité au palais de l’Unesco par ce qu’il appelle « les tentatives de certains groupes et collègues » de le dissuader, en vain, comme ce fut le cas avec plusieurs autres députés. Une allusion à la démarche entreprise par les Forces libanaises mercredi pour essayer sans succès de convaincre le chef des Kataëb, Samy Gemayel, de revenir sur sa démission, et celles de ses collègues Élias Hankache et Nadim Gemayel.
Si les FL n’ont pas claqué la porte de la Chambre, estimant que cela profiterait au pouvoir, elles ont boycotté la réunion parlementaire d’hier dans la mesure où « il n’est plus tolérable d’agir comme si la catastrophe du 4 août n’avait pas eu lieu », pour reprendre les termes d’un responsable FL. Il assure, toutefois, que son parti ne quittera pas les institutions, mais définira ultérieurement son mode d’action politique.
En dépit de l’absence de ses députés, Samir Geagea a réagi aux propos de Nabih Berry. « Ce n’était pas un complot, mais un exercice d’un droit naturel à tous les députés et groupes parlementaires, au vu de la situation actuelle. En tout cas, seules des législatives anticipées pourraient nous sauver », a-t-il écrit sur son compte Twitter à l’adresse de M. Berry.
À son tour, Michel Moawad a répondu au chef du législatif sur son compte Twitter : « Ce ne sont pas nous qui devons être accusés de comploter contre la Chambre. Le vrai complot réside dans l’insistance à plonger le Liban dans les conflits des axes, à s’abstenir de mener des réformes, à maintenir la logique du partage du gâteau et la corruption, à détruire les piliers de l’économie et à refuser de répondre aux appels à des législatives anticipées », a-t-il écrit, ajoutant : « Nous ferons face à ce complot. »
Les lois approuvées
Pour en revenir à la séance parlementaire, le président de la Chambre en a profité pour dresser une feuille de route pour la prochaine phase, prévoyant notamment l’édification d’un État civil, l’adoption d’une loi électorale loin des obstacles confessionnels et la formation d’un cabinet qui opérerait les réformes.
Le Parlement a en outre entériné l’état d’urgence sans modifications, en dépit des réserves formulées par Oussama Saad (Saïda) qui a exprimé des craintes quant à une répression et une interdiction des rassemblements populaires. Des appréhensions que M. Berry a calmées en assurant que l’armée n’a pas opté pour de telles pratiques et ne le fera pas. La Chambre a approuvé un texte exemptant les familles des victimes de la double explosion du port du paiement des taxes de succession, ainsi qu’une législation visant à suspendre les délais et une autre prévoyant le prolongement des délais légaux et contractuels, ainsi que la prolongation des dispenses des pénalités de retard et des intérêts sur les prêts.
Lors de leurs interventions, des députés du courant du Futur et du groupe Joumblatt ont demandé que l’enquête dans l’affaire du 4 août soit confiée à une commission internationale. Le Rassemblement démocratique prépare déjà une pétition parlementaire à cet effet.
commentaires (14)
Mais enfin soyons réalistes, la classe politique au Liban est faîte pour se faire de l’argent, beaucoup d’argent ! Pourquoi voudriez-vous donc que ces députés et autres criminels démissionnent ? Ils pensent toujours qu’il y a du pognon à se faire sur le dos du peuple libanais et sur celui des donateurs étrangers ou pas ! Alors savoir qui a fait quoi ne peut être important, d’emprisonner tous ces ministres, députés et autres pantouflards, interdire au Hezbollah à détenir des armes ne peut être que la priorité et la ligne à suivre.
TrucMuche
12 h 28, le 14 août 2020