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Idées - Contestation

Comment maintenir l’espoir de changement ?

Comment maintenir l’espoir de changement ?

Des Libanais débattent sous une tente sur la place al-Nour, dans le centre de Tripoli, le 27 novembre 2019. Archives AFP

Le pouvoir ne se transmet pas sans confrontation ni véritable combat. Les chefs politiques confessionnels et seigneurs de guerre qui ont tué dans tout le pays pendant un conflit de 15 ans, se sont amnistiés et ont, depuis lors, gouverné et exploité le Liban ne se réveilleront pas un jour convertis de cœur et d’esprit. Ils ne feront pas davantage leur mea culpa et n’assumeront pas la responsabilité d’avoir détruit la vie de leur peuple et pillé toutes les ressources de ce pays.

Face à eux, nous luttons pour survivre. Cependant, depuis plusieurs années, les citoyens de ce pays ont commencé à exiger plus que la simple survie et à défier le système, les institutions et ceux qui les contrôlent. Cultivant l’espoir d’avoir enfin une voix au chapitre, nous cherchons l’émergence d’une nouvelle politique à même de concrétiser cet espoir de changement. J’oscille ici entre la 1re et la 3e personne du pluriel parce qu’en tant que militante et universitaire, j’ai aussi bien participé à la création de groupes politiques que consacré du temps à réfléchir et à écrire sur les stratégies politiques et les mouvements sociaux. Si les origines de la formation de ces groupes remontent au retrait des troupes syriennes de 2005, ce sont surtout les manifestations autour de la crise des déchets de 2015, l’expérience électorale de 2018 et la révolution d’octobre dernier qui ont façonné l’émergence de mouvements politiques plus organisés.

L’enjeu du leadership
Par « mouvements politiques », il faut ici entendre l’ensemble des groupes organisés ou informels disposant d’un large éventail de moyens et de mécanismes pour remettre en cause les politiques confessionnelles, corrompues et patriarcales qui façonnent nos vies depuis la fin de la guerre civile. Une première catégorie regroupe l’ensemble des rassemblements politiques, organisés ou semi-organisés qui veulent accéder au pouvoir à travers le Parlement et ont déjà participé, ou prévoient de participer, à des listes électorales.

Tribune

Soutenir les aspirations des Libanais

D’autres groupes tentent de leur côté de contester le système en s’attaquant notamment aux structures sociales et constitutionnelles sur lesquelles il s’appuie. C’est par exemple le cas des syndicats alternatifs récemment organisés qui cherchent à remédier aux inégalités structurelles et à mobiliser les travailleurs afin qu’ils revendiquent leurs droits fondamentaux et obtiennent un siège à la table des négociations. Un autre ensemble d’organisations choisit, lui, le contentieux juridique en œuvrant à l’ouverture d’enquêtes judiciaires sur des dossiers de violence et de corruption. Il y aussi ceux qui analysent le système sous le prisme du genre et tentent de faire en sorte que les femmes aient leur mot à dire dans la politique qui façonnera leur vie. D’autres groupes, souvent dirigés par des étudiants et de jeunes citoyens, ciblent l’éducation publique que les politiciens leur ont volée et ont cooptée pendant des décennies. D’autres encore ont créé de nouvelles plateformes médiatiques axées sur la liberté d’expression et le droit à la critique afin d’en faire des points d’entrée pour le processus de sensibilisation politique et d’engagement citoyen. Il y en a beaucoup d’autres, mais en général, ces groupes peuvent tous être considérés comme « politiques » dans la mesure où ils formulent tous des exigences destinées à ébranler les piliers du système et que la satisfaction de l’une ou l’autre de ces demandes entraînerait déjà un changement de nature politique.

Ces mouvements ou groupes sont toutefois confrontés à au moins deux problèmes de taille. Le premier est externe et bien connu : un régime oppressif, violent, corrompu, patriarcal et sectaire qui traque les individus, les arrête, voire en assassine certains en toute impunité, comme ce fut le cas pour Ala’ Abou Fakhr et Fawaz al-Samman. Le second est interne : actuellement, ce sont principalement les réseaux sociaux, les expériences spontanées et les relations interpersonnelles qui influencent la capacité des militants à travailler ensemble et à engager les citoyens dans le processus de construction d’un collectif. Cependant, cette expérience accumulée ne comble pas un certain manque de vision et de leadership – non en tant que structure de commandement centralisé en tant que telle, mais plutôt comme capacité d’établir la confiance avec les citoyens et de créer des systèmes de représentation participatifs et inclusifs. Autrement dit, chacun de ces groupes, qu’il soit dirigé par des étudiants, des électeurs ou des réformistes, doit construire un processus dans lequel les citoyens participent à la définition de leur programme et prennent part à leur mobilisation.

