Critiques littéraires

L’homme du siècle

2020 est l’année du général de Gaulle. Que l’on en juge : il est né en 1890, son fameux appel est lancé en 1940 et il meurt le 9 novembre 1970. Autant d’anniversaires qui justifient les livres paraissant aujourd’hui sur cet homme désormais unanimement respecté, même par d’anciens ennemis.

L’homme du siècle

© Yousuf Karsh

De Gaulle, l'homme du siècle sous la direction de Jean-Paul Bled, éditions du Cerf, septembre 2020.

Dans cette masse d’ouvrages, l’un d’eux, L’Homme du siècle, mérite toute notre attention autant par sa forme que par le fond. Dirigé par Jean-Paul Bled et regroupant la contribution de spécialistes, il se compose d’une vingtaine de chapitres, chacun d’eux abordant le général sous un aspect particulier. Les thèmes sont divers, fouillés et agréables à lire : sa formation intellectuelle, sa politique étrangère et économique, et même ses goûts à table. Au total, un kaléidoscope qui permet d’avoir une certaine idée de ce qu’était de Gaulle.

Rendons à César…

D’abord il y a deux de Gaulle : l’homme privé, profondément chrétien de par son éducation et sa formation, et qui ne manque pas une messe. Conservateur, il éduque ses enfants dans la tradition, ce qui ne l’empêche pas d’être aimant, en particulier pour sa petite Anne, handicapée, qu’il entoure jusqu’au bout d’amour, et qu’il considère comme une « grâce de Dieu dans (sa) vie ».

Et il y a l’homme public, le rebelle contre l’ordre établi, l’initiateur d’une politique arabe audacieuse, et l’auteur du rapprochement avec l’URSS porteuse d’idéaux qui ne sont pas les siens (et que, prophète, il sait condamnés). Dans ses fonctions, il ne communie jamais, se considérant comme le représentant de tous les Français. Il est profondément laïc. « C’était un homme, écrit Philippe de Saint Robert, qui acceptait les valeurs autres que les siennes, mais non l’absence de valeurs. »

Jamais, il ne se laisse emporter par ses convictions, s’enrichissant par le dialogue et la contradiction pour autant qu’ils soient intelligents. Un jour, se remémorant le passé, il aura ce mot étonnant qui le résume : « J’ai su que j’aurais à compter avec cet homme, le général de Gaulle. Je devins presque son prisonnier. » Le général se considère comme l’instrument du destin au service de la France pour laquelle il éprouve un amour constant, cette France dont il connaît parfaitement l’histoire et qui, à ses yeux, n’existe que dans la grandeur. Quoiqu’il soit habité par le passé, il est résolument moderne dans ses fonctions officielles, développant l’aéronautique, le nucléaire, tout cela pour cette « grandeur » qu’il veut pour son pays. Oui, de Gaulle, dès lors qu’il s’incarne dans la France, cesse d’être lui-même, conscient qu’il faut séparer la politique de l’idéalisme religieux qui l’habite.

Un idéaliste pragmatique

Conséquence de cette capacité de dédoublement, de Gaulle sait changer d’opinions. Il s’adapte, dès lors que la France y gagne. Il écrit : « La politique, c’est l’art des possibilités, elle n’est pas une construction de partisan ou bien alors toute base lui manque. » C’est ainsi que l’homme du 18 juin, favorable à un émiettement définitif de l’Allemagne, se rapproche d’Adenauer et fonde la future Europe. De même, comprenant que l’idée coloniale est obsolète, il décide l’indépendance de l’Algérie et de l’Afrique noire avec laquelle il saura conserver des liens puissants dans l’intérêt de la France. En matière économique, il est interventionniste, tout en associant, quand il le peut, les entreprises privées. Son acceptation du capitalisme ne l’empêche pas de lancer la participation des salariés au capital, toujours soucieux, en toute matière, d’inaugurer une « troisième voie » qui sera d’ailleurs la clé de voûte de sa politique étrangère.

Un amoureux du Liban

Les liens du Général avec le Levant sont largement analysés dans L’Homme du siècle, d’une part dans le cadre de la « politique arabe globale » qu’il poursuit de 1958 à 1969, et qui passe par un soutien inattendu aux Arabes (au détriment de ses relations pourtant fortes avec Israël), et d’autre part, plus précisément, avec le Liban, dans un chapitre écrit par Alexandre Najjar, où celui-ci rappelle l’affection que portait le général pour ce pays en raison, certes, de son séjour à Beyrouth (1929-1931), mais aussi de l’histoire du Liban, terre chrétienne toujours protégée par la France, fait que lui, l’historien chrétien, ne pouvait négliger. Aussi, face au bombardement de l’aéroport de Beyrouth, sa réaction contre Israël sera-t-elle vive et concrète. Il aura aussi une influence bienveillante sur la politique suivie par le président Chéhab.

Le général de Gaulle avait sans doute des défauts et ce livre n’en parle pas. Ce n’est pas grave. La perfection n’est pas de ce monde. Il le savait bien, lui qui, à titre privé, était fort modeste. On ressort de cette lecture, fasciné par l’ampleur du personnage. Oui, il a bien été « l’homme du siècle » pour la France.

Hervé Bel

De Gaulle, l'homme du siècle sous la direction de Jean-Paul Bled, éditions du Cerf, septembre 2020. Dans cette masse d’ouvrages, l’un d’eux, L’Homme du siècle, mérite toute notre attention autant par sa forme que par le fond. Dirigé par Jean-Paul Bled et regroupant la contribution de spécialistes, il se compose d’une vingtaine de chapitres, chacun d’eux abordant le général...

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