L'ambassadeur de France à Beyrouth, Bruno Foucher, a fait part lundi de son inquiétude pour le Liban, dénonçant le manque de réformes dans le pays et assurant que ce dernier n'avait pas "de plan B" et qu'il devait discuter avec le Fonds monétaire international (FMI).
"Quand nous voyons le Liban sombrer de cette façon, nous sommes inquiets, a déclaré M. Foucher lors d'une interview sur la LBCI. Cela fait trois ans que je suis ici et que je parle d'urgence, de nécessité de réformes et nous n'avons pas avancé substantiellement dans cette voie. Il y a tout à fait de quoi être frustré".
Lorsque le journaliste Albert Kostanian lui demande si les interlocuteurs avec qui il se réunit sont conscients de la gravité de la situation, le diplomate répond : "Quand on leur parle, on a l'impression qu'ils sont conscients de cette urgence mais les débats politiques internes font qu'il y a toujours un caillou qui empêche d'avancer. Nous avons des coupures (d'électricité, NDLR) toutes les deux heures, ce n'est quand même pas normal pour un pays développé comme le Liban que de dépendre de la mise en route des générateurs. Des industriels sont au bord de la faillite. Ce sont des signaux que je fais remonter à Paris".
"Il y a un bilan qui n'est pas bon du tout. C'est pour cette raison que nous avons encouragé le Liban à s'adresser au FMI. Alors qu'il y a eu 16 ou 17 réunions à ce jour, ça ne progresse pas. Et ça ne progresse pas sur des choses tout à fait préliminaires, à savoir l'état des comptes de ce pays, l'état des pertes. Il n'y a pas de plan B, il faut discuter avec le FMI. Il faut rentrer dans le corps du sujet", a lancé M. Foucher affirmant que les choses n'avancent pas "pour des raisons politiques, pour des raisons constitutionnelles, ..."
Dans ce cadre, l'ambassadeur a précisé que la France n'a pas "endossé le plan du gouvernement. On a toujours considéré que c'est une bonne base pour les négociations avec le FMI".
"Le FMI est patient, il y a des réunions techniques, le FMI a posé des conditions sur la table et il attend que la position libanaise se concrétise autour d'une ligne commune et constante. Pour l'instant le plan de sauvetage du gouvernement n'est soutenu qu'à la marge et cela n'est pas suffisant pour s'engager dans un vrai programme pour le Liban", a expliqué M. Foucher. Le FMI a d'ailleurs mis en garde lundi le Liban contre le coût du retard dans l'adoption de réformes et les tergiversations qui font piétiner les négociations depuis deux mois.
Les réformes "avancent trop doucement"
Au sujet des réformes que le Liban doit entreprendre, M. Foucher a relevé que "les choses avancent trop doucement". Il a cité en exemple le domaine de la justice. "Ce n'est pas un problème économique ! La nomination des juges et la réforme de la justice, ce sont des choses sur lesquelles on peut avancer et qui donnent des signaux positifs. Ces signaux, on les attend", a-t-il dit.
Selon l'ambassadeur, il "y a deux catégories de réformes à faire : des réformes économiques, et des réformes de transparence et de bonne gouvernance". L'électricité figure selon lui en tête des priorités. "Il est urgent de pouvoir créer un véritable service public qu'est l'électricité", a-t-il souligné.
Interrogé sur le devenir de la Conférence économique pour le développement par les réformes et avec les entreprises (CEDRE), il a affirmé qu'elle n'est "pas mise de côté". "Mais elle dépend d'un programme avec le FMI parce que les entreprises internationales qui voudraient venir investir au Liban vont attendre que le pays restaure sa signature, a-t-il dit. Le Liban est un petit pays. Il suffit de quelques grands contrats qui seraient rapidement mis en oeuvre pour que la conjoncture s'inverse". "La CEDRE va créer de la croissance profonde parce que c'est de la croissance économique qui s'appuie sur de l'emploi et de l'activité. Elle n'est pas dépassée", poursuit M. Foucher.
Il a en outre regretté que la population libanaise paie "tous les jours" le prix de l'incurie de ses gouvernement. "La monnaie est en train de s'effondrer progressivement même si on dit qu'on va mieux réguler le marché du change. Le fait est que quand il faut acheter quelque chose, il faut passer par le dollar", a-t-il dit.
