Un peu plus de deux mois après leur coup d’envoi, les négociations entre le Liban et le FMI pour le déblocage d’une assistance financière afin de contribuer à redresser le pays, en crise, n’ont enregistré « aucune avancée ». C’est ce qu’a souligné vendredi soir la directrice générale de l’organisation de Bretton Woods, Kristalina Georgieva, interrogée par la chaîne panarabe al-Jazeera, alors que la dernière réunion entre les négociateurs libanais et l’institution remonte au 10 juillet et qu’aucune date ferme n’a encore été fixée pour le prochain rendez-vous.
Si la dirigeante a bien assuré que le FMI restait « engagé » aux côtés du Liban, elle a toutefois répété qu’il n’y aurait pas d’issue possible sans réformes et appelé les Libanais à « travailler sur une vision commune (…) en vue d’un rééquilibrage économique » – une référence au plan de redressement établi par l’exécutif, qui est rejeté par une partie de la classe politique, les banques et la Banque du Liban.
Mais les parties prenantes libanaises ne semblent, elles, pas encore disposées à se plier à l’injonction du fonds. Comme l’ont déjà confirmé plusieurs sources concordantes, des tractations sont en cours pour amender le plan, de façon à « atteindre un compromis » acceptable aussi bien pour le FMI, qui est aligné sur l’évaluation des pertes établie par l’exécutif et veut voir une partie des réformes être lancées avant de débloquer le moindre sou, que pour ceux qui, au Liban, sont hostiles à certaines exigences imposées par l’institution.
Réunions « intensives »
Dans son point de presse samedi à Dimane, le Premier ministre a lui-même annoncé que des réunions « intensives » allaient avoir lieu cette semaine pour établir un plan qui « prendra en considération les points de vue de la BDL, des banques, du ministère des Finances et de l’exécutif ». Pour un expert, « le fait que le chef du gouvernement fasse la distinction entre l’exécutif et le ministère des Finances, dirigé par Ghazi Wazni, qui est proche du président du Parlement Nabih Berry, en dit long sur le rapport des forces en présence ».
Il rappelle en outre que l’équipe de négociateurs libanais qui discute avec le FMI est pilotée par Ghazi Wazni et que le président du Parlement s’est déjà publiquement opposé à l’adoption d’une loi de contrôle de capitaux devant réguler les restrictions bancaires complètement arbitraires – et illégales – que subissent les Libanais depuis près d’un an. Or l’adoption d’un tel texte fait partie des prérequis incontournables imposés par le FMI, comme l’a rappelé il y a exactement une semaine le vice-directeur du département Moyen-Orient et Asie centrale de l’organisation, le Grec Athanasios Thanos Arvanitis. L’équipe des négociateurs libanais a, elle, été déjà désertée par deux de ses membres, Henri J. Chaoul, financier membre du collectif Kulluna Irada, et Alain Bifani, ancien directeur général du ministère des Finances, qui ont tous les deux dénoncé l’absence de volonté politique pour la mise en œuvre des réformes attendues.
Plan Libank/Chikhani
C’est donc dans ce contexte a priori très défavorable, le FMI ne semblant pas disposé à mettre de l’eau dans son vin, que le scénario d’un nouveau « compromis acceptable » continue de se dessiner. Aucune information définitive n’est disponible concernant les contours de cette solution alternative, qui est supposée remplacer celle présentée en mai par l’Association des banques du Liban (ABL) et qui n’a pas plus convaincu le FMI que l’évaluation revue à la baisse des pertes du Liban effectuée quelques semaines plus tard sous la supervision des députés – également alignée sur le secteur bancaire et la BDL.
Mais selon une source financière, une partie des nouvelles pistes proposées s’inspireraient d’un autre plan alternatif, publié celui-ci en juin et élaboré par Levant Investment Bank (Libank) et l’expert financier Nicolas Chikhani. « Les propositions dégagées dans ce plan ont été présentées à la BDL, l’ABL et même au ministère des Finances, qui ont tous manifesté leur intérêt. Il est très possible que plusieurs d’entre elles soit retenues dans le compromis que les négociateurs tentent de trouver pour revenir vers le FMI avec une position unifiée », souligne la source précitée. En bref, le plan Libank/Chikhani (dont L’Orient-Le Jour détaillera les grands axes cette semaine) adopte globalement la même évaluation des pertes que l’exécutif, mais propose d’autres moyens pour les traiter, avec l’objectif affiché de limiter au minimum la nécessité de piocher dans les dépôts bancaires, selon ses auteurs.
Au-delà du contenu du plan, la première étape pour les promoteurs de cette nouvelle tentative d’amadouer le FMI va sans doute consister à convaincre les conseils de l’exécutif de l’appuyer. Quelques heures avant l’intervention de Kristalina Georgieva, Reuters indiquait en effet, en citant des sources proches du dossier, que le cabinet Lazard, mandaté par l’exécutif fin février aux côtés de Cleary Gottlieb Steen & Hamilton LLP pour l’épauler dans le processus de restructuration de la dette publique du pays, allait envoyer un représentant au Liban. Mais selon deux autres sources que nous contactions le même jour, Lazard, qui a largement contribué à la rédaction du plan de redressement initial, ne serait pas disposé à approuver le « compromis » préparé.
Enfin, pendant que les dirigeants s’affairent encore à convaincre le FMI de les aider en minimisant autant que possible les engagements de réformes réclamées depuis des années par les soutiens et les créanciers du Liban, les conditions de vie des Libanais continuent de s’aggraver. Le sort de la parité dollar/livre, qui détermine le niveau d’inflation, reste plus que jamais entre les mains du marché noir (8 400 livres en moyenne pour un dollar vendredi dernier, selon LebaneseLira.org, un niveau passablement stable en fin de semaine).
commentaires (11)
C'est dans l'ADN de ces marchands de paillasses.
Christine KHALIL
22 h 08, le 20 juillet 2020