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Nos Lecteurs ont la Parole

L’hymne à l’espoir

La génération de la guerre avait trouvé un remède contre le chaos. Lorsque tout semblait lui échapper le jour, il lui restait encore... la nuit. Très vite, les enfants des Cèdres en prirent le contrôle et en devinrent, aux quatre coins du monde, naturellement, instinctivement, les « rois ». Oui... la fête était tout simplement leur instinct de survie. Elle leur permettait de taire les décibels de la guerre pour mieux entendre la paix qu’ils espéraient. Elle les transcendait pour les porter là où il leur était interdit d’aller. Elle les transportait la nuit dans le futur dont ils n’osaient plus rêver.

Mais depuis plusieurs mois, le peuple le plus festif du monde n’arrive plus à trouver de palliatifs pour résister. Ses blessures sont de plus en plus profondes. De plus en plus douloureuses. Et aucun remède ne semble guérir les maux qui paralysent leur pays au plus profond de son être. Il ne veut plus s’enfermer la nuit pour oublier l’obscurité. Il veut juste en sortir. Il a besoin de lumière.

Alors, le 5 juillet de cette année de plus en plus sombre, notre pays a décidé d’illuminer le visage de ses enfants des plus beaux rayons de l’une de ses cités. Celle du Soleil. Oui... ce soir, pour eux, Baalbeck a rayonné de manière inégalée depuis que le festival qui porte son nom a été créé. Car cette année, celui-ci est animé de la force la plus lumineuse du Liban : celle de la résilience. Cette force, portée par les notes de notre orchestre philharmonique et les voix de nos meilleurs choristes, a traversé la planète à la vitesse de la lumière à 21 heures, heure de Beyrouth.

Il est 14 heures chez nous. Face aux pixels de l’irréel, nous nous levons pour écouter notre hymne national, les larmes aux yeux. Oui... au sein du temple de Bacchus, sur un parterre rouge vif, le cœur de notre pays malade, essoufflé et affamé, s’est remis à battre. Dans un élan de résistance et de générosité dont lui seul a le secret, notre Liban a réussi à traverser les océans, les mers et les terres pour rassembler entre ses ruines millénaires tous ses enfants dispersés au gré du vent. Pour eux, il a fait chanter les pierres de Jupiter dans le patrimoine de l’humanité. Pour eux, il a refait monter sur scène l’orchestre de Pittsburgh, de New York, de Milan, de Berlin, l’opéra ballet de Stuttgart, celui de Paris, Oum Kalsoum, les frères Rahbani, Feyrouz, Angela Gheorghiu, Roberto Alagna, Placido Domingo... Oui... pour eux, il veut encore partager ce qui lui reste de plus beau. Et il veut porter le plus loin et le plus haut possible le seul hymne qu’il ait encore la force de chanter : l’hymne à l’espoir.

Ce soir, mon Liban, à 9 000 kilomètres de toi, nous avons été bouleversés par les notes de ta voix unique, singulièrement plurielle, déterminée à rester éternelle. Ces mêmes notes qui nous ont permis à nous, les enfants de la guerre, tes enfants, de surmonter toutes les haines, tous les crimes, tous les clivages qui font désormais partie intégrante de notre héritage tout comme ce temple où tu nous as emmenés ce soir pour continuer à résister. Ces mêmes notes qui nous ont appris à nous relever et à ne jamais renoncer. Oui... les notes de la résilience.

Ce soir, alors que tes rues se taisent, qu’elles s’éteignent et crient la misère, que ta mer souffre et que tes pairs te punissent, tu as réussi à nous émerveiller par un spectacle que seuls les résistants savent orchestrer. Ce soir, pour nous, tu as été plus fort que la corruption qui t’essouffle, plus noble que les voleurs qui te dilapident, plus digne que les chefs de clan qui veulent te détruire. Ce soir, tu t’es montré à mes enfants tel que tu voulais qu’ils te voient : libéré de tous les fléaux qui menacent ton identité, ton indépendance et ton intégrité. Libéré de toutes ces injustices et de ces corruptions destructrices. Libéré de cette extrême pauvreté qui te blesse, de cette faim qui te terrifie et te détruit un peu plus tous les jours, jusque dans la rue.

En dépit de tous les maux qui t’accablent, tu as voulu que tes petits-enfants continuent à être fiers de ton identité plurielle et de ton patrimoine universel. Oui... tu as voulu partager cette fierté avec eux avant qu’elle aussi ne te soit volée.

Ce soir, à tous tes enfants qui font une fois de plus leurs valises en dernier recours, tu as dit humblement, avec une majesté inégalée : « Non, les belles choses n’ont pas de fin. Tant que la solidarité nous unira, je serai encore là. Partez, mais ne m’oubliez pas. Partez, mais vous aussi continuez à porter notre belle identité. Partez, je vous attendrai. »

Et puis avant de nous laisser retrouver l’obscurité de la nuit, tu nous as demandé de ne pas renoncer à la paix. Tu nous as demandé de continuer à partager et à diffuser l’hymne de tous les enfants du Liban : l’hymne à l’espoir.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

La génération de la guerre avait trouvé un remède contre le chaos. Lorsque tout semblait lui échapper le jour, il lui restait encore... la nuit. Très vite, les enfants des Cèdres en prirent le contrôle et en devinrent, aux quatre coins du monde, naturellement, instinctivement, les « rois ». Oui... la fête était tout simplement leur instinct de survie. Elle leur permettait de...

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