Sur la possibilité que la France et l'Union européenne débloquent une assistance humanitaire d'urgence, l'ambassadeur français a répondu par l'affirmative. "C'est quelque chose que nous sommes en train de décliner dans un certain nombre de programmes que nous sommes en train d'opérationnaliser en faveur de certains secteurs qui sont pour nous tout à fait essentiels", a-t-il indiqué.
Les aides aux écolesL'ambassadeur s'est longuement exprimé sur le Programme de soutien promis par la France aux écoles libanaises. "C'est un soutien fort de l'Etat français qui est à la mesure de l'inquiétude que nous avons pour l'avenir de ce pays. Nous en sommes venus à décider de soutenir ces écoles qui constituent le coeur de notre présence séculaire dans ce pays. Nous allons permettre aux établissements d'avoir accès à des prêts à taux zéro, fournir des aides aux familles libanaises et travailler à aider ces écoles à déterminer leur modèle économique. Très souvent, ces établissements fonctionnent sur des systèmes structurellement déficitaires. Je pense qu'il faut regarder avec eux comment s'assurer que l'avenir sera meilleur", a-t-il expliqué.
"Une autre mesure relative à un fonds concerne les écoles chrétiennes, a révélé M. Foucher expliquant qu'au Liban, les écoles chrétiennes représentent 337 des 2854 écoles. "Nous allons donc les aider en terme de structure. C'est une aide qui sera renouvelable d'année en année", a-t-il promis. Sur le soutien de la France aux universités, le diplomate a rappelé que l'Université Saint-Joseph bénéficie déjà une aide de la France.
Par ailleurs, M. Foucher a indiqué que "le mouvement (de protestation populaire, ndlr) qui est né le 17 octobre 2019 et qui était tout à fait spontané exprimait un malaise profond (qui) ne s'est pas dissipé". "Je pense que des résultats ont été obtenus, un gouvernement a démissionné, un nouveau cours a commencé et les Libanais doivent être exigeants avec leur gouvernement. Ca ne va pas s'arrêter, et l'exigence qu'ont les Libanais envers leurs dirigeants va continuer à s'exprimer tous les jours. Tout le monde manifeste son mal-être et ce mal-être doit être entendu".
Interrogé sur l'expansion chinoise au Liban et dans la région, M. Foucher a assuré que la France "considère la Chine comme un partenaire et qu'elle peut parfaitement contribuer au développement au Liban".
Lors de son interview, M. Foucher a aussi tenu à féliciter l'armée libanaise pour le travail qu'elle a accompli et affirmé qu'il s'agit d'une "institution tout à fait indispensable à l'existence même de l'Etat. C'est la raison pour laquelle nous nous intéressons à sa pérennité". Questionné sur le renouvellement du mandat de la Force intérimaire des Nations unies (FINUL) au Liban, il a assuré que celle-ci "remplit son mandat et à ce titre ce mandat mérite d'être étendu".
Pour finir, l'ambassadeur a lancé un appel aux Français au Liban : "Ne quittez pas, restez ici. Nous allons travailler pour que les choses s'améliorent".
LA PARISIENNE: La réalité du Liban n'est pas celle des analyses du FMI ou de Paris: L'"ETAT du Liban" n'existe pas au sens démocratique du terme: C'est un mélange de gérontocratie, de théocratie , de tribalisme, de clanisme , de clientélisme et de groupes d'intérêts privés. Par exemple, la Banque Centrale Libanaise est "privatisée", aux mains d'intérêts privés Le secteur énergétique est aux mains de l'épicier du coin qui vend au voisinage l'électricité de son générateur privé. Les hôpitaux publics sont marginalises et la Sécurité sociale inexistante. L'armée se partage le territoire avec une milice étrangère, le Hezbollah L'Egypte qui fut dans la même situation il y a plusieurs décennies s'en était sorti avec un coup d'Etat militaire et une gigantesque aide financière internationale. Les Libanais attendent une véritable REVOLUTION, pas des "réformes", et pas celle de la puissance nucléaire dominatrice des Mollahs.
11 h 44, le 15 juillet 2020