La révolution d’octobre a constitué un véritable tournant dans la mesure où elle a été plus importante que tous ces groupes réunis. Mais passer de la contestation de rue à une mobilisation structurée et institutionnalisée visant à remettre en cause le système exige que les masses soient incluses dans le processus d’élaboration des revendications et des stratégies, et de hiérarchisation des priorités. Or, jusqu’à présent, ces mouvements alternatifs n’ont globalement pas réussi à passer le cap séparant un groupe d’activistes composé en majorité de membres d’une certaine élite urbaine à une plate-forme politique nationale.

Participation
Aucun de ces groupes ne peut promettre être en mesure de bâtir quoi que ce soit, et encore moins se présenter aux élections, sans disposer d’une base de soutien qui lui accorde sa confiance et fonde sa légitimité. Les gens savent ce qui est bon pour eux, ils sont rationnels et retireront leur soutien à ce système s’ils entrevoient un avenir viable. Notre responsabilité est de construire ensemble une vision viable pour l’avenir, une vision qui puisse s’opposer et résister aux coups que les politiciens lui porteront.

Commentaire

Révolution d’octobre : Échapper enfin à la répétition des traumatismes ?

La tâche qui nous attend n’est pas impossible, la révolution l’a rendue réalisable, à condition que nous créions immédiatement des mécanismes de consultation permettant la participation de citoyens de tous âges, classes sociales et lieux de résidence.

Il faudra aussi décentraliser le processus de définition des programmes : le fait d’avoir pensé le changement dans les cafés, bars et universités de Beyrouth ne fait pas de nous les gardiens du processus. Et les citoyens doivent être en mesure d’identifier les lois qu’ils veulent voir changées, tout comme les personnes qu’ils veulent voir chargées de cette mission.

Il faudra enfin s’attendre à une intensification de la riposte. Si nous voulons sérieusement changer le système, nous devons nous attendre à des représailles brutales : des gens sont déjà morts, ont perdu un œil, sont allés en prison, se sont fait tabasser ou ont été licenciés pour s’être présentés à une manifestation. Il faudra donc nous prémunir contre les dommages physiques, la lassitude et le sentiment d’échec en créant notamment de larges coalitions à l’intérieur et à l’extérieur du Liban.Beaucoup d’entre nous ont encore de l’espoir, mais le problème avec l’espoir est qu’il prend beaucoup de temps pour se forger et que s’il s’efface, il ne revient presque jamais comme avant. L’ensemble des groupes issus de la contestation ont encore une opportunité de prendre part à l’édification d’un Liban postrévolutionnaire. Pour y parvenir, ils doivent trouver des moyens de développer des structures internes solides qui les protègent contre les risques de chamailleries et d’autosatisfaction. Les enjeux sont désormais trop importants et les partis politiques confessionnels profitent déjà de leurs faiblesses pour arracher aux gens le dernier espoir qui leur reste. Ayant déjà franchi le cap séparant la survie de l’espoir, il nous reste à trouver comment préserver ce dernier et faire en sorte que le changement devienne réalité.

Ce texte est aussi disponible en anglais et en arabe sur le site du Lebanese Center for Political Studies.

Par Carmen GEHA

Professeure assistante d’études politiques et d’administration publique à l’AUB. Membre fondatrice de Beirut Madinati et membre du Comité national pour les femmes libanaises.

Le pouvoir ne se transmet pas sans confrontation ni véritable combat. Les chefs politiques confessionnels et seigneurs de guerre qui ont tué dans tout le pays pendant un conflit de 15 ans, se sont amnistiés et ont, depuis lors, gouverné et exploité le Liban ne se réveilleront pas un jour convertis de cœur et d’esprit. Ils ne feront pas davantage leur mea culpa et n’assumeront pas la...

commentaires (5)

Je partage beaucoup de ces idées, mais moins celles de tout balayer. Notre pays est et reste clanique. On peut le déplorer, mais c’est ainsi, et ceci ne changera que par l’éducation. C’est un travail de long terme. En attendant, on doit s’appuyer sur le système existant, en privilégiant ceux qui ont fait plus de chemin que d’autres sur la voie du progrès. Je pense tout d’abord au BN, mais aussi aux FL et à Sami Gemayel, aux opposants chiites courageux aux Rifi et Baha etc. Kellon yaani kellon n’est pas réaliste. Si nous voulons que les choses changent, c’est d’une évolution dont on a besoin plus que d’une révolution. Nous devons être pragmatiques.

Bachir Karim

13 h 17, le 02 août 2020

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Commentaires (5)

  • Je partage beaucoup de ces idées, mais moins celles de tout balayer. Notre pays est et reste clanique. On peut le déplorer, mais c’est ainsi, et ceci ne changera que par l’éducation. C’est un travail de long terme. En attendant, on doit s’appuyer sur le système existant, en privilégiant ceux qui ont fait plus de chemin que d’autres sur la voie du progrès. Je pense tout d’abord au BN, mais aussi aux FL et à Sami Gemayel, aux opposants chiites courageux aux Rifi et Baha etc. Kellon yaani kellon n’est pas réaliste. Si nous voulons que les choses changent, c’est d’une évolution dont on a besoin plus que d’une révolution. Nous devons être pragmatiques.

    Bachir Karim

    13 h 17, le 02 août 2020

  • Des phénomènes fâcheux dont souffre toute une population aujourd hui ... Catastrophe Sanitaire ... Économique ... Sociale et j en passe ... Et certains Responsables politiques s amusent toujours en cour de récréation à se rejeter la balle des responsabilités et se montrer du doigt à la recherche du Bouc émissaire soi disant qui dégagerait leurs consciences des crimes commis par le passé ... Quand au nouveaux venus dans cette classe , l un d eux qui a ce jour possédait toutes nos considérations et respects , Pour prouver Qu il plonge corps et âme dans sa besogne , ne trouvera pas mieux que d émettre un communiqué , je dirai même plus , une bourde de la part de son ministère signée par ses bons soins et qui enflera et attisera les dissensions entre les libanais de l étranger pour les diviser encore plus alors que le Liban aujourd hui en a le plus besoin pour assurer sa survie ... N avait il pas mieux à faire ???.... Une incompétence et une irresponsabilité sans pareil pour tenter de démolir une telle assurance ?? Vous en jugerez vous même le temps venu ...

    Menassa Antoine

    09 h 16, le 23 juillet 2020

  • puisque tout est identifié ,il reste à organiser;oui ,c'est un travail de longue haleine qui ne requiert pas un leader ,un grand roi dictateur ,mais une prise de pouvoirs locaux unifiés qui vont dans le sens du bien etre général; élections ,bien sur,cela va sans dire pour un peuple qui se veut démocratique;attention aux soi disant sauveurs,leurs intentions sont très douteuses;J.P

    Petmezakis Jacqueline

    09 h 45, le 19 juillet 2020

  • SEUL L,EMERGENCE D,UN GRAND LEADER POPULAIRE APTE A GAGNER LA CONFIANCE DES MASSES ET A LES DIRIGER EST SUSCEPTIBLE D,IMPOSER UN CHANGEMENT RADICAL ET DEFINITIF ET DE CHASSER LES CLIQUES DE MAFIEUX QUI GOUVERNEMT ET DEVALISENT CE PAYS DEPUIS DES DECENNIES AVEC L,ACTUEL SEXENNAT LE PIRE DE L,HISTOIRE. QUI EST CE CHAMPION QUE LES MASSES ATTENDENT DE LES MENER ?

    LA LIBRE EXPRESSION

    06 h 53, le 19 juillet 2020

  • Le changement ne peut se faire de l'intérieur tant qu'il y a des interférences externes qui font bouger leurs substituts internes. Depuis cinquante ans, les libanais sont victimes des guerres des autres qui les utilisent bon gré malgré.

    Esber

    06 h 30, le 19 juillet 2020